Survivre, mais à quel prix ? Avec les femmes devenues stériles à cause d’une chimiothérapie

Becki McGuinness avait 21 ans le jour où on lui a diagnostiqué un ostéosarcome – une forme assez violente du cancer des os. Elle ne s’est pas tout de suite demandé si son futur traitement allait la rendre stérile ou non. « Si j’avais été au courant des possibles séquelles, je me serais posé la question, dit-elle. Mais toutes mes interrogations ont été balayées par les médecins. »

Aujourd’hui âgée de 30 ans, Becki est stérile à cause d’une chimiothérapie qui lui a sauvé la vie. Depuis quelques années, elle défend le droit des jeunes patientes atteintes d’un cancer à accéder à de plus amples informations sur leur fertilité.

Videos by VICE

« Quelques mois après mon diagnostic, un spécialiste de la fertilité m’a dit que l’on aurait eu assez de temps avant l’entame du traitement pour protéger ma fécondité, raconte Becki. J’ai l’impression que mes cancérologues ont fait le choix à ma place. Être jeune et stérile est une situation difficile. »

Le traitement d’un cancer – et la chimiothérapie en particulier – peut avoir un effet dévastateur sur la fécondité des femmes car « les médicaments sont conçus pour détruire les cellules en division » m’explique le docteur Anne Rigg, oncologiste au Guy’s and St Thomas’ Hospital de Londres. « Le traitement affecte le follicule pileux, les cellules présentes sur les joues et, pour les femmes non ménopausées, les ovaires. »

L’ampleur de l’impact, ajoute le docteur Rigg, dépendra du type de cancer, de l’agressivité du traitement et de votre âge. « Pour les femmes âgées de 25 à 35 ans, la probabilité de devenir stérile sera moins élevée que pour une femme de 45 ans car leurs ovaires, beaucoup plus jeunes, seront moins endommagés par la chimio. Certains traitements contre le cancer peuvent avoir une influence moindre sur la fécondité mais dans le cas d’un lymphome ou d’un sarcome, le cocktail de médicaments utilisé est très agressif. »

La campagne de Becki, The Vicious Cycle, vise à attirer l’attention sur les effets des chimiothérapies sur la fécondité des jeunes femmes. Cancer Resarch UK, association contribuant au financement de la recherche, précise sur son site que « la chimiothérapie peut empêcher le fonctionnement des ovaires de façon ponctuelle ou permanente » et qu’« une possible stérilité dépendra en partie des médicaments et des doses administrés ». Au Royaume-Uni, les grandes directives en matière de santé publique sont actuellement dictées par le National Institute for Health and Care Excellence (NICE), qui préconise « un accès simplifié à l’information sur la fécondité à destination des femmes atteintes d’un cancer, dont le traitement est susceptible d’endommager sérieusement le système reproducteur ».

En dépit de ces préconisations, une étude récente conduite par le St Mary’s Hospital de Manchester a montré que moins de 4 % des femmes atteintes d’un cancer congelaient leurs ovocytes ou leurs embryons avant d’entamer une chimiothérapie ou une radiothérapie. Toujours d’après la même étude, près de la moitié des femmes âgées de 15 à 34 ans traitées contre le cancer – environ 4 000 par an – deviennent stériles après le traitement.

Kate Dobb avait 10 ans lorsqu’on lui a diagnostiqué un cancer. Son traitement l’a rendue stérile. Photo publiée avec son aimable autorisation

Néanmoins, la volonté des pouvoirs publics de rendre l’information plus accessible est bien présente. L’association CLIC Sargent a récemment lancé un guide sur la fertilité à destination des jeunes patientes. Pour Becki, les efforts déployés ne sont pourtant pas suffisants. Elle aimerait que les cancérologues s’impliquent davantage et conseillent aux jeunes femmes de consulter des spécialistes. « Malheureusement, bien trop souvent, l’oncologiste impose sa décision aux patientes », dit-elle.

Daisy Tuner, 28 ans, est la preuve qu’un traitement peut parfaitement se dérouler. Lorsqu’on lui a diagnostiqué un syndrome myélodysplasique – maladie précédant généralement une leucémie – à l’âge de 19 ans, on lui a immédiatement dit que son traitement la rendrait très probablement stérile.

