« En prison, je ne peux pas dépenser plus de 140 dollars par mois. Être enfermé me fait économiser au moins 10 000 dollars chaque jour. »
Si Suge Knight venait à être condamné dans le cadre du procès qui se déroule actuellement à Los Angeles, la somme économisée pourrait rapidement devenir astronomique : le producteur risque en effet la perpétuité. Accusé de meurtre, tentative de meurtre et délit de fuite (en plus d’un vol d’appareil-photo, soit dit en passant), Marion Hugh Knight Junior vit un procès à son image, dans la démesure la plus totale. Depuis un mois, scénario hollywoodien, vidéos accablantes et prétextes bidons sont le lot quotidien des bancs du tribunal de Los Angeles. Si cette affaire contribue à forger la légende de Suge Knight, elle pourrait aussi l’amener à tout perdre : sa fortune et ses amitiés, mais surtout, sa santé et sa liberté. Le fondateur de Death Row Records ne finira pas dans le couloir de la mort, mais pourrait finir enfermé à vie. Voici comment Marion « Suge » Knight s’est retrouvé avec une caution de 25 millions de dollars sur la tête.
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« Il lui a collé un flingue sur la tempe et lui a assuré qu’il y aurait, soit sa signature, soit son cerveau sur le contrat. »
Cette réplique issue du premier volet du Parrain aurait aisément pu être ghostwrittée par Suge Knight. En 1991, N.W.A. sont au sommet – Straight Outta Compton vient d’être certifié double-disque de platine. Suge « l’ourson », ancien footballeur professionnel (remplaçant), n’est alors que garde du corps de quelques célébrités du monde de la musique, parmi lesquelles Bobby Brown. L’occase de remplir tranquillement son carnet d’adresses. Parallèlement, il organise quelques concerts et se prend au jeu : travailler avec des artistes et créer du spectacle, voila le véritable métier qu’il envie. Il se retrouve rapidement manager de Vanilla Ice, DJ Quik, The D.O.C, mais se sent capable de faire beaucoup plus. Comme Tony Montana, qu’il érige en modèle, Suge Knight veut le monde et tout ce qu’il y a dedans.
L’embrouille qui éclate entre les deux leaders de NWA, Eazy-E et Dr Dre, tombe alors à point nommé. Arabian Prince et Ice Cube ont déjà quitté l’aventure et Dre veut suivre, un départ qui signifierait la fin définitive du groupe, véritable poule aux œufs d’or du label Ruthless Records. Le futur auteur de « Let Me Ride » fait alors appel à son ami et nouvel associé, Suge Knight, pour se libérer de son contrat. Ce dernier (120 kilos de muscles pour un peu moins de deux mètres) débarque –selon la légende- dans le bureau de Jerry Heller (manager du groupe), batte de baseball à la main, accompagné de quelques amis au physique similaire. Moyennant un pourcentage minime sur le prochain album studio de Dre, Ruthless cède donc ses droits à Death Row Records. Dre est libéré, et la carrière de Suge Knight dans le gangsta-management est lancée.
Gangsters & gentlemen
The Chronic, Doggystyle, Dogg Food … Sur le plan artistique comme sur le plan financier, les premières années de Death Row sont phénoménales. Suge Knight, épaules larges et nez fin, place ses billes avec intelligence. En 1995, Tupac Shakur, emprisonné depuis onze mois pour une affaire d’agression sexuelle, obtient la possibilité d’être libéré, en échange d’une caution d’un million et demi de dollars. Suge se propose de la payer, en échange d’un contrat pour deux albums. Exactement un an plus tard, All Eyez On Me est certifié quintuple disque de platine. Il reste aujourd’hui l’album le plus vendu de l’histoire du rap, avec plus de 30 millions d’exemplaires écoulés dans le monde.
Parallèlement à cette réussite commerciale exceptionnelle, le patron du désormais plus gros label du pays développe une imagerie inspirée par les grands gangsters hollywoodiens. Son bureau est présenté – encore une fois, selon la légende- comme une réplique quasi-exacte de celui de Tony Montana, ses discours sont truffés de citations de Vito et Michael Corleone et sa demeure a appartenu à Lefty Rosenthal (le gangster interprété par Robert De Niro dans Casino). On raconte même -c’est difficilement vérifiable- qu’un aquarium plein de piranhas trônait au milieu du salon de Suge Knight et qu’il s’amusait à balancer des rats dans l’eau pour impressionner ses invités. Pour couronner le tout, sa garde-robe est majoritairement composée de trois-pièces rouges, une couleur censée signifier son affiliation au gang des Bloods.
