Les armes que Nazzareno Tassone a vendues avant de quitter Edmonton n’avaient rien à voir avec celles qu’il a utilisées pour combattre le groupe État islamique (EI).
Elles avaient la particularité d’être conçues en plastique plutôt qu’en métal. Les projectiles ne risquaient pas de causer la mort, même pas de traverser une armure. Dans un groupe de grandeur nature sur Facebook, Nazzareno avait écrit : « Bonnes gens, comme vous aimez les armes Nerf, j’en ai quelques-unes à vous vendre. Elles marchent toutes. Peu de pièces manquantes. Je dois m’en départir parce que je quitte le pays. Merci de votre temps. »
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Sept mois après avoir vendu ses armes jouets, le 21 décembre dernier, Nazzareno est mort au combat, au cours d’une opération contre l’EI pour reprendre Raqqa.
Nazzareno était originaire de Keswick, en Ontario. À l’adolescence, il avait déménagé à Niagara Falls, où il a rencontré Aleks Rakocevic, qui allait devenir un ami de longue date. En entrevue avec VICE, ce dernier décrit Nazzareno comme « un gars très ambitieux, très enthousiaste, qui faisait tout ce qu’il entreprenait avec cœur ». Un jeune homme qui aimait essayer de nouvelles choses.
« On jouait ensemble à des jeux de rôle. Il aimait jouer des personnages et faire tout ce qu’on pouvait faire dans les jeux, raconte-t-il. Il avait beaucoup de passe-temps. On a fait connaissance en jouant au airsoft. Il avait joué au paintball quand il était plus jeune. Les passe-temps changent avec le temps. »
Aleks dit que son copain aimait l’armée et avait toujours voulu entrer dans les Forces canadiennes, sans y parvenir. « Il voulait toujours faire partie de choses plus grandes que lui, et on dirait que c’est ce qu’il a fait. »
En 2014, Nazzareno a déménagé à Edmonton avec sa blonde pour travailler pour le Canadien Pacifique. Dans la capitale albertaine, il a continué de participer à des jeux de rôle, à se faire des amis hors ligne et en ligne. Sa photo de profil Facebook a été prise à ce qu’il a appelé « les Oscars des grandeurs natures à Edmonton ». Un jour, il a perdu son emploi, mais après un certain temps a été embauché par Impark, une compagnie de stationnement.
Au début de 2016, il a commencé à parler à des amis d’aller combattre l’EI au Moyen-Orient. En juin, il a pris l’avion à destination du Moyen-Orient, après avoir dit à sa famille qu’il allait enseigner l’anglais en Iraq. À son arrivée en Turquie, il a rencontré un recruteur des Unités de protection du peuple ( Yekîneyên Parastina Gel, abrégé YPG) et a joint leurs rangs.
Mike Webster, un de ses amis sur internet, est l’un des seuls à qui il a parlé de son projet. « Il était certainement idéaliste, dit-il. Je ne pense pas que c’est l’aventure qui le motivait. Il voyait ce qui se passait là-bas et il trouvait ça horrible. Il voulait faire quelque chose pour aider. »
YPG est la branche armée d’une organisation kurde, forte d’environ 50 000 combattants dans le nord de la Syrie, une région appelée Rojava. Le groupe se bat pour une démocratie laïque et féministe, contre le groupe théocratique qui se fait appeler État islamique. Au sein de cette force, il y a les Unités de protection de la femme (Yekîneyên Parastina Jin, YPJ), une brigade de milices féminines, et des étrangers de partout dans le monde ayant quitté leur pays pour prendre les armes.
Macer Gifford, un Britannique qui s’est battu pendant des mois avec le YPG, aujourd’hui directeur général de Friends of the Rojava Foudation, pense avoir rencontré Nazzareno à son dernier jour en Syrie, en 2016, alors qu’il accueillait les nouveaux. Du moins, il le connaît au moins de réputation. « C’est un garçon très gentil, très calme, très populaire. Beaucoup de combattants sont dévastés par cette nouvelle. Il a été d’un courage exceptionnel. Les autres le surnommaient affectueusement “Nazz”. »
Selon Macer, il est courant que des personnes sans expérience militaire se joignent aux YPG et se débrouillent parfois mieux que d’anciens soldats parce que les styles de combats sont différents.
Même si l’accès à internet dans la région était difficile, Nazzareno a donné des nouvelles à Mike Webster quand il le pouvait. Dans son dernier message, envoyé en novembre, il racontait s’être bien défendu au cours d’une bataille appelée Manjib et s’être fait une place dans le groupe. « Au début, il avait un rôle de fantassin, dit Mike. La dernière fois que je lui ai parlé, il était tireur d’élite. Il en était fier. Il était fier du travail qu’il faisait. »
Mike a appris que Nazzareno se trouvait avec Ryan Lock, un Britannique de 20 ans, le 21 décembre. Alors qu’ils gardaient un poste de contrôle, l’EI a mené une attaque et les deux sont morts dans la bataille. Macer a entendu la même histoire. Il était au front, dans une région où il y a beaucoup de tireurs d’élite, de mines et de « combats terribles ».
