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De l’art de boire du mezcal sauvage

Tobalá agave, the most Bulbasaur-looking agave in Mexico.

Dans la mezcalería Los Amantes de Oaxaca, il est difficile de ne pas se sentir observé. Une tête de chèvre empaillée est accrochée sur un mur. En face, c’est la silhouette d’une jeune femme nue qui se dessine. Derrière le bar, une poupée en papier mâché repose dans une vitrine.

Los Amantes a ouvert ses portes en 2006, soit un peu avant que le mezcal ne gagne en popularité. L’artiste Guillermo Olguin, le maître distilleur Eric Hernández ainsi qu’Ignacio Carballido et Gerardo Rejón en sont les propriétaires. Tous voulaient créer un endroit où déguster leur mezcal et éduquer les touristes mexicains et internationaux de passage aux alcools locaux. Le bar est tellement petit qu’il n’y a même pas la place pour des toilettes.

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Les décorations de Los Amantes. Toutes les photos sont de l’auteur.

Le décor d’Oaxaca, mi-surréaliste et mi-typique, vaut à lui seul le détour. Par contre, quitter le bar sans avoir goûté leur sélection de mezcales d’agave sauvage est une connerie. Pour l’amateur de mezcal, rien ne vaut une petite discussion avec l’un de leurs employés, Xavier Amayo.

C’est lors d’une très agréable soirée dans le Centro Histórico d’Oaxaca que Xavier m’a tout expliqué sur le mezcal d’agave sauvage, plus connu ici sous le nom de silvestre. Les mezcaleros comme ceux de Los Amantes font d’abord pousser des plants d’agave pendant quelques années avant d’aller les planter dans la nature. À partir de là, la plante vit sa vie pendant dix, quinze ou même vingt-cinq ans. Contrairement à la majorité des agaves qui servent à produire du mezcal, personne ne surveille leur croissance.

« Il faut voir l’agave : ses plants ont besoin d’espace et de liberté », explique Xavier.

Xavier Amayo travaille à Los Amantes depuis deux ans.

Dans la nature, les agaves peuvent pousser n’importe où. Leurs racines vont s’entremêler avec les autres herbes et le reste de la flore locale. D’autres facteurs comme l’altitude ou la composition du sol vont également façonner le profil aromatique du mezcal. 

« Voici l’un de mes agaves préférés. Je ne sais pas pourquoi mais je le trouve délicieux », me confie Xavier alors qu’il nous verse un verre de mezcal de tobalá sauvage.

À Oaxaca, ne soyez pas surpris si on vous sert du mezcal dans un verre qui sert normalement à contenir les petites bougies de prière dans les églises.

À Oaxaca, ne soyez pas surpris si l’on vous sert dans un verre qui accueille normalement les petites bougies de prière dans les églises.

Le tobalá est un petit agave aux feuilles lourdes qui ressemble fichtrement à Bulbizarre – le Pokémon. C’est l’un des plus petits agaves utilisés pour la fabrication du mezcal et il lui faut entre dix et douze ans pour arriver à maturation. On l’appelle aussi « l’agave des soulards ».

Xavier m’explique ensuite comment bien déguster un tel mezcal. Il faut d’abord humidifier sa bouche avec de la salive – n’allez pas goûter ça la bouche sèche. Vous pouvez ensuite prendre une petite gorgée de mise en bouche. « C’est normal de sentir à la première gorgée une grosse bouffée d’alcool, quelque chose de surprenant », me prévient Xavier. « Il y a 45% d’alcool pur là-dedans soit 90 proof (ndlt : autre unité utilisée aux Etats-Unis) , donc c’est une boisson assez chargée. »

C’est après l’uppercut initial qu’on perçoit les différentes notes du mezcal. « Les meilleurs arômes arrivent après la première gorgée. »

Xavier préfère déguster le mezcal dans des flûtes ou des ballons afin de mieux percevoir tous les arômes.

Comme pour le vin, sentir le mezcal est une étape de la dégustation. « On va pouvoir identifier différentes saveurs », commente Xavier en allant de verre en verre. Il préfère déguster dans des flûtes à Champagne ou des ballons qui permettent de mieux envoyer tous les arômes directement dans le nez. Ce n’est pas trop dans les mœurs des bars de la ville où l’on est plutôt du genre à servir le mezcal dans les verres contenant les bougies d’église.

Xavier nous a ensuite servi du barril et de l’arroqueño. « L’arroqueño est l’un des plus grands agaves. Il prend plus le goût du terroir car ses racines se développent plus, captant davantage de nutriments et de saveurs. » Chaque cuvée a un goût différent, de l’épicé à l’étrange jusqu’au végétal. Mais aucun n’est aussi sucré que ce que Xavier présente comme le « Roi » des agaves à mezcal, l’espadín.

L’agave tepeztate sauvage pousse n’importe où. Cette espèce met 25 ans à arriver à maturité.

L’espadín est l’agave de base pour faire du mezcal. Ses feuilles sont longues et fines – c’est vraiment le top-model de la famille. Son nom vient du mot qui signifie « épée » en espagnol, en référence justement à ses feuilles, ses pencas, aussi coupantes que de l’acier.

« L’espadín est l’un des agaves les plus faciles à cultiver. Certains mezcaleros le préfèrent aux autres espèces d’agave sauvage qui représentent plus de travail », explique Xavier.

L’espadín, le roi des agaves et du mezcal.

Grâce à la quantité de sucre contenue dans le roi des agaves, un mezcalero aura besoin de moins d’espadín que d’agave sauvage pour faire une même quantité de mezcal. Un agave sauvage comme le tepeztate qui pousse au sommet des collines escarpées consomme pas mal de sucre simplement pour exister.

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« Les agaves sauvages consomment plus de sucre pour survivre que pour grandir. C’est pour ça que c’est si long à faire pousser », me dit Xavier. Le tepeztate met deux fois plus de temps que l’espadín pour arriver à maturité, soit vingt-cinq ans.

Des amateurs pour la cueillette ?

Que vous dégustiez un silvestre ou un mezcal d’espadín, sachez que vous êtes en train de boire un liquide précieux. Vu la patience qu’il faut avoir avant d’obtenir un agave bien mûr, vous pouvez prendre le temps de l’apprécier. « Le mezcal est un alcool majestueux, il faut le savourer avec respect, en prenant son temps. Ne le buvez pas en shooters », implore Xavier.

L’agave cuixe sauvage pousse en groupe et uniquement entouré des siens.

Cette dégustation n’est qu’une entrée dans le monde vaste et fabuleux du mezcal. Avant de poursuivre ma route, Xavier me met en garde.

« Il faut se méfier du mezcal car il devient ce que tu ressens. Si tu es de bonne humeur et si tu bois du mezcal, tu vas peut-être te sentir sur un petit nuage. Mais si tu es en rogne, tu peux finir par te castagner avec tout le monde. Le mezcal révèle ce qui est en toi. C’est pour ça que c’est une boisson très spirituelle. Unique et spirituelle. »