Si, la semaine dernière, la procureure Cynthia J. Barnes a requis une caution absolument astronomique, ce n’est pas simplement à cause des légendes entretenues par Suge Knight. L’ex-footballeur a des relations très compliquées avec les juges et a toujours joué la provoc avec l’autorité judiciaire. Entre les zones d’ombre liées aux meurtres de Tupac (Suge avait « oublié » de lui verser un peu plus de 100 milions de dollars de royalties) puis de Notorious Big, le tabassage commandité de Dre en 2004, et les menaces faites à Snoop Dogg en 2006, notre homme n’a jamais perdu les méthodes qui lui ont permis de se lancer, un beau jour de 1991, dans les locaux de Ruthless Records.
Condamné à 9 ans de prison pour violation de liberté conditionnelle en 1997, il ressort en 2001… avant de retomber pour la même chose en 2003. Régulièrement arrêté pour possession de drogue, violences multiples et même cambriolage à main armée, il s’en sort la moitié du temps en dissuadant les victimes de porter plainte ou en « s’arrangeant » avec les témoins. Et lorsque c’est lui qui se retrouve dans le rôle de la victime, il refuse systématiquement de collaborer avec les forces de police. Comme lorsqu’il est tabassé en 2008, qu’il prend une balle dans la jambe la même année, ou qu’il sert de cible à une tentative d’assassinat l’année dernière (6 balles dans le buffet, quand même).
Le mec veut pas y aller, on le comprend.
Le 29 janvier 2015, lors du tournage du film Straight Outta Compton : Suge Knight est venu faire un tour sur le plateau, et par la même occasion, discuter de son personnage avec le réalisateur, Gary Gray, et l’acteur censé l’interpréter, R.Marcus Taylor. Cle Sloan, technicien en post-production, se charge d’organiser le rendez-vous. Une altercation débute sur le plateau et se termine sur le parking d’un fast-food voisin. Suge Knight, en voiture, y renverse deux hommes : Cle Sloan, qui s’en sort avec quelques égratignures, et Terry Carter (fondateur du label Heavyweight Records), qui trouve la mort.
La suite n’est qu’un champ d’hypothèses. On sait que Cle Sloan était armé et qu’il a tenté de se servir de son arme sur le parking. La justice devrait maintenant déterminer si Suge Knight a renversé accidentellement ou intentionnellement les deux hommes. Un guet-apens contre Marion Huge Knight est également évoqué, ce qui pourrait lui permettre de s’en sortir en plaidant la légitime défense. Le problème, c’est qu’une vidéo de surveillance existe, et qu’elle est accablante pour l’ex-boss de Death Row :
Devant de tels chefs d’accusation (meurtre, tentative de meurtre, délit de fuite), l’accusé risque évidemment la perpétuité. Et lorsqu’il comprend qu’il est dans de sales draps, Suge Knight commence son récital digne des meilleures performances de Corrado Soprano. Pour échapper au procès, il prétexte d’abord des problèmes d’hypertension. Une carte qui fonctionne quelques temps et lui permet de sécher quelques audiences, mais se révèle rapidement insuffisante. Acte 2 : en plein tribunal, Suge est pris de crises de panique et d’affreuses douleurs thoraciques et doit être transporté d’urgence à l’hôpital. Acte 3 : Blind Suge.
Selon son avocat, il serait complètement aveugle d’un œil, et malvoyant de l’autre. Une situation pas franchement idéale quand on est au volant d’un 4X4, et qui expliquerait donc le malencontreux accident qui a coûté la vie à Terry Carter, 55 ans. On en arrive à cette caution incroyable, qui vaut au fondateur de Death Row Records un malaise et les gros titres. Une somme d’un million de dollars dans un premeir temps que la procureure Cynthia J. Barnes a revu à la hausse, estimant qu’un personnage avec une telle réputation et de telles relations était le candidat idéal à la fuite.
Terry « Pop » Carter, 1959-2015.
Terry Carter, lui, ne reviendra pas. Occupé depuis quelques années à la réinsertion des jeunes délinquants de Los Angeles, qu’il encourageait à se détacher des gangs et à s’investir dans des activités légales, celui qu’on surnommait « Pop » était un grand ami de Suge Knight. Il était celui qui, selon ses proches, poussait Suge à se maintenir dans le droit chemin, celui qui l’a empêché, à de nombreuses reprises, de franchir la ligne blanche et de passer le reste de sa vie à l’ombre. Après le passage à tabac de Dre en 2004, les menaces à Snoop en 2006, ou encore les violences subies par sa compagne Melissa Isaac en 2008, compter parmi les proches de Suge Knight avait un coût. Et cette fois, Pop ne sera plus là pour canaliser Suge.
Genono reste à l’affût sur Twitter.