L’EI affirme qu’elle compte 7000 combattants à Raqqa, une ville stratégique. Macer Gifford la décrit comme le véritable cœur, la capitale militaire de l’État islamique, qui refuse de l’abandonner. « Pendant que le monde a les yeux tournés vers Alep, une guerre secrète se livre dans le nord de la Syrie, la vraie guerre contre le djihadisme, assure-t-il. La vraie guerre contre l’État islamique. »
La bataille qui a coûté la vie à Nazzareno, Ryan Lock et quatre autres combattants s’est déroulée au village de Jaeber, tout près de Raqqa. S’il est impossible de savoir ce qui leur est arrivé avec précision, Macer connaît bien les opérations comme celle dans laquelle ils ont été tués.
« Ils auraient tenté de prendre le contrôle du village aux mains de l’EI, probablement dans la nuit, ce qui aide à passer inaperçu. Ils seraient entrés dans le village et auraient chassé l’EI. Ensuite, l’EI serait revenu en force et ils n’auraient pas pu résister. Ils seraient morts dans ce combat brutal. »
L’EI n’a toujours pas rendu le corps de Nazzareno. Sa famille a créé une page Facebook implorant le gouvernement canadien à rapatrier le corps du jeune homme. Sur cette page, on peut lire un extrait d’une lettre que leur a fait parvenir YPG.
« Nazzareno était non seulement un combattant qui nous donnait des forces supplémentaires pour notre combat. Avec son expérience et ses connaissances, il était aussi un exemple pour les jeunes combattants. »
Interrogé au sujet de ce qui a amené un jeune canadien à se battre contre l’EI au sein des forces kurdes, Macer Gifford explique que c’est une voie toute tracée. Les recrues de l’étranger sont des communistes, des conservateurs, des mondialistes et, dans ce cas-ci, un amateur de jeu de rôle au grand cœur. Quand on se bat contre l’EI, on ne tient pas compte des différences, seulement de ce qu’on a en commun.
« La raison pour laquelle on s’entend bien, qu’on soit un ancien soldat ou non, un conservateur ou un gauchiste, c’est qu’on croit tous à la démocratie, explique-t-il. Aller là-bas et se battre pour une démocratie laïque a une importance incroyable pour nous. Ce qui nous unit aussi, c’est la haine viscérale absolue de l’EI et de ses valeurs. »
Nazzareno est le deuxième Canadien mort au combat au sein des forces kurdes en Syrie. En novembre 2015, John Gallagher, est mort au bout de son sang après avoir été touché par une balle à la hanche. Quand Nazzareno est décédé, les YPG ont demandé l’aide de Macer par message texte pour prévenir sa famille. « J’ai réussi, par chance, à l’aide d’amis communs. Une personne à Niagara Falls l’a annoncé à sa mère avant qu’elle l’apprenne dans les journaux. »
Aleks Rakocevic est l’un de ceux que Macer a pu joindre. Il était là quand la famille de son ami a appris la nouvelle. Certains pensaient toujours que Nazzareno donnait des cours d’anglais en Iraq. « Je pense que personne parmi nous ne savait exactement ce qu’il faisait. On savait qu’il était dans une région kurde, mais on pensait qu’il enseignait l’anglais. Je ne m’attendais pas du tout à apprendre qu’il combattait. Ç’a été une nouvelle extrêmement bouleversante. »
En entrevue à la CBC, les parents de Nazzareno ont dit qu’ils étaient fiers de lui, que les YPG l’avaient décrit comme un héros et un martyr. Macer Gifford et Mike Webster ont ajouté que le jeune homme avait noué des amitiés très intenses avec ses camarades au cours des mois qu’il a passés à combattre l’EI. Il est mort pour ce en quoi il croyait.
« Il était avec ses amis, ce qu’il faisait le passionnait, il avait le sentiment de faire ce qui était juste, et je pense que tous ceux qui se rendent dans cette région savent qu’ils n’en reviendront peut-être pas. Il a payé de sa vie, mais il a montré le meilleur de lui-même, le meilleur du Canada aussi », dit Macer.
Mike Webster ajoute que dans toutes ses conversations avec Nazzareno, ce dernier n’avait jamais semblé avoir peur ou craindre pour sa sécurité. « Une fois, il m’a dit : “Même si les combats s’intensifient, je n’abandonnerai pas mes frères.” »
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