Depuis que les prix de certaines grosses marques flambent dès la sortie de leurs nouveaux modèles, des gens plutôt futés ont trouvé l’astuce pour en vivre. Et paisiblement. En gros, il suffit de faire en sorte de se constituer un stock de Nike Dunks ou de produits Supreme et de les revendre plus cher dès que les circuits officiels sont épuisés. Dans certains cas, ça peut permettre de s’offrir la vie de rêve, sans le paquet de risques que doivent prendre les têtes brûlées qui ont opté pour des combines un peu moins légales, vous me suivez ?
C’est sûr que revendre des sapes c’est le genre de business qui ne fait de mal à personne, si ce n’est au portefeuille. Mais qui sont ces petits malins qui revendent du textile et des paires aux rappeurs blindés de cash, aux influencers ou encore à des gosses lambda prêts à tout pour se pavaner à l’école avec la dernière Jordan ?
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Jonathan* et Brice* sont deux revendeurs belges qui opèrent dans ce milieu depuis un paquet d’années. On a parlé argent, stratégie, clientèle et culpabilité. Nous sommes toujours en plein dans l’ère du capitalisme, et voilà de quoi vous inspirer un nouveau choix de carrière.
VICE : Comment vous êtes rentrés dans ce truc ?
Jonathan : Grâce à un ami qui était déjà dans ce business en 2015. J’ai commencé par prendre des pièces pour moi parce que je les trouvais belles mais j’ai rapidement compris qu’avec de tels prix de revente, je pouvais doubler mes commandes pour en refourguer et « payer ma conso ». Ça a commencé comme ça, avec des sapes, et puis je me suis mis dans la sneaker avec le même objectif.
Brice : J’étais fan de Supreme et j’ai vite compris que les pièces se revendaient plus cher qu’elles ne s’achetaient, et que tout était super limité. Donc vers 2012, j’ai commencé à prendre du surplus, et au fur et à mesure que ça générait de l’argent, j’ai réinvesti ce que je gagnais dans d’autres sapes, et ainsi de suite… Je pense avoir très bien fait.
Comment ça marche techniquement pour réussir à obtenir tous ces produits rares ?
Jonathan : Au début, c’était simplement une question de rapidité, quand les pièces droppaient sur les sites des différentes marques. Mais petit à petit, les marques ont mis en place le système des raffles pour limiter le trafic et elles limitent le nombre de personnes ayant accès aux pièces pour éviter que les sites plantent. C’est forcément plus compliqué depuis.
Brice : Quand je participe aux raffles, je regroupe plein de gens qui y participent aussi pour moi, sachant qu’ils auront un petit billet à la clé. Sinon à l’ancienne ! Les gars qui campent devant les shops Supreme, y’en a de plus en plus donc y’a pas vraiment de secret : faut charbonner à droite à gauche et toujours avoir un oeil sur son téléphone pour ne rien louper.
« Je pense pas profiter de qui que ce soit… Je prends les opportunités là où elles sont en étant le premier à obtenir quelque chose que plein d’autres gens veulent aussi. Y’a des gars qui revendent des trucs bien moins inoffensifs que des casquettes ou des chaussures. »
Et qu’est-ce qui marche le mieux ?
Brice : Nike c’est quand même la valeur la plus sûre. Jordan aussi, y’a pas photo. Les Yeezy fonctionnent à fond en ce moment mais j’ai jamais trop aimé le modèle donc j’évite, sachant que je vends que des choses qui me plaisent. En plus de ça, le prix de revente est super élevé et ça augmente les risques qui vont avec, comme des arnaques à la transaction. Forcément, c’est moins tentant pour moi.
Jonathan : Quand j’ai commencé tout le monde était sur Supreme, donc à cette époque je pouvais acheter à peu près n’importe quoi en étant sûr de le revendre plus cher derrière, mais au fil des années ça s’estompe et il faut suivre… Là, je fais pas de Supreme sauf pour certaines précommandes précises. Je bosse beaucoup plus dans la sneaker pour laquelle, au contraire, l’engouement a vraiment beaucoup augmenté. Du coup, une Jordan 1 ou une Yeezy c’est toujours safe. Tu peux y ajouter les Dunks, ça marche aussi à fond depuis quelques temps.
On est d’accord que la demande a baissé pour Supreme ?
Jonathan : Supreme a ouvert beaucoup de boutiques et a augmenté les quantités produites, donc la valeur des produits a forcément chuté. Nike au contraire disparaît progressivement de beaucoup de shops et rend l’accès à certaines paires très compliqué, alors la demande augmente. Forcément, ça impacte le choix sur les produits qu’on décide de prendre.
Vous revendez tout ça via quels canaux ?
Jonathan : J’essaye de passer un maximum par autre chose qu’internet. Le bouche à oreille c’est la meilleure des publicités, mais je ne vais jamais vers les gens, c’est toujours eux qui viennent à moi. Pas de racolage… Du coup, ça arrive que j’ai des ventes qui se passent sur Instagram ou Facebook. Maintenant, je fais beaucoup plus de dépôt-vente dans des shops ou des conventions et salons où tout est bien cadré. Je préfère que les gens aient un minimum de contact physique avec le matos. Quand on peut voir et toucher les matériaux de ce qu’on veut acheter, c’est toujours bien mieux.
Brice : J’essaye de faire un maximum de dépôt-vente aussi mais en vrai, on utilise tous les canaux possibles, donc y’a toujours forcément un peu de Vinted, Ebay, etc. Facebook et Instagram, c’est uniquement pour les gens que je connais réellement.
C’est quoi l’article le plus cher que vous ayez vendu ?
Jonathan : Une Jordan 1 haute, en collaboration avec Dior. Un client me l’a prise pour 8 000 €. Le genre de vente qui fait plaisir !