« Mes médecins ont su me rassurer tout de suite en me disant que l’on avait encore le temps d’essayer un traitement qui pourrait, avec un peu de chance, me permettre d’avoir des enfants, me précise Daisy. On m’a envoyée vers le département de fertilité pour une consultation et ainsi me mettre au courant des options possibles. »

Lorsque la chimiothérapie n’est pas urgente, les femmes pubères et non ménopausées peuvent avoir recours à une fécondation in vitro avant le début du traitement afin de congeler les ovocytes, des embryons – voire les deux. « Nous pouvons stimuler leurs ovaires, extraire les ovocytes et les congeler pour un usage futur – ou bien les féconder avec le sperme de leur partenaire et garder ces embryons au frais », m’explique Yacoub Khalaf, gynécologue au sein du service de procréation assistée du Guy’s and St Thomas’ Hospital Trust de Londres.

Dans le cas de Daisy, son petit ami Keith – aujourd’hui son mari – ne voyait aucune objection à créer et congeler des embryons, même si leur couple n’était encore qu’à ses balbutiements. Néanmoins, Daisy n’a pas voulu mettre tous ses œufs dans le même panier et a ainsi tenu à conserver des ovocytes non fécondés.

« La période où l’on m’a injecté des hormones pour stimuler la production d’ovocytes était vraiment horrible, se souvient-elle. Le traitement reproduit les effets de la grossesse. Du coup, mes seins étaient devenus énormes. J’étais grosse, très émotive et en proie à de sévères sautes d’humeur. La procédure pour récolter les ovocytes est relativement simple mais le lendemain, j’avais très mal – comme si on m’avait frappée dans l’utérus. »

Quelques mois plus tard, lors de sa sixième semaine de chimiothérapie, Daisy a connu une ménopause précoce. « On ne m’avait pas dit grand-chose à ce sujet !, déplore-t-elle. Mes médecins m’avaient plus ou moins prévenue que ça pouvait arriver, mais aucun ne m’a dit que ça arriverait d’un coup, que je saignerais abondamment et que j’aurais des énormes bouffées de chaleur. »

Daisy précise s’être sentie vraiment laide durant son traitement, allant jusqu’à « faire le deuil de [sa] jeunesse ». Pourtant, elle admet aujourd’hui que ça en valait la peine. Neuf ans plus tard et après sept ans de rémission, Daisy et son mari savent que leurs embryons sont conservés et qu’ils peuvent les utiliser quand bon leur semble.

Kate Dobb avec ses enfants. Photo publiée avec son aimable autorisation

Lorsqu’elle avait 10 ans, Kate Dobb a appris qu’elle souffrait d’un violent rhabdomyosarcome – une sorte de cancer des muscles. Personne n’a tenu à lui dire que son traitement pouvait la rendre stérile. C’est à l’âge de 13 ans qu’elle a appris qu’elle l’était devenue. Elle a de suite entamé un traitement hormonal substitutif.

« J’ai évoqué le sujet à la fin de mon adolescence et mon médecin ne savait pas comment réagir, raconte-t-elle. Il devait sûrement se dire qu’à côté d’un cancer de niveau quatre, la stérilité n’était pas vraiment un problème – sauf que c’était un problème majeur pour moi. »

Le docteur Khalaf m’explique qu’aujourd’hui les femmes peuvent enfanter en utilisant des tissus ovariens congelés avant le début du traitement, alors qu’elles sont encore prépubères. Il y a 20 ans, cette option n’existait pas.

À 30 ans, Kate s’est rendue dans une clinique spécialisée pour y rencontrer un expert. Ce dernier lui a alors redonné espoir. Pour la première fois de sa vie, on lui disait qu’elle aussi pouvait devenir mère. « Il a tout de suite parlé de dons d’ovules et de maternité de substitution », raconte-t-elle.

À la suite de la proposition de don d’ovocytes émise par sa sœur, Kate et son partenaire Nisar ont contacté la Donor Conception Network et Surrogacy UK. Après cela, ils ont rencontré Mikki, qui allait recueillir l’embryon dont Kate avait toujours rêvé.

Kate et Nisar ont aujourd’hui des jumeaux de trois ans. Ils sont toujours proches de la femme qui les a mis au monde. Après deux décennies passées à se battre pour être prise au sérieux, Kate pense qu’il est vital de mieux informer les jeunes patientes, avant et après leur traitement.

Le docteur Rigg est plutôt optimiste pour l’avenir. « Les patientes guérissent de plus en plus, rappelle-t-elle. Il est désormais de notre devoir d’améliorer leur qualité de vie pendant et après la maladie. Nous ne pouvons plus dire : “Nous sommes désolés, mais au moins vous êtes en vie.” Les personnes atteintes d’un cancer doivent être capables de retrouver une vie normale après leur guérison. »