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Vous ne confondrez jamais Strasbourg avec Hyphen Hyphen

Strasbourg, pris en photo à Strasbourg par Thomas Gitz. De gauche à droite : Monsieur Crane, Raph Sabbath, Tamara Goukassova et LL Cool Jo. Si vous avez raté les premiers épisodes

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Strasbourg/Total Sexe Et Violence Fruit De La Passion qu’on vous a présenté en primeur absolue il y a tout juste un mois
Noisey : Le groupe est de Bordeaux ou en tout cas souvent présenté comme tel, mais en vérité, vous êtes tous assez éloignés géographiquement, non ? Monsieur Crane : LL Cool Jo :

Monsieur Crane : Je les avais vus en concert quand ils jouaient à deux. Ils faisaient la première partie de Soft Moon devant 18 personnes. C’était il y a 4 ou 5 ans. C’était plus instrumental, plus noise qu’aujourd’hui. Je connaissais déjà LL Cool Jo, puisqu’on faisait de la musique ensemble, mais pas du tout Tamara.

Tamara : En fait, on s’est rencontrés tous les quatre la veille de notre premier concert ensemble. Et avant ça, la première fois où on avait joué à trois sans Mickaël, on s’était vu pour la première fois pendant la balance. Et on s’est très vite très bien entendus.

Vous venez de Bordeaux mais vous ne portez pas de polos roses. Vous en avez parlé à votre psy ?
Monsieur Crane : C’est les polos roses à Bordeaux ? Aucun de nous n’est bordelais d’origine, c’est peut-être pour ça. Je viens de Bagneux, et ça fait une quinzaine d’années maintenant que je suis à Bordeaux. C’est là qu’on s’est rencontrés. On n’est pas de là-bas mais on est affilié à la scène musicale bordelaise qui est hyper développée.

LL Cool Jo : Tous les musiciens de Bordeaux se connaissent et ont tous plus ou moins joué ensemble.

Tamara : Plus qu’une scène, c’est avant tout une bande d’amis. Tous les groupes se connaissent et s’entendent bien. Mais il n’y a pas vraiment de scène bordelaise, on n’organise pas des choses ensemble.

Monsieur Crane : Ce qu’on fait avec Strasbourg n’est de toute façon pas du tout représentatif de la supposée scène bordelaise.

C’est vrai qu’avec vous on est dans quelque chose de nettement plus froid et sombre que chez, au hasard J.C. Satàn ou Mars Red Sky.
LL Cool Jo : Parce que c’est le genre de choses qu’on écoute. Au départ, on voulait produire des sons très froids et assez noise en même temps. On voulait s’extraire des trucs garage dans lesquels on avait déjà bien trempé. Raph a monté Harshlove, Monsieur Crane jouait dans un truc pop assez expérimental, et moi je venais du garage et du punk hardcore. On voulait faire quelque chose de plus froid, plus direct, et plus agressif. Même si on s’est un peu perdus à un moment. On est passé par plusieurs étapes.

Strasbourg vu par Luz dans Charlie Hebdo en 2012.

Tu parlais de froideur. Fruit De La Passion, votre album, est pour le coup beaucoup plus froid et moins dansant que vos deux premiers EP.
LL Cool Jo : Quand Charles [Crost, boss du label Le Turc Mécanique] est venu nous chercher au départ, c’était pour une cassette. Ils nous a demandé d’expérimenter, de nous lâcher, sans aucune contrainte. Son discours nous a plu, et ça a été un vrai confort pour nous d’enregistrer en faisant exactement ce qu’on voulait. Mickaël nous a rejoint à la campagne et on s’est mis assez naturellement à faire des trucs plus bizarres, plus durs que sur les EP. Plus ça va, plus notre musique est dure.

Monsieur Crane : Je trouve qu’il y a aussi des morceaux assez calmes et que l’album a une dominante mélodramatique. C’est à la fois triste et violent.

Les paroles ajoutent vraiment à l’ambiance générale. Votre vision du monde a l’air terriblement pessimiste.
Monsieur Crane : Oui, c’est une vision très sombre. Et puis, avec la musique qu’on fait, on ne va pas faire du Patrick Sébastien non plus. Il faut de la cohérence.

LL Cool Jo : Même avant Strasbourg, les paroles de Mickaël étaient dures. Dans son projet rap, c’était assez cynique.

Monsieur Crane : Ouais, c’est bien désabusé. C’est de la musique pour te casser le moral.

LL Cool Jo : Mais on est des gens assez fun, hein. On se marre beaucoup, mais ça ne se ressent pas dans notre musique.



La pochette et le titre de l’album évoquent au contraire un univers très coloré.

Monsieur Crane : Le titre de l’album, ce sont surtout des mots qui ont plein de sens. Les Fruits de la passion, ceux sont nos chansons. Notre album, c’est un objet atypique mais qui vient du coeur. Strasbourg, pour moi, c’est un peu ça.

LL Cool Jo : C’est moi qui ait conçu la pochette. Je prends souvent des photos de nos potes. Cette fois, j’ai pris un copain qui se travestit régulièrement pour faire un personnage qui se nomme Geneva, et je lui ai proposé d’être sur la pochette. Il était hyper flatté, et il joue vraiment un rôle.

Au fait, pourquoi ce nom, Strasbourg? Parce que Metz, c’était déjà pris ?
LL Cool Jo : On a du trouver un nom hyper rapidement pour le premier concert avec Raph. On a voulu rendre hommage aux groupes de la Triple Alliance de l’Est. Alors on a pris Strasbourg. Dans l’urgence. C’était une blague.

