Stérilisation pour toutes !

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« Je ne comprends pas pourquoi un gynécologue aurait le droit de choisir ce qu’il se passe dans mon utérus », m’a dit Harmonie tandis qu’elle retraçait avec moi l’historique de son long combat pour devenir stérile. Car, de la même façon que certains se battent pour pouvoir donner la vie, d’autres se démènent pour faire valoir leur droit à ne jamais avoir d’enfant.

À 27 ans, Harmonie cherche depuis plusieurs mois un gynécologue de la ville de Nantes ou sa périphérie qui acceptera de l’accompagner vers une contraception définitive. Car, si cette démarche est autorisée par la loi française depuis 2001, les femmes qui font ce choix se confrontent souvent à la réprobation de leur médecin gynécologue. Selon le site Allodocteurs, quelque 50 000 femmes se feraient opérer en ce sens chaque année en France. De fait, les femmes comme Harmonie doivent faire preuve de pugnacité afin de mener à bien leur projet de ne pas se reproduire.

Pour Harmonie, le déclic de la vie sans enfant lui est apparu il y a deux ans, en écoutant un podcast sur France Culture. « Je ne connaissais pas cette démarche et dans un reportage, j’ai entendu des femmes parler de leur contraception définitive par procédure Essure – ou par ligature des trompes », m’a-t-elle dit. « Pour moi jusqu’ici, c’était un truc un peu barbare de femme qui a déjà six enfants et qui n’en veut plus. Comme je savais que je ne voulais pas de bébé, j’ai commencé à me documenter sur le sujet. »

En lisant ici et là, Harmonie s’est mise à envisager de plus en plus sérieusement l’idée de ne jamais avoir d’enfants. Selon elle, ce n’est pas une question de haine féroce envers nos petites têtes blondes – bien au contraire. Disons simplement que ça ne l’a jamais branchée d’en avoir. « J’aime les enfants », m’a-t-elle en effet certifié. « Je vis avec un homme qui a une fille, que nous gardons régulièrement, et j’adore mon neveu ; malgré tout, je ne voudrais pas que ce soit les miens. J’ai la certitude que je ne serais pas heureuse dans ce rôle. » Le côte irrévocable de cet acte n’a pas l’air de la gêner plus que ça. « Bien sûr j’ai lu que le plus gros risque était d’avoir des regrets. C’est pourquoi je me suis interrogée : “pourrais-je me mordre les doigts d’ici 10 ou 20 ans après d’avoir pris cette décision ?” Ma réponse fut sans appel : non »


Photo de ligature des trompes très NSFW, 1911, via Wiki Commons.

Cependant, est-il nécessaire de procéder à un acte si extrême dans le seul but de ne jamais avoir d’enfant ? Assurément non. Le choix en termes de contraceptifs est actuellement très varié en France, même si la pilule conserve une place de choix. Anneau vaginal, implant, stérilet, pilule, préservatif sont autant de moyens qui permettent aux femmes d’éviter une grossesse. Mais pour Harmonie, comme pour d’autres femmes qui ne veulent pas ou plus d’enfant, les contraintes liées à ces contraceptions les dérangent. Prise d’hormones, gain de poids, douleurs, contraintes « logistiques », risque de grossesse imprévue, etc. – sans parler des coûts parfois prohibitifs. Ce sont autant de raisons qui font, selon elles, de la contraception définitive le meilleur choix.

Pour Sophie, 24 ans, c’est un problème d’ordre médical qui lui a fait choisir la contraception définitive. « J’ai des problèmes hormonaux, apparemment dus à un médicament que ma grand-mère prenait dans sa jeunesse – et qui a causé aussi des soucis à ma mère », explique-t-elle. Mais elle aussi a déjà fait l’expérience des hormones et de ses déconvenues. « J’ai pris des hormones à différents dosages, dont la pilule contraceptive pendant plusieurs années. J’ai gagné 25 kg. Quant au stérilet en cuivre, il m’est interdit à cause de mes allergies. »

Des problèmes médicaux donc, qui font que la jeune fille préférerait choisir l’adoption à la procréation naturelle. Malgré ces raisons, la première gynécologue a qui elle a exposé son choix lui a répondu que si elle avait des rapports sexuels, c’était parce que son corps était préparé à accueillir un enfant. Ce qui n’est pas un argument convaincant, disons. Sophie a donc fait le choix d’aller vers une gynécologue qu’on lui a conseillé et qui pratique régulièrement la stérilisation.

Dans les pays anglo-saxons en revanche, la stérilisation est une forme de contraception à part entière. Selon les estimations, elle représenterait même la deuxième méthode de contraception aux États-Unis après la pilule.

