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Sur les traces de la plus grande empanada du monde

J’ai deux obsessions bien précises : la bouffe et la céramique. Un village de potiers paumé, déjà ça me parle. Mais quand en plus, j’apprends que dans le même village, on trouve aussi la plus grande empanada du monde, c’est plié.

Direction Pomaire donc, à 67 km à l’ouest de Santiago du Chili. Ici, on travaille l’argile depuis les Incas. On retrouve d’ailleurs les créations de poteries sobres et ocres, typiques du lieu, un peu partout au Chili. Mais ma mission, aujourd’hui, allait être d’en savoir un peu plus sur l’autre curiosité locale, un chausson de pâte fourré que l’on dit complètement démesuré. Il est 15 h 30, c’est le jour de la rentrée des classes et il n’y a pas un chat dans les rues – à part quelques chiens errants écrasés par la chaleur. Côté restaurants ou échoppe d’artisan, c’est l’alternance dans toute la rue principale. 

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Chez La Greda, dans le restau désert, après le déjeuner. Toutes les photos sont de Charles-Henry Salmon.

On décide de s’incruster en fin de service chez La Greda (qui veut dire « l’argile », en espagnol), le restaurant à l’origine de ce fameux projet d’empanada géante. On y sert aussi des spécialités chiliennes – dans une vaisselle artisanale et locale –, comme le pastel de choclo, une sorte de gratin de polenta au maïs sucrée, bien roboratif. Eduardo Larrin, le proprio, nous sort fièrement quelques photos fanées de ses archives et des coupures de presse qui rendent compte de cette fameuse journée de 1995 où son restaurant est entré dans l’histoire.

En 1995, Eugenia pose au côté de la fierté locale : une empanada de 550 kg.

Ce jour-là, avec son chef, Luis Garáte, ils s’étaient mis en tête de créer « la plus grande empanada du monde » pour attirer les projecteurs sur le village. Pourquoi ce plat plutôt qu’un autre ? « C’est la spécialité de Pomaire, on voulait promouvoir un produit typique. Ici, chaque resto a sa recette bien à lui qu’il garde jalousement. La nôtre, c’est celle d’Eugenia Arenas, une cuisinière qui travaille avec nous depuis 30 ans ». Pour Valentina, qui descend chaque jour sa vaisselle faite main dans la montagne jusqu’à sa boutique, « c’est une tradition nationale, pas seulement locale. Les Chiliens sont fans d’empanadas du nord au sud ». Mais si elles sont si populaires dans le village, c’est peut-être car « traditionnellement, les potiers les faisaient cuire dans le four à bois en même temps que leur ouvrage », finit par concéder le patibulaire Mario, qui tient un des bazars de la rue.

Eugenia Arenas, boss chilienne de l’empanada.

Une semaine de boulot, 9 personnes, 250 kg d’oignons, 70 de bœuf, 45 de poulet, 15 de beurre, 5 d’olives, 2 de raisins secs, 150 œufs et un four sur-mesure plus tard, le beau bébé de 550 kg faisait sa sortie officielle devant une foule en liesse, les notables du coin et la presse, avant de lui faire un sort. D’après Eduardo, même l’enquêteur du livre des records était présent, mais il n’a jamais su si la performance avait été officiellement reconnue. Après vérification, elle n’apparaît pas dans le Guinness World Record de l’époque, mais la légende persiste toujours. À tel point que depuis cette journée historique, la Greda aurait « lancé la mode ». Tous les restos du bled ont désormais la folie des grandeurs et exhibent fièrement des versions d’un demi, voire d’1 kg en vitrine.

Il est grand temps de lancer les travaux pratiques avec Eugenia et son empanada de pino de 500 g : sur le disque de pâte, la cuistot au large sourire pose consciencieusement une première couche de farce bœuf-oignons. Puis un demi-œuf dur, deux olives, quatre raisins secs et un pilon de poulet entier ( « c’est un peu la surprise, il y en a qui s’y sont déjà cassés les dents ») avant de recouvrir le tout d’une bonne louche de farce. 

Deux trois secrets de famille par-ci par-là, qu’elle ne veut pas lâcher. Eugenia replie ensuite la pâte en trois, façon chilienne (différente de sa cousine argentine avec son bord froncé). Un œuf battu pour dorer le tout, 10 minutes au four à 80-100 degrés, on va enfin pouvoir passer aux choses sérieuses.

Eugenia Arenas, l’empanada et Eduardo Larrin, le proprio.

Premier constat : impossible à bouffer avec les doigts ! On attaque la bête au couteau avant de piocher de larges bouchées trempées dans le pebre, la sauce maison au piment ají pour relever le tout en évitant le drame avec les os de poulet. 

Sur la table : empanada, pastel de choclo et pebre de aji.

La viande est juteuse et la pâte bien épaisse, ça dégouline dans tous les sens. C’est costaud, on n’est pas trop de deux pour en venir à bout. Tiens d’ailleurs, il y a sûrement du cumin dans les fameux secrets de famille d’Eugenia. À défaut d’être stricto sensu la plus grande de la planète, c’est clairement une des empanadas les plus obèses croisées en Amérique latine.


La Greda
Manuel Rodriguez 251
Pomaire, Chili