Monsieur Crane : Et puis ça évoque un truc assez historique. On aurait pu s’appeler Verdun. Strasbourg est un mot qui évoque beaucoup de choses, et ça, c’est cool. L’histoire, les cathédrales, la guerre… Ça va bien avec notre musique.

Monsieur Crane, tu portes parfois un t-shirt U2. C’est du premier ou du cinquième degré ?
Monsieur Crane : C’est peut-être du premier degré. J’ai ce t-shirt, donc je le porte. Et c’est vrai que j’ai été fan de U2. Mais je ne le suis plus du tout. Ça a un côté naïf, passionné, mais je suis le seul à y croire. C’est une cause perdue, et un peu de la provoc’ aussi. Un jour, on devait jouer dans un squat à Brest. Quand l’organisateur du truc a vu que je portais ce tee-shirt, il nous a écrit pour nous dire qu’on ne jouerait jamais dans son squat, parce qu’aimer U2, c’était craignos. On s’est donc fait blacklister d’un squat pour port prohibé d’un t-shirt U2. Quand U2 devient un symbole de rébellion, c’est que plus rien ne va.

Le T-shirt de la discorde. Photo : Melchior Tersen

Vous écoutiez quoi comme musique quand vous étiez ados ?
LL Cool Jo : Moi ça a commencé par Guns ‘N Roses, Nirvana et Sonic Youth pour aller vers le grindcore et le punk hardcore ensuite. Puis la cold, et maintenant beaucoup d’électro.

Monsieur Crane : Beaucoup de metal pour moi, et du rap. Et puis des gros machins du genre U2. Même Genesis, je peux le dire. Et tous les groupes de Constellation.

Et toi, Tamara, t’étais fan de zouk ?
Tamara : Non, pas du tout. Je faisais de la musique classique, un univers un peu particulier. Ma soeur m’a fait découvrir des groupes comme Cure quand j’étais gamine, mais j’ai écouté beaucoup de trucs ultra-craignos quand j’étais ado. Dont je ne parlerais pas. Et puis ensuite je suis tombé dans l’indus, le noise, etc.

Monsieur Crane : L’indus, c’est vraiment l’influence qu’on a en commun.

LL Cool Jo : On écoute vraiment beaucoup de cold. De Guerre Froide à Violence Conjugale, plein de groupes belges ou français des années 80, voire avant. Je découvre chaque jour de nouveaux groupes. C’est Tamara qui est la plus pointue de nous quatre dans ce style de musique.

Vous achetez encore des disques ?
Tamara : J’adore acheter des disques, mais je me l’interdis car je n’ai pas assez d’argent pour ça. Mais dès que je peux, j’en achète. Mon dernier achat, c’est l’album de Low Jack. En parlant d’indus, le disque que ce type a sorti baigne dans une texture de la fin des 90’s que j’aime beaucoup. Mais sinon, j’écoute aussi beaucoup de musique dématérialisée parce que c’est souvent de la musique de niche, avec des disques qui sortent à 30 exemplaires aux Etats-Unis. Sortir un disque physique, ça reste hyper gratifiant. Te dire que tu peux tenir ton travail dans les mains, c’est vraiment agréable.

LL Cool Jo : Sortir un vinyle comme celui de Strasbourg, ça reste un plaisir monstrueux et un truc assez fou. T’as une vraie joie adolescente là-dedans.

Monsieur Crane : Surtout là, avec le premier album. Ça parachève le groupe d’une certaine façon, ça l’ancre.

Le morceau « Jaguar » est assez étonnant avec cette citation détournée d’Indochine : « Egaré la vallée infernale, j’en ai rien à battre de toutes ces histoires ».
Monsieur Crane : C’est une citation ratée d’Indochine.

La mélodie est aussi une décalque de celle de « L’Aventurier ».
Monsieur Crane : Ah ouais?

LL Cool Jo : Dans le phrasé, oui.

Monsieur Crane : On nous a dit Partenaire Particulier aussi.

LL Cool Jo : Nan, mais ça c’était une erreur je pense.

Monsieur Crane : J’ai peut-être écrit ça un jour où Indochine m’a saoulé ou un jour où quelqu’un m’a dit qu’on était les Indochine bordelais.

Tu leur en veux, à Indochine ?
Monsieur Crane :
Pour ce qu’ils ont fait à la musique, aux coupes de cheveux et aux fringues ? Non, pas du tout.

LL Cool Jo : Leurs débuts étaient vraiment intéressants. Il y a pas mal de trucs que j’adorais. C’était FM, mais à l’époque, il n’y avait pas tant de groupes que ça dans le genre. On a rien contre Indochine.

Monsieur Crane : La haine d’Indochine n’est pas une priorité. Là, ce qu’on veut surtout, c’est tourner, faire des concerts. Pour l’instant, on joue surtout en Bretagne et à Paris. Si les Pyrénées nous entendent, qu’ils nous fassent venir! On ne rentre pas dans le réseau synth-punk parce que les puristes disent qu’on en fait pas. Pour eux, un violon et un chant en français, et c’est plus du synth-punk.

LL Cool Jo : On est pas Shoegaze non plus, ni assez noise, on est un peu bâtards en fait.

Monsieur Crane : On est même carrément bâtards. C’est pour ça qu’on joue autant avec des groupes de punk hardcore qu’avec des groupes plus pop. Et on adore ça.


Strasbourg n’a pas de concerts prévus dans l’immédiat mais Tamara Goukassova joue ce soir 10 juillet à l’International à Paris avec rien de moins que Claude Violante, et c’est gratuit. Be there.

Albert Potiron est sur Twitter.