Autrefois « institution fondatrice », le mariage n’échappe pas au principe dit de crise des institutions. En 2016, 235 000 unions ont été célébrées en France – un chiffre qui tend à légèrement baisser d’année en année. Mais s’ils se font plus rares, les mariages s’avèrent souvent plus fastueux. À commencer par le nombre d’invités, souvent bien plus important que par le passé. L’injonction de réussite demeure donc, et s’amplifie même avec une volonté partagée des mariés de mettre en scène leur bonheur. Cela se vérifie dans l’engagement autour des préparatifs, parfois lancés plusieurs années en amont. Tant et si bien que les plus riches préfèrent confier à des agences spécialisées le soin de « faire de ce jour une fête inoubliable ».
Mais comme souvent dans la vie, tout ne se passe pas toujours comme prévu, et il arrive que la situation dérape. On a demandé à Marie*, photographe spécialisée dans les mariages, de nous raconter ses souvenirs de fêtes qui se transforment en gros malaises.
Le premier mot qui me vient à l’esprit quand on me dit mariage, c’est l’argent. Le mariage est avant tout un gros business. À moins de manger de la piémontaise dans des assiettes en plastique, il faut débourser un minimum de 15 000 euros. À ces enjeux financiers s’ajoutent les enjeux symboliques pour les familles. Cela génère de la pression, avec les mères chargées de l’organisation en première ligne. On partage souvent le même constat avec les autres prestataires : ce sont elles les pires. Leur comportement renvoie au principe selon lequel plus tu donnes de pouvoir à une personne qui en est démunie habituellement, plus cette personne en abusera. Ce qui aboutit pour ma part à me faire traiter régulièrement comme un larbin.
La photo restant un pilier central des festivités, je deviens pendant plusieurs heures la petite chose qu’on trimballe et qui doit se soumettre aux diverses envies de la patronne d’un soir. En règle générale, je suis frappée par la banalité des cérémonies. Chacun croit faire quelque chose d’original, alors qu’au final, tous les mariages se ressemblent. Mêmes plats, mêmes ballons et mêmes discours. Il s’agit souvent d’un truc lisse et très cul-cul. En huit ans, j’ai dû faire environ 200 mariages à travers la France, principalement dans des milieux classes moyennes supérieures ou petite bourgeoisie. Sachant que mon travail se termine vers minuit, je zappe en général les excès de fins de soirées. Ça ne m’a pourtant pas empêché de vivre trois situations peu ordinaires.
Mon premier souvenir remonte à quelques années en arrière pour un mariage pas très chic, quelque part dans la région bordelaise. Le matin, alors que je suis la mariée dans sa préparation, on apprend qu’une des serveuses prévues est malade. On est samedi, pas facile de trouver une remplaçante au pied levé. Après plusieurs tentatives avortées, l’organisateur finit par trouver une boîte d’intérim qui missionne une serveuse à peine deux heures avant le début de la soirée. La fille débarque et fait visiblement l’affaire, puisque personne ne remarque ce changement de dernière minute. De mon côté, habituée à cerner les couacs, je décèle une petite tension. Je vais demander à une autre serveuse ce qui se passe, et elle m’explique simplement que la fille ne veut pas servir la table des époux. Personne ne sait vraiment pourquoi, vu que la fille refuse de le dire. Du coup, l’équipe s’arrange pour que ce refus n’empiète pas sur la qualité du service. Les choses se passent sans anicroche jusqu’à ce que la serveuse – au moment du fromage – ne puisse plus esquiver la table des mariés.
Je la vois alors s’approcher, les larmes aux yeux. Au moment où elle s’apprête à servir la mariée, elle balance l’assiette tout en insultant le marié. Il s’agissait en fait de son ex, et elle ne savait même pas qu’il s’était remis en couple. Visiblement, la plaie n’était pas totalement refermée. Le marié, qui avait dû griller l’affaire dès le départ et espérait que ça allait passer, est resté de marbre. Choqué par la scène et sans doute autant par la découverte d’une partie cachée de la vie de leur beau-fils, la famille de la mariée a également quitté la soirée. Fin des festivités.
Plus récemment, j’ai bossé en Normandie pour un couple particulièrement gênant. Le marié, petite quarantaine, avait toujours galéré avec les filles. C’était un mec sympa et plutôt alerte, mais pas vraiment gâté physiquement. Au bout d’un certain temps, il a franchi la porte d’une agence matrimoniale, histoire de résoudre ce problème de plus en plus pesant. Il a rapidement trouvé chaussure à son pied avec une jeune femme russe botoxée, au physique que je qualifierais de très superficiel.
À peine trois mois après leur rencontre, il annonçait une date de mariage à ses proches sans les avoir consultés. C’est comme ça que je me suis retrouvée à photographier une mariée qui ne parlait ni français ni anglais. Personne ne parlant russe parmi les invités, elle a passé son temps à sourire mécaniquement aux quelques personnes qui tentaient de communiquer avec elle, en langage des signes. De plus, aucun membre de sa famille n’avait fait le déplacement depuis son pays d’origine. Si bien que c’est l’unique mariage où j’ai vu les mariés partir se coucher (le mari a fini complètement bourré). Aux dernières nouvelles, leur couple a survécu puisqu’ils auraient eu deux enfants depuis.
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Et pour finir, un de mes pires souvenirs date d’un mariage au cours duquel j’ai assisté au discours incendiaire du père du marié à sa belle-fille. Le mariage se déroulait dans un milieu de riches vignerons. Généralement, les discours se font au début du dîner, mais le père du marié avait préféré attendre le dessert. Pendant quinze minutes qui ont paru durer une heure, ce monsieur s’est lâché sur la femme de son fils, avec plein d’anecdotes à la clé. Il a commencé par critiquer son rapport à la nourriture et à l’alcool, avant d’enchaîner sur la paresse de cette femme (qu’il a décrit comme étant peu portée sur l’effort, mais capable de parcourir des kilomètres à pied pour aller récupérer ses colis de fringues.)
Pendant le discours, le marié bouillonnait et les gens écoutaient, un peu hébétés, dans un silence de cathédrale. Pour ma part, j’étais sur un balcon en compagnie du DJ, qui avait l’habitude d’officier dans cette salle. On observait tout ça de loin, espérant que quelqu’un mette fin à ce calvaire collectif, mais ce n’est malheureusement pas arrivé.
De son côté, la mariée faisait bonne figure en souriant bêtement. On avait l’impression que ça lui passait complètement au-dessus. Je me souviens l’avoir entendu dire : « On savait ce qu’il pensait de nous avant, on le sait encore mieux ce soir. » Le discours était très violent, mais le pire fut l’absence de réaction des parents de la mariée. Soit ils n’ont pas osé intervenir, soit ils partageaient l’avis de l’auteur du discours et pensaient que leur fille méritait d’entendre ça. C’était hyper cruel. La soirée a finalement repris son cours, et les amis du marié ont réussi à le raisonner pour qu’il n’aille pas frapper son père.
*À la demande de notre interlocutrice, le nom a été changé.