Culture

Des habitué·es de la Soundstation nous racontent leurs meilleurs souvenirs

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Ces légendaires clubs belges et leurs soirées sans fin appartiennent désormais au passé. Ne reste plus que quelques souvenirs principalement flous à parcourir dans notre série VICE « NIGHTS TO REMEMBER ».

Aujourd’hui transformée en kots de luxe, la Soundstation (« La Sound », à prononcer avec l’accent de Philippe Manoeuvre) c’était LE centre culturel liégeois des jeunes cools de l’an 2000 : club, café, expos, resto, label, tout et tout le monde convergeait vers cette ancienne gare reconvertie, peu importe les goûts, l’âge, le look. Les concerts de groupes locaux avaient des allures de performances de groupes cultes mondiaux, la scène punk y côtoyait les fluokids de la French touch 2.0 et les fans de drum and bass à sac à dos… Tout le monde partageait les mêmes pilules, les mêmes bières et, désormais, les mêmes souvenirs. Demandez à n’importe quel·le Liégeois·e présent·e dans les parages entre 1996 et 2008 ce que leur évoque la Soundstation, et vous serez noyé·e dans une liste infinie d’histoires et un regard rêveur plein de nostalgie.

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On a recueilli quelques souvenirs, parce que la Soundstation mérite bien qu’on lui rende hommage, 14 ans après sa fermeture.

Jean-Yves, promoteur et DJ (45 ans)

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Photo : Elektrash

Pendant mes études, dans les années 90, j’étais un habitué du café l’Escalier, une véritable oasis au cœur du Carré liégeois, où l’on entendait plutôt les Pixies et Radiohead que les Lacs du Connemara. Quand la même équipe a ouvert la Soundstation dans l’ancienne gare de Jonfosse, j’ai naturellement foncé la tête baissée. Le lieu était assez novateur, pour Liège en tout cas : il y avait une grande salle de concert, un label avec studio d’enregistrement, un café, un restaurant et, 1996 oblige, un cyber café. Comme j’étais étudiant, je fréquentais Liège surtout en semaine, pour les concerts : j’y ai vu Dominique A, Tahiti 80, les groupes anversois autour de dEUS…

Puis au début des années 2000, je me suis installé à quelques rues de la Sound’, et là je me suis bien rattrapé sur les sorties le week-end. Il faut dire que l’époque coïncidait avec les explosions simultanées de la scène rock locale, avec le collectif JauneOrange et des groupes genre Hollywood Porn Stars et Superlux, et des soirées « électro » comme on disait à l’époque : c’était le temps de l’electroclash, de la french touch 2.0… D’un coup, grâce à des collectifs comme Lektroklash, Electrolegia, Partyharders et Forma.T, chaque week-end t’avais un Vitalic, Justice, Paul Kalkbrenner, Ellen Allien qui débarquait dans notre petite ville, et c’était toujours plein à craquer.

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Photo : Elektrash

Avec mon frère et mon meilleur ami, on a lancé nos propres soirées dans le café au rez-de-chaussée, ça s’appelait Elektrash (Makes Me Sick). On faisait des flyers avec des jeux de mots à la con genre Suck My Dick Rivers, qu’on postait sur les pages Myspace de nos potes ; on invitait nos amis à mixer, on passait un mélange de tout, ce qui correspondait au final plutôt bien à l’esprit super éclectique de la Soundstation et de son public.

L’effervescence créée à l’époque a définitivement mis Liège sur la carte et a encore des répercussions aujourd’hui, puisqu’elle est à l’origine du festival Les Ardentes, pour lequel je travaille entretemps. La Soundstation a vraiment créé des opportunités pour plein de gens, dans un cadre toujours super ouvert et bon enfant. C’est marrant parce que quand je repense à cette époque, mes souvenirs sont flous : j’ai plutôt l’impression d’une longue soirée mémorable qui aurait duré de 2002 à 2008. Pour paraphraser je-sais-plus-qui : si tu te souviens des années 2000 à la Soundstation, c’est que tu les as pas vraiment vécues. 

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Photo : Elektrash

Elena, chanteuse et habituée (45 ans)

Ma première fois à la Soundstation, ça doit dater de 1996, au tout début. Je me souviens des jeudis et de la programmation jazz, de mes potes qui fumaient des joints dans le café. Des soirées electroclash avec Miss Kittin & The Hacker, des débuts de Modeselektor, des concerts de chanson française en semaine… Avec mon groupe Superlux, c’est là qu’on a joué pour la première fois. Un des trucs dont je me souviendrai toujours, c’est que pour monter sur scène, il fallait traverser toute la salle et monter l’escalier sur l’avant. À la fin du concert, rebelote. C’était super intense évidemment, ça ajoutait au trac mais aussi à l’ambiance, surtout quand le public avait aimé !