Si au regard de ses problèmes de santé, Sophie peut bénéficier d’une certaine indulgence, Harmonie, elle, aura beaucoup plus de difficultés à trouver un gynécologue compréhensif. À l’heure actuelle, ses démarches sont en stand-by suite au dernier rendez-vous chaotique qu’elle a vécu. « Il s’agissait du troisième gynécologue que je rencontrais et c’était aussi le troisième qui exprimait un “non” suite à ma requête », explique Harmonie. « Il m’a dit de revenir quand j’aurais 40 ans. Lorsque j’ai répondu qu’à ce compte-là il valait mieux attendre la ménopause, il m’a rétorqué de revenir quand j’aurai une vie stable – comprenez : une vie de famille. »

Certains gynécologues français émettent donc parfois des jugements purement subjectifs et d’ordre moral à leurs patients. En revanche selon Harmonie, aucun d’eux n’a jamais cherché à savoir pourquoi elle souhaitait se faire stériliser. « Quand j’ai demandé à l’un d’eux de me conseiller un confrère – chose que les médecins sont censés faire lorsqu’ils font valoir leur clause de conscience pour refuser un acte médical –, il m’a dit qu’il ne connaissait “aucun professionnel prêt à faire cela” et que si c’était le cas, il s’agissait d’un “mauvais médecin”. » Devant un tel éventail de réponses négatives, Harmonie s’est sentie rabaissée, voire humiliée. « J’avais l’impression d’être perçue comme une ado en crise qui dirait “je ne veux pas d’enfant parce que le caca sent mauvais” – alors que ma démarche n’a rien à voir. »


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Dans les pays anglo-saxons en revanche, la stérilisation est une forme de contraception à part entière. Selon les estimations, elle représenterait même la deuxième méthode de contraception aux États-Unis après la pilule. Du coup, je me suis demandé pourquoi en France, le retard en la matière était encore si important. Pour Martin Winckler, gynécologue français exilé au Canada, le blocage vient de ce qu’il appelle la mentalité sociale française. Les mémoires se souviennent peut-être tristement des nombreux cas de stérilisations forcées qui touchaient les personnes qu’on ne voulait pas voir se reproduire : handicapés, pauvres, et plus généralement, tous les exclus de la société. Ou encore de son utilisation par certains régimes, comme celui de l’Allemagne nazie, afin de mener à bien leur programme eugéniste. Mais cette frilosité à l’égard de la stérilisation illustrerait selon lui avant tout « les relents paternalistes de notre société, société qui a toujours du mal à concevoir qu’une femme puisse s’épanouir au-delà de son rôle de mère. »

Harmonie et Sophie s’amusent d’ailleurs toutes deux de la mise en garde importante qu’elles reçoivent de la part des professionnels face à la stérilisation. « J’aimerais quand même leur tourner le problème dans l’autre sens. Car décider d’avoir un enfant est objectivement tout aussi important que le contraire. C’est étonnant comme on ne dit pas souvent à une femme qu’elle regrettera d’être mère. On le dit aux ados, avec l’argument qu’elles sont jeunes. Mais on ne le dit jamais aux adultes », ironise Sophie.

Selon Martin Winckler, c’est le rapport médecin/patient qui est à revoir. « Un trop grand nombre de médecins français considèrent que leur propre jugement moral l’emporte sur celui de leurs patients. La plupart des chirurgiens n’expliquent pas les différentes méthodes qui existent. Ils ne pensent pas que les patients soient assez intelligents pour choisir. » Il s’agit également d’une perception typiquement française, selon laquelle toute personne d’autorité serait moralement supérieure aux autres.

« Dans les pays anglo-saxons, les choses sont différentes. On peut mener un procès à l’encontre du médecin qui vous a menti ou n’a pas donné l’entièreté des informations. Ils vont donc apporter toutes les billes et vous dire “débrouillez-vous, vous choisissez”. Mais le problème dans leur cas, c’est qu’il y a nécessairement moins d’accompagnement. »

Harmonie regrette aussi ce manque d’accès à l’information. « Aucun gynécologue ne m’a présenté les différentes méthodes de stérilisation, je suis autant dans le flou qu’avant de voir ces médecins. » Pourtant chaque méthode de stérilisation – que ce soit par la pose d’un clip de filshie sur les trompes, la ligature par section, la ligature ou la méthode Essure –, dispose d’avantages et d’inconvénients et convient plus ou moins à chaque femme. Martin Winckler prêche donc le consentement éclairé afin que les patients soient pleinement informés des actes qu’ils subissent.
Pour les femmes qui souhaitent se lancer dans cette démarche, il conseille de se référer à la liste des médecins pratiquant la stérilisation et de se rendre à son rendez-vous chez le gynécologue accompagné d’une tierce personne. Il m’a dit : « Le médecin fera toujours plus attention à ce qu’il dit s’il y a deux interlocuteurs devant lui. Si le médecin a un mauvais comportement, qu’il ne donne pas accès à toutes les informations, c’est à la patiente d’aller porter plainte au commissariat pour violation du code de la santé publique. » Durant le délai de quatre mois de réflexion imposé, il conseille aux patientes de choisir la méthode de stérilisation qui sera la plus appropriée.

À l’image du débat sur la pose du stérilet aux femmes qui n’ont pas encore eu d’enfant, cette question de la stérilisation évoluera sans doute ces prochaines années. Mais d’ici là, il faudra des femmes comme Sophie et Harmonie afin d’ouvrir la voie pour la défense de leurs droits.

Valérie est sur Twitter.