Avec les 1 300 réfugiés de l’aéroport de Berlin-Tempelhof

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Avec les 1 300 réfugiés de l’aéroport de Berlin-Tempelhof

Dans les « boxes » des réfugiés syriens, irakiens et afghans empilés dans un aéroport désaffecté.

Haidar attend depuis six mois dans le box de 25 mètres carrés qu'il partage avec trois autres personnes. Il fait partie des plus chanceux – certains réfugiés partagent un espace de seulement 12 mètres carrés avec 11 autres personnes. Ils vivent tous à Tempelhof, à Berlin. Bâti en 1927, l'ancien aéroport a été considérablement agrandi par les nazis dans les années 1930. Célèbre pour sa sinistre architecture et sa grande taille, il a permis de créer un pont aérien pour les Allemands de l'Ouest durant le blocus de Berlin. Aujourd'hui, il héberge 1 300 réfugiés qui attendent impatiemment de pouvoir vivre dans un endroit moins précaire afin de s'intégrer au reste de la société. Les gens qui vivent ici sont censés y rester seulement six semaines, mais en raison d'un manque de logements, beaucoup sont là depuis plus de six mois.

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À l'intérieur, l'air est chaud. Des gardes protègent chaque issue. Ils m'observent avec attention alors que je déambule à travers les couloirs, parmi des employés qui ramassent le linge et des enfants qui jouent. Si l'endroit offre aux réfugiés un toit sur la tête, trois repas par jour et des conditions de vie convenables, l'incertitude quant à l'avenir et le manque d'espace sont source d'insécurité et de malaise parmi les gens qui y vivent. Je désirais montrer à quoi ressemble leur quotidien. Je suis donc allé leur rendre visite dans leurs chambres – ou plutôt « boxes », comme ils les appellent.

Issa, 25 ans, Bagdad (Irak)

Je suis à Tempelhof depuis novembre 2015. Je vis ici avec deux amis de Bagdad. On a vraiment de la chance car on est seulement trois dans ce box – ils sont plus nombreux dans les autres. Je ne peux pas vraiment me plaindre. La principale différence entre ici et Bagdad c'est que là-bas, je me sentais en sécurité quand j'étais chez moi, mais pas du tout dès que je mettais un pied dehors. Ici, c'est l'inverse : quand je suis dans mon espace, je ne me sens pas à l'aise, mais dès que je sors je suis bien mieux.

Sayed, 37 ans, Mazâr-e Charîf (Afghanistan)

Je suis là depuis plus de quatre mois. Je ne sais pas du tout ce que je vais faire ensuite, ni combien de temps je vais rester là. La vie ici n'est pas agréable – surtout pour ma santé mentale. Ce matin, on a eu des problèmes avec les gardes. On a aussi des soucis d'intégration. On est censés avoir un cours à ce sujet, mais on n'a aucune nouvelle. Je vis avec deux autres familles dans le box, soit 12 personnes au total. Je suis obligé de les apprécier ; je n'ai pas le choix.

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Hamza, 28 ans, et Akram, 16 ans, Quneitra (Syrie)

Nous sommes à Tempelhof depuis six mois et demi. Nos frères se battent en Syrie tandis que nous nous battons ici. Le plus dur est le peu d'espace et la façon dont on est traités. On nous considère comme des réfugiés et non comme des êtres humains. Le côté positif, c'est qu'on est maintenant en quelque sorte immunisés face aux conditions de vie pourries. Nous huit, dans cette chambre, nous nous sommes rencontrés sur le trajet pour l'Allemagne. On ne peut pas faire rentrer notre propre nourriture dans le bâtiment. On pensait que l'Allemagne nous offrirait de meilleures conditions de vie – c'est d'ailleurs pour ça qu'on a pris le risque de venir jusqu'ici.

Abdulrahman, 19 ans, Damas (Syrie)

Je suis à Tempelhof depuis cinq mois et demi. J'y vis avec ma sœur et mon oncle, et il y a aussi un autre type de Damas avec nous. Les conditions de vie ici sont plutôt mauvaises – vivre dans un espace aussi confiné, avec tant de gens, n'est pas sain. Mais nous avons pas mal d'amis ici – ils sont essentiellement originaires de Syrie et de Palestine – et on en a aussi d'autres en dehors du camp, chez lesquels on va parfois. La différence entre les endroits dans lesquels vivent mes amis et celui-ci est énorme. C'est beaucoup plus propre chez eux. Ils ont leur propre électricité, un frigo et du gaz. J'ai le sentiment que les critères de sélection entre ceux qui vont rester ici et ceux qui peuvent obtenir un logement sont assez injustes : ici, certains sont arrivés après nous et sont partis avant. Ils affirment que les familles doivent pouvoir partir avant, mais j'estime que l'on est nous aussi une famille : je suis avec ma sœur et mon oncle. Je ne suis pas heureux, mais j'essaie de garder le sourire.

