Sur les rails avec un cheminot de la SNCF

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La vie des autres

Sur les rails avec un cheminot de la SNCF

On a filé un appareil jetable à Marc, dans le métier depuis près de quarante ans, pour qu'il documente son quotidien.

Bienvenue dans La Vie des autres, notre nouvelle colonne photo – en gros, on prête des appareils jetables à de parfaits inconnus afin qu'ils documentent leur quotidien. La plupart des personnes en question ne sont pas des photographes confirmés, et on se contrefiche du fait que leurs photos soient « jolies » ou non. On veut juste que ces contributeurs ponctuels nous montrent ce qui les intéressent, ce qu'ils ont tenu à immortaliser et comment ils vivent.

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Kilomètres de rails, coups de pioche, blessures et horaires de nuit : le boulot de cheminot est loin de se réduire aux avantages parfois enviés – et menacés – de leur statut. Il s'agit d'un job usant et bien éloigné de la vie de bureau, comme en atteste l'exemple de Marc, entré à la SNCF à l'âge de 20 ans. Depuis 1981, il officie en tant qu'agent d'entretien des voies ferrées, et il arpente les rails du sud-ouest de la France tous les jours en vue de les retaper. Je l'ai rencontré lors d'un de ses voyages professionnels à Paris – l'occasion pour moi de discuter avec lui et de lui donner un appareil photo jetable. J'ai récupéré le boîtier la semaine suivante, avant de lui demander de m'en dire plus sur ses clichés.

VICE : Bonjour Marc, vous êtes devenu cheminot à vingt ans, comment ça s'est passé ?
Marc : Par hasard. Je ne savais pas vraiment quoi faire quand j'avais 20 ans. Un ami s'était inscrit à un concours SNCF, et j'ai fait de même. J'ai eu la chance d'être pris – lui non, car il n'avait pas le bac. Ensuite, j'ai passé les examens et je suis devenu agent d'entretien. En gros, je suis un ouvrier chargé de l'entretien des voies ferrées. Depuis combien de temps êtes-vous dans le métier ?
J'ai été commissionné au 1er janvier 1981. Ça fait un peu plus de 36 ans maintenant. Ça commence à faire long, surtout pour mon dos ! Vous pouvez me raconter une journée type ?
Mon métier consiste à surveiller et entretenir les voies ferrées – alors mon quotidien, c'est les rails, les rails et encore les rails. En ce moment, comme tous les débuts d'année, nous faisons des tournées à pied pour vérifier la conformité des voies. Je vérifie les profils de ballast, j'étudie l'état des rails et je relève les défauts de nivellement. Je marche le long des voies ferrées, surveillé par un agent qui m'annonce les circulations ferroviaires. Aujourd'hui, par exemple, j'ai dû remplacer une éclisse [un morceau de métal qui relie deux rails], cette pièce étant fissurée. Si on ne le fait pas, à la longue, un train pourrait dérailler.

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Sur une de vos photos, j'ai vu une horloge qui indique six heures du matin. C'est votre horaire de réveil ?
Les photos que j'ai prises s'étalent sur une semaine : je me réveille en principe tous les matins à 6 heures – lorsque je travaille de jour –, mais malheureusement nous travaillons de plus en plus de nuit, au moment où le trafic est moins important.

Quand on pense aux agents d'entretien des rails, on imagine un métier ultra physique. C'est le cas ?
Ce n'est que du travail physique ! On manipule en permanence des outils et on soulève des charges lourdes. On sait ce qu'on a à faire, on le fait et puis c'est tout.  Il y a quelques années, pendant trois  mois, j'ai dû partir sur des chantiers pour des missions de Renouvellement Voie et Ballast (RVB). Chaque semaine, je devais quitter ma famille pour effectuer des missions intéressantes, mais très éreintantes. Avec les travaux physiques viennent les blessures, bien entendu. Je me suis fait opérer des ménisques aux deux genoux à force de bosser constamment à genoux, plus une blessure à l'épaule – rupture de tendon – à cause d'un mauvais geste avec un outil.  C'était comment avant, dans les années 1980, de bosser sur les voies ferrées?
Tout se faisait à la main. C'était douloureux et vraiment fatiguant. On avait une brouette, une pelle, une pioche et on brassait du caillou du matin au soir – quand il gelait l'hiver et sous le soleil l'été. Heureusement, le boulot a beaucoup évolué depuis le milieu des années 1990. Nous sommes mieux équipés, les machines nous aident énormément. Et parce que je ne suis pas loin de la retraite, je fais encore moins de travail physique. Ça a du bon de vieillir, parfois.

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Je vois. Que pensez-vous de votre situation actuelle – ou, plus globalement, du statut des cheminots en France aujourd'hui ?
Il a beaucoup changé.De plus en plus de personnes sont recrutées après l'âge de 30 ans et n'ont pas le statut le statut SNCF car elles ont un contrat privé.Il y a de plus en plus d'entreprises privées qui font notre boulot. Nous, en tant qu'ouvriers de la SNCF, on s'assure que tout se passe bien, on fait un travail de supervision. Sarkozy avait commencé à privatiser les chemins de fer et Hollande a enfoncé le clou… Depuis dix ans, c'est la galère. Aujourd'hui, des cheminots, il en reste de moins en moins. Avant, nous étions privilégiés avec la retraite à 55 ans. Mais maintenant, la retraite est presque la même que dans le privé. Alors avec la charge de travail physique et les horaires difficiles, certains ont décidé de quitter le  chemin de fer, pour effectuer le même travail dans les entreprises privées avec un meilleur salaire. Il ne nous reste presque plus que les voyages en train gratuits – mais je suis le seul de mes collègues à voyager en train, les autres ne profitent même pas de cet avantage. Les gens prennent le train pour aller en vacances mais ils ne partent qu'une fois dans l'année – ça fait un billet aller-retour, c'est à peu près tout. J'ai des collègues qui ne sont pas montés dans un train depuis dix ans !

On ne voit pas beaucoup de photos de vous en dehors du boulot… Que faites vous de votre temps libre ?
Je fais de la pêche et je passe du temps sur mon canapé à regarder la télé – surtout le rugby –, pour me reposer de la semaine. Est-ce que vous recommanderiez ce métier à un jeune aujourd'hui ?
Oui, absolument. Il y a une énergie formidable dans les chemins de fer ! C'est un métier dur, mais qui reste intéressant. Il y a plein de filières possibles : l'entretien des voies, le service mécanique, les aiguillages, les billets, et des services plus classiques comme le marketing par exemple.  En plus c'est une structure qui permet de commencer de la base et gravir les échelons. On peut évoluer ! Merci, Marc.

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