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L’île aux fromages ou le secret lacté le mieux gardé du Portugal

Impossible de parler de Terceira sans en évoquer ses vaches. Cette île est l’une des neuf de l’archipel des Açores. Elle est connue pour compter plus de bétail que d’habitants. Alors que mon avion atterrit à l’aéroport de Lages, j’aperçois à perte de vue des champs pointillés de Holstein noires et blanches, broutant tranquillement.

Ici, aucune étable ou barrières liées à ce type d’élevage. Les vaches laitières paissent en liberté. À 1 400 km de Lisbonne et sous un climat toujours tempéré, les vaches restent toute l’année en plein air et elles se nourrissent presque exclusivement d’herbe. On comprend donc pourquoi elles produisent l’un des meilleurs laits d’Europe.

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Curieuses, elles s’aventurent souvent jusqu’aux clôtures délimitant l’aéroport. Mon hôte Airbnb, Paulo, est venu me chercher en voiture. Sur le court trajet qui nous mène jusque chez lui, à Vila Nova, on s’arrête plusieurs fois pour laisser des troupeaux traverser.

Des meules de fromage sur l’île de Terceira. Photo via Visit Azores.

« À Terceira, tout tourne autour de l’industrie laitière », commente Paulo. « C’est un paradis à vaches ici et aussi un paradis pour les amoureux de fromage – on en mange à tous les repas. »

Alliant le geste à la parole, il me rapporte une meule de fromage que je goûte. Cela fait moins de trente minutes que j’ai posé le pied sur cette terre mais je suis déjà en train de déguster son frometon. J’en découpe la croûte jaune pour découvrir un cœur tendre à la texture crémeuse mais au goût bien affiné. Il existe beaucoup de fromagers sur l’île mais Paulo me précise que celui-ci a été fait par Quinta dos Açores, une maison qui a commencé dans les années soixante-dix avec vingt-cinq vaches et deux taureaux et qui est aujourd’hui devenue l’une des plus importantes de l’archipel.

Les présentations sont donc consommées. Sur cette île riche en fromages, ce n’est que la première de mes nombreuses et délicieuses rencontres. Au petit-déjeuner, on sert souvent un verre de yaourt local avec un morceau de pain et un bon bout de beurre bien jaune. Le café du matin se boit avec une grande lampée de lait. Avant le déjeuner et le dîner, on déguste un petit pain au maïs servi avec du queijo fresco – un fromage blanc léger – et une sauce pimentée, la pimenta da terra. Au dessert, on hésite entre le plateau de fromage et les crèmes glacées faites avec le lait très riche de la région.

Bref, Terceira est l’île de la tentation pour un vegan nostalgique des produits laitiers.

Les jersiaises broutent. Photo via Queijo Vaquinha.

Visiter cette île est assez déconcertant. Avec toutes ces collines et cette agriculture, on se croirait sur une île écossaise ou dans un épisode de L’Amour est dans le pré. Mais d’un coup, vous apercevez une rangée de palmiers ou bien les rouleaux énormes qui viennent s’écraser sur le sable noir de la côte volcanique. L’odeur du purin flotte toujours dans l’air car vous n’êtes jamais bien loin d’un ruminant de l’île.

Les quelques 400 km2 de cette île aux vaches sont presque entièrement consacrés à l’élevage bovin. Je repère parfois une brebis égarée ou quelques moutons mais la vaste majorité du bétail ici est composée de Holstein.

Le modèle agricole de Terceira est tout à fait différent de celui qu’on observe en Grande-Bretagne, où la concurrence et la productivité condamnent les vaches à vivre exclusivement dans des étables. Entre 15 et 20 % des vaches britanniques ne brouteront jamais de l’herbe fraîche, si l’on en croit les chiffres de Free Range Dairy.

Alors que sur l’île de Terceira, les vaches laitières passent l’année entière en pâture – ce qui explique la quasi-absence d’étables ou d’autres bâtiments servant à les abriter. Les vaches sont toujours en plein air. Les champs sont plus ou moins délimités par des rangées de pierres volcaniques empilées en guise de murets. Les éleveurs déplacent régulièrement leur troupeau pour éviter qu’une zone ne soit trop broutée.

Ce mode de vie à l’extérieur rend impossible l’usage de poste de traite fixe. La machine à traire portable est d’ailleurs une invention des Açores. Cela fait trente ans qu’elle fait partie intégrante de l’industrie laitière de l’île. Ces machines ne coûtent pas grand-chose à fabriquer et elles peuvent traire jusqu’à douze bêtes en même temps. Il s’agit d’un châssis porté par deux roues ; il peut être encastré sur un tracteur ou sur un cheval et il permet de traire les vaches directement dans les pâturages.

Le plus grand producteur de fromages de l’île est Vaquinha (« petite vache »). Ses fromages sont consommés aussi bien par les habitants de l’île que par les touristes. Ils sont d’ailleurs tellement appréciés qu’ils sont commercialisés au Portugal et à l’étranger. Leur fromagerie est située dans la capitale de l’île, à Angra do Heroismo. Elle ouvre ses portes aux touristes désireux de voir l’envers du décor et de déguster avant d’acheter.

João Henrique Melo Cota a commencé en tant qu’éleveur fournissant le lait de ses Jersiaises pour Vaquinha. Comme la majorité du bétail de l’île est composée de Holstein, il faisait exception. Aujourd’hui, il est devenu propriétaire de l’entreprise.

Dans l’usine de Vaquinha. Photo via Queijo Vaquinha.

« La production de fromages était tellement peu importante qu’ils ont failli tout arrêter. Le fromager était sur le point de prendre sa retraite et il n’avait aucun descendant pour reprendre son affaire », m’explique-t-il. « J’ai suggéré qu’on s’associe et en 1998, on a ouvert notre première fromagerie. Niveau contrôle de la qualité, on était loin de ce qu’on fait maintenant. »

Après plusieurs investissements, Vaquinha a pu ouvrir une nouvelle fromagerie en 2002, permanente cette fois. Depuis, ses fromages poivrés, affinés et riches en goût ont séduit toute l’île. João Henrique a élargi l’offre en créant des meules plus ou moins affinées. Le temps passé en cave va jusqu’à deux mois. Il a aussi eu l’idée d’un fromage épicé aussi fort et surprenant que le coup de sabot d’une mule.

Photo via Queijo Vaquinha.

À Terceira, s’asseoir en terrasse pour déguster un morceau de Queijo Vaquinha sur une épaisse tranche de pain, le tout accompagné d’un café noir et des embruns de la mer est un passage obligé pour tout touriste qui se respecte. Mais ce n’est que le début de l’aventure. Car partout où vous irez, on vous offrira du fromage : des doux qui fondent sur la langue, des plus affinés qui rappelleront un Cheddar comme le Vaquinha ou encore des doux mais fermes comme les fromages amanteigada (« comme du beurre »).

Les petits producteurs de fromage vendent leur production sur les marchés, dans les épiceries fines et dans les cafés de l’île. Difficile de résister à l’envie de tout acheter. J’ai fini par devoir porter sur moi l’essentiel des habits que j’avais pris dans mon bagage cabine afin de libérer de l’espace pour pouvoir ramener tous ces fromages chez moi.

Mais je reviendrai. La prochaine fois, j’aurais juste une plus grande valise.