Le soir de notre premier concert, Fabrice (Lamproye, le copropriétaire de la Soundstation, NDLR) nous a vus et a accepté de nous produire : album, clip, il nous a pris sous l’aile du label Soundstation, du coup c’est devenu notre deuxième maison. La Sound’, c’était notre endroit, on en connaissait tous les recoins. J’ai passé du temps dans les studios en bas pour enregistrer de la musique, dans la grande salle quand elle était vide, avec tous les néons allumés, quand elle sentait la vieille bière et la clope. Et j’ai des flashs de cette même salle bondée, extatique, avec la sueur condensée des gens qui te retombe dessus par gouttes du plafond. J’y ai rencontré mes meilleur·es ami·es, j’y ai passé des moments inoubliables et d’autres qui se sont évanouis avec mes gueules de bois. Quand la salle a fermé, on s’est tou·tes senti·es un peu abandonné·es : la ville avait comme perdu son épicentre… et finalement, aucune des tentatives de reprise ou d’ouverture de nouveaux endroits n’ont pu remplacer ce lieu, cette époque, sa magie.

Augustin dit Gus, toujours devant à gauche (35 ans)

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J’ai fait mes premiers pas à la Soundstation lors des soirées ragga et reggae, avec le sound system Sun is Shining. À l’époque j’étais étudiant à l’ULG et j’y passais tous mes week-ends : du ragga et reggae, j’ai évolué vers le hip-hop, pour finir par tomber follement amoureux de la musique électronique. Je me souviens de la première Forma.T avec Justice et DJ Mehdi, à laquelle j’avais atterri un peu par hasard mais que j’oublierai jamais. Mais si je devais ne retenir qu’une soirée, ce serait d’office le concert de TTC : c’était la première fois que je les voyais sur scène, ils venaient juste de sortir Bâtards Sensibles, j’étais trop trop fan. Le show était incroyable, l’ambiance survoltée, j’étais en nage, c’était tellement cool. Sinon je me souviens d’un concert absolument dantesque de Birdy Nam Nam, qui a littéralement bousillé les oreilles d’un pote à moi – vraiment, le mec est sourd depuis, t’aurais peut-être dû lui demander à lui, quel était son meilleur souvenir. La musique allait toujours trop fort à la Sound, à l’époque on s’en foutait un peu mais aujourd’hui ça passerait vraiment plus.

Honnêtement, à mes yeux en tout cas, aucune salle ne pourra jamais remplacer la Soundstation, ne fût-ce que pour le charme du bâtiment : le long couloir, les escaliers, les balcons… après, c’est peut-être pas plus mal que ça se soit arrêté avant la descente : au moins, la Sound’ reste gravée dans l’histoire, et on est content d’en avoir fait partie.

Antoan, assistant manager (40 ans)

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Photo : Elektrash

Je débarquais à Liège du Kosovo, étudiant en arts avec rien dans les poches, super introverti… Je m’étais fait des potes dans les endroits un peu alternatifs de Liège, on écoutait surtout du rock et du métal. Un jour, par hasard, j’ai suivi quelqu’un que je venais de rencontrer à une soirée Lektroluv à la Soundstation : j’ai pris la claque de ma vie. Le lieu, le mélange de musiques, les gens… j’ai tout de suite accroché. Directement, j’ai ressenti comme un besoin de faire partie de l’histoire de ce lieu, moi aussi. J’ai remué terre et ciel pour y travailler et Adelmo, le manager, a fini par m’embaucher comme serveur. De là, j’ai évolué vers assistant manager, j’ai touché à la com’, aux bookings… je faisais partie de la famille.

Un jour, Fabrice a programmé Poni Hoax, mon groupe préféré de l’époque, pour mon anniversaire. Ce genre de truc, ça me donnait vraiment le sentiment d’avoir trouvé ma place dans ma terre d’accueil. La politique de la maison, c’était que tout le monde était bienvenu : dans les autres boîtes, on te recalait parce que tu portais les mauvaises chaussures, que t’avais pas le style qui correspondait. À la Sound’, on briefait les sorteurs pour qu’ils comprennent la philosophie du lieu : on accepte les gens tels qu’ils sont, et s’ils n’ont rien fait de mal, il n’y a aucune raison de ne pas les laisser entrer. Tu pouvais littéralement venir en tongs si tu voulais, tout le monde s’en foutait. Fallait juste faire gaffe aux bris de verre.