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Ahmed, 31 ans, Hassaké (Syrie)

Je vis ici depuis environ six mois avec mon cousin de 12 ans. Je faisais un Master en économie agricole quand j'ai quitté la Syrie. On vivait dans une région où les milices fourmillaient ; les autorités étaient absentes. Mon cousin a été confronté à de nombreuses violences. On avait peur des traumatismes qui allaient en résulter. Comme c'est encore un enfant, il est plus facile pour lui de vivre dans un petit espace comme celui-ci, mais ses parents et sa maison lui manquent beaucoup. Je ne connaissais pas les gens avec lesquels je vis maintenant, même si on vient du même village. Je vais bientôt commencer mes études à l'université technique de Berlin, et je me demande où je pourrai réviser quand ça va commencer. Je vais avoir besoin d'un endroit avec davantage d'intimité. Je ne sais pas encore comment je vais faire.

Nadia, 37 ans, province de Lôgar (Afghanistan)

Je vis ici depuis maintenant quatre mois, avec mon mari et nos quatre enfants. C'est très compliqué. Le plus dur à supporter est sans doute le brouhaha incessant. Ma fille a une maladie mentale et son état s'empire quand il y a beaucoup de bruit. Mes enfants ne peuvent pas étudier une fois qu'ils sont sortis de l'école, mais ils apprennent l'allemand et je suis très contente pour eux. Mon fils ne veut jamais sortir jouer ; je dois le forcer. Il a beaucoup de mal à se faire des amis et à interagir avec les autres enfants. Mon rêve est que mes enfants fassent des études.

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Omar, 20 ans, Damas (Syrie)

Je suis à Tempelhof depuis octobre 2015. Je vis avec sept autres personnes que j'ai rencontrées ici, et on s'entend très bien. Je suis célibataire, donc c'est plus simple. Mais si j'étais marié ou si j'avais une famille, je leur dirais de ne pas venir ici car les conditions de vie sont désastreuses. Il y a seulement des hommes dans notre box, et ça ressemble un peu au service militaire. La nourriture n'est pas bonne, mais comme la plupart d'entre nous étions dans l'armée, on est habitués – les toilettes étaient néanmoins plus propres dans notre caserne. Les lumières sont allumées à six heures du matin et s'éteignent à 11 heures du soir. Et si tu es en retard pour un repas, tu ne manges pas.

Mohamad, 18 ans, Mayadin (Syrie), Khaled, 19 ans, Mossoul (Irak) et Sherko, 25 ans, Kirkouk (Irak)

Nous nous sommes rencontrés à Tempelhof. On vit tous les six dans cette pièce. On s'entend très bien, mais il n'y a pas beaucoup d'intimité. On a quand même l'impression de former une famille, ce qui est bien. On essaye – avec beaucoup de difficultés – de s'intégrer et de devenir amis avec des gens hors du camp et on les remercie beaucoup pour leur hospitalité. On ressent parfois un rejet à notre égard. Un jour, avec un ami, alors que l'on parlait fort, deux filles devant nous se sont retournées, nous ont regardés et ont commencé à s'éloigner en accélérant le pas.

Haidar, 24 ans, Kirkouk (Irak)

Je suis à Tempelhof depuis maintenant six mois, et je vis avec trois autres personnes. Je suis issu d'une famille de la classe moyenne supérieure d'Irak et, quand j'ai entendu parler des opportunités qu'il y avait en Allemagne, je ne m'attendais pas à vivre dans ces conditions. J'aimerais rentrer chez moi, mais la situation là-bas empire de jour en jour. Pour l'instant, je dois juste subir cet état de fait. Je pense que, dans deux ans, je serais peut-être toujours ici, à Tempelhof. Il est déjà compliqué pour un Allemand de trouver un logement à Berlin, alors pour nous…

Michaela, 19 ans, et Kutzung, 19 ans (Érythrée)

On est des amis d'Érythrée, on est venus ici ensemble et on est là depuis maintenant six mois. On est chrétiens, mais il y a surtout des musulmans dans le camp. Néanmoins, cela ne nous a jamais posé de problème. On espère trouver rapidement du travail ici, en Allemagne – n'importe quel job nous rendrait heureux.