Brice : Je préfère vendre du volume à des prix raisonnables. J’ai plusieurs fois vendu des pièces autour des 800 € comme une Jordan 1 MCR mais je pense pas avoir déjà dépassé les 1 000 €. Par contre, j’ai deux T-shirts Supreme en stock qui valent au moins ce prix et que je devrais vendre très bientôt si tout va bien. Les gens veulent être hype de plus en plus et ont de moins en moins peur des prix sur des modèles très limités. T’as des kids de 14 ou 15 ans qui sont prêts à mettre 1 000 € pour une paire qu’ils vont flinguer en 6 mois. C’était moins comme ça avant, mais ça se démocratise. Pour des gars comme moi, c’est tout bénef.
« Au final, je force personne à acheter, tu fais ce que tu veux avec ton argent. C’est toujours les gens qui viennent à moi et jamais l’inverse. »
Vous n’avez jamais l’impression de profiter de la naïveté de certaines personnes ?
Brice : Je pense pas profiter de qui que ce soit… Je prends les opportunités là où elles sont en étant le premier à obtenir quelque chose que plein d’autres gens veulent aussi. Ça me permet de le revendre bien plus cher mais si tu regardes bien, ça marche exactement comme ça dans la plupart des business. Y’a des gars qui revendent des trucs bien moins inoffensifs que des casquettes ou des chaussures, tu me suis ?
Jonathan : Si t’as envie de te payer les dernières shoes à la mode et puis bouffer du riz tout le restant du mois alors bonne chance à toi, ça me pose pas de problème ! Au final, je force personne à acheter, tu fais ce que tu veux avec ton argent et comme je t’ai dit, c’est toujours les gens qui viennent à moi et jamais l’inverse. Je suis droit dans mes bottes.
Vous vous souvenez de votre acheteur le plus jeune ?
Jonathan : Yes, il devait avoir 14 ans maximum. C’était à un salon au Luxembourg et sa mère l’accompagnait. Je lui aurais rien vendu dans des conditions différentes, faut pas exagérer.
Brice : Il devait avoir une dizaine d’années, c’était aussi à un salon donc il y avait un cadre qui me permettait de lui vendre un article tranquillement.
Sinon des mecs un peu célèbres qui ont vraiment les moyens de se payer tout ça ?
Jonathan : Via le réseau que je me suis constitué, y’a plusieurs rappeurs connus qui savent que j’ai les accès à ces marques et qui me demandent parfois si je peux leur dénicher tel ou tel truc.
Brice : Les artistes sont des gens comme tout le monde, l’argent ne leur donne pas accès aux produits, donc ils doivent forcément passer par des gars comme nous pour obtenir les pièces qu’ils cherchent.
Ça vous rapporte combien, environ ?
Jonathan : Je t’avoue que c’est difficile à dire. Je compte pas vraiment et je le fais depuis longtemps, mais je garde les pieds sur terre. À partir du moment où je peux payer mes factures et vivre bien de ce business, j’ai pas besoin de rouler en Bentley ! Je sais juste qu’en s’impliquant assez ça peut devenir un métier à plein temps… C’est d’ailleurs devenu le mien.
Brice : C’est des choses qui doivent rester confidentielles ça ! Mais tu te doutes que si je le fais depuis maintenant bientôt 10 ans c’est que ça me rapporte assez pour pas devoir trop compter.
Vous avez déjà eu des problèmes ?
Jonathan : Personnellement, j’ai jamais eu de problèmes mais je connais des histoires d’agression pour une paire de Yeezy. Ou des gars qui se sont fait payer des articles bien cher avec des faux billets… Je touche du bois.
Brice : Comme je t’ai dit, j’évite les énormes transactions… Du coup, non j’ai jamais eu de problème de mon côté. J’ai juste assisté à une grosse bagarre devant chez Patta à Amsterdam en 2017 lors d’un drop, mais jamais rien de bien méchant.
« Avec le temps, je commence à voir les choses avec plus de recul : y’a des articles desquels je veux plus me séparer. J’ai par exemple réussi à me constituer une collection de 110 decks de skate Supreme qui sont empilées chez moi. »
Vous savez ce que ces marques pensent de vos pratiques ?
Jonathan : Je pense pas qu’elles cherchent à éviter ça pour être honnête. Ils voient la demande augmenter et c’est elles qui s’en mettent le plus dans les poches… Si j’ai la possibilité d’acheter 100 paires en une fois, je le ferais sans scrupule. Mon oseille ira directement à ces marques et je pense qu’au fond tout ça les arrange très bien…
Brice : La plupart des marques vont te dire qu’elles n’aiment pas ça, mais je pense que c’est totalement hypocrite de leur part… Ça leur permet de créer de l’exclusivité autour d’un produit, au final y’a aucune raison de se plaindre que leurs paires se revendent des milliers d’euros et que certaines personnes soient prêtes à se battre pour les avoir… Ça crée d’office une vague d’engouement autour de l’article en question. Pour leur business c’est parfait.
Vous pensez continuer ça longtemps ?
Jonathan : Sachant que j’en ai fait mon métier à temps plein, j’espère bien que ça va durer ! Mais je suis confiant. Quand la demande baisse sur certains produits, elle augmente sur d’autres, donc il suffit de rester à la page pour bien s’en sortir.
Brice : Tant que la sauce prend et que j’arrive à faire les choses bien, il faut que je continue. Après, avec le temps, je commence à voir les choses avec plus de recul : y’a des articles desquels je veux plus me séparer. J’ai par exemple réussi à me constituer une collection de 110 decks de skate Supreme qui sont empilées chez moi et celles-là, j’y touche plus !
*Noms d’emprunt.
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