Je me souviens d’un soir où Ellen Allien jouait : c’était la folie, ça a débordé, il y avait beaucoup trop de monde et plus moyen de rien contrôler. Heureusement, la soirée s’est déroulée sans incident, mais je pense que toutes les personnes qui étaient présentes ce soir-là pouvaient essorer leurs fringues en rentrant et récolter un cocktail « sueur et bière » concocté par toute la foule.

J’ai une nostalgie de fou quand je repense à tout ça, mais je crois que ce qui me manque plus que tout, c’est le fameux couloir : c’est là que tout se passait. C’était l’axe central entre le café, la grande salle, le resto, les toilettes, la salle d’expo… Tout le monde s’y retrouvait et discutait pendant des heures. Un jour, on y a installé des néons bleus ; ils sont restés là pendant des années, ça donnait à tout le monde un air malade. On a fini par changer vers le rose orangé, plus flatteur.

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Photo : Elektrash

Aline, habituée (40 ans)

La Sound, c’était un peu le quartier général : tout le monde s’y retrouvait, les potes y jouaient, il y avait toujours un truc à faire, une tête connue. C’était un peu comme le bar dans une série télé, où les mêmes personnages se retrouvent tous les jours pour faire les mêmes conneries.

La Sound, tu y arrivais comme public et de fil en aiguille, tu te retrouvais à passer des disques, tu finissais par y développer quelque chose… L’orga te prêtait une salle pour ton projet artistique si tu en avais besoin, plein de gens que je connais y ont aussi joué pour la première fois, c’était une scène accessible où les gens s’encourageaient les uns les autres. Au final, on voulait tous la même chose : de la bonne musique, voir des potes, faire la fête. Vivre des trucs cool un peu fous, prendre des photos pourries. J’y ai aussi assisté à des moments super improbables, comme une soirée avec DJ Manatane (aka Benoit Poelvoorde) aux platines où il y avait bien 200 personnes agglutinées à la porte d’entrée tellement c’était complet, ou un concert de Kap Bambino durant lequel la chanteuse s’est explosé le front mais a continué son show, pleine de sang et de sueur.

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Photo : Philcotof

Philcotof, photographe (âge indéterminé)

J’ai découvert la Sound’ un peu par hasard : c’était la fin des années 1990, à l’époque j’étais archéologue préhistorien mais j’en avais un peu marre de mon métier. Je m’étais mis à la peinture, je cherchais un lieu d’exposition, et via via, j’ai atterri à la Soundstation. Après, j’y suis sorti vraiment en mode soirée, ça devait être pour voir Jack de Marseille ou Dimitri From Paris… J’ai tout de suite accroché. Ce que j’adorais, c’était le parcours qui te mène vers le dance floor : en entrant tu avais ce long couloir devant toi, tu marchais sous les quais puis tu prenais l’escalier et bam, t’atterrissais en pleine fête. Si tu montais encore un étage, il y avait un espèce de balcon ; c’était toujours plus calme, t’étais un peu planqué.

Après, de façon générale, je me suis toujours senti super bien dans cet endroit : personne ne regardait ton look ou ne te jugeait avant de te parler. C’était la mentalité 100% liégeoise, super ouverte et surtout super fêtarde. Tous les genres de musique avaient leur place, les publics se mélangeaient… Au final, peu importe la soirée, tu retrouvais toujours les mêmes têtes dans la salle : les gens sortaient avant tout à la Soundstation, et savaient qu’ils allaient se marrer. C’est ce qui a d’ailleurs permis à plein d’orgas et de DJ’s débutant·es de faire leurs armes.

Un jour, j’ai pris mon appareil photo en soirée et j’ai pris des photos des gens. Le lendemain, je les ai mises sur internet. Les blogs étaient encore rares, il n’y avait pas de réseaux sociaux… du coup ça a été un succès immédiat, des dizaines de milliers de vues. À partir de là, je ne suis plus jamais sorti sans avoir mon appareil greffé à ma main. J’en ai des dizaines de milliers, j’étais toujours en vadrouille ! Quand je me perds dans mes archives de ces années-là, c’est toujours un peu magique : l’ambiance était vraiment cool, les gens avaient un vrai sens de la fête et se sentaient libres, décomplexés.

14 ans après, on ressent toujours un vide énorme à Liège.

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Birdy Nam Nam, en 2006 – Photo : Goldo
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Photo : Goldo
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DJ Mauvais, ou Bouli Lanners – Photo : Goldo
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Photo : Goldo
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Photo : Elektrash
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Photo : Elektrash

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