Garçon ! Resservez-moi un autre Pécore ! Nous revenons avec notre série de cas, et cette semaine nous nous concentrons sur un sportif qui s’est démarqué tant par son caractère que sa mauvaise fortune dans une équipe pleine de finesse : aujourd’hui on se refait les meilleures anecdotes de l’ancien madrilène Thomas Gravesen.
Les Galactiques du Real et Shrek
En janvier 2005, le Real Madrid avait besoin d’aller de l’avant. Florentino Pérez était dans la merde jusqu’au cou, et l’équipe, après deux saisons blanches – terme on ne peut plus approprié – était à 7 points du FC Barcelone à la mi-saison.
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Qu’arrivait-il aux Galactiques ? La réponse du supporter moyen était que le Real manquait de chien ; la presse de la capitale a donc pris sur elle de réchauffer le mercato. D’après les journalistes, l’équipe avait besoin d’un milieu de terrain athlétique, organisé, généreux, talentueux et qui marque des buts. En somme les qualités que possède tout joueur digne d’occuper le poste de milieu défensif d’un grand club.
La nouvelle est tombée le 14 janvier : la solution aux problèmes des Merengues venait d’Angleterre et s’appelait Thomas Gravesen. En plus d’être, théoriquement, la pièce manquante de l’équipe, ce bon Thomas avait un avantage énorme… c’est qu’il ressemblait furieusement à un personnage de fiction sympathique qui connaissait alors son heure de gloire : Shrek.
Être comparé à un ogre devait faire rire le Danois…parce que le personnage était très sympathique. Dès les premiers instants, Gravesen a démontré que son transfert chez les les Madrilènes était inapproprié, même si il allait tout de même remplir sa fonction principale : distribuer des patates.
La légende de la gravesinha
La feuille de statistiques ne révèle rien de pertinent sur Gravesen. Thomas est arrivé en provenance d’Everton qui, bizarrement, a tout fait pour le garder. Le milieu de terrain était conscient que son transfert à Madrid pouvait être l’opportunité de sa vie, mais ça ne s’est jamais concrétisé : il a joué 49 matches, a marqué un but et, malgré sa réputation de casseur de chevilles, n’a été expulsé qu’une fois.
Pour lui rendre entièrement justice, il faut dire que le joueur natif de Vejle au Danemark a joué un rôle prépondérant, tant en Angleterre qu’avec la sélection danoise. En Espagne, il a débarqué comme le (énième) remplaçant du grand Claude Makélélé, mais s’il est passé à la postérité ce n’est pas tant pour sa discipline tactique que pour son apparition magique dans une émission de télévision.
Qui ne se rappelle pas de la merveilleuse gravesinha, l’improbable impro de Gravesen lors d’une rencontre face au FC Sévilla ? Ce dribble sans pareil est né d’un coup de génie de Zinédine Zidane et d’une glissade de notre protagoniste : un merveilleux mouvement ”dans lequel la rotule, le ménisque et les ligaments croisés sont au service du spectacle”, racontait-il à la télé.
À partir de ce moment, Gravesen est devenu un personnage médiatique de premier plan. Son hétérodoxe jurait avec un Madrid plutôt morne : la saison 2004-2005 n’a été en rien remarquable pour les blancs, et l’année suivante, le “carré magique” que proposait l’entraîneur brésilien Vanderlei Luxemburgo n’a pas pris. Luxemburgo, qui était arrivé après le naufrage de Mariano Garcia Remon, a été limogé au milieu de la saison de 2005-2006.
À la fin de cette saison, le Real a terminé à quatre points du Barça en Liga et a refait une année blanche, et la formule Gravesen a récolté plus de sourire à la télé que de résultats sur la pelouse. Une partie de la responsabilité incombait au recrutement en lui-même : en réalité, Tommy était beaucoup plus qu’un milieu défensif central, poste auquel il a été cantonné à Chamartin.
Avec l’arrivée de Fabio Capello à l’été 2006 et après une bagarre avec Robinho à la pré- saison, le pseudo destructeur anglais s’est vu relégué sur le banc…puis cédé au Celtic de Glasgow, au grand dam des fans du spectacle.
« Honnêtement, je ne sais pas ce qu’ils ont vu en moi, mais je ne suis pas vraiment spécialiste de la défense. Je ne suis pas un joueur défensif », expliquait Gravesen lui-même lors de son départ à l’été 2006.
« Je voulais être pompier »
En réalité, le Madrid de 2005 souffrait d’une décadence inévitable. Les Galactiques avaient perdu leur références défensives principales : Fernando Hierro avait pris sa retraite et Makélélé était parti pour Chelsea, et Esteban Cambiasso, l’homme qui devait théoriquement succéder au milieu de terrain français, avait préféré l’Inter de Milan.
Il est logique qu’au Real ils aient décidé de recruter quelqu’un qui puisse éteindre les feux et débloquer les situations…et paradoxalement, le club espagnol a visé plus juste qu’il ne semblerait, car la vocation première du jeune Tommy avait été précisément de combattre les flammes.
Littéralement.
« J’ai essayé d’être footballeur de toutes mes forces, toute ma vie…Au début j’ai voulu me former pour devenir pompier, quand j’étais jeune. Jusqu’à ce que j’aie 16 ou 17 ans, l’âge auquel j’ai choisi le football professionnel », expliquait le joueur au journal El Pais. Peut-être que cette vieille passion a poussé les recruteurs à se méprendre, raison pour laquelle ils auraient pensé qu’il serait une arme parfaite pour exercer la fonction d’extincteur dans le rond central.
En réalité, Gravesen était un milieu de terrain box-to-box, mot qu’utilisent les anglais pour définir les joueurs qui peuvent globalement faire un peu de tout… et surtout arriver devant le but.
Cantonné à ce rôle de rideau coupe-feu, il a marqué son seul but chez les blancs contre le RCD Espanyol d’une lourde frappe de l’entrée de la surface. Mais ne vous méprenez pas, car tout au long de son périple, Gravesen a marqué le nombre coquet de 41 buts, surtout avec Everton et le Vejle Boldklub – club avec lequel il est devenu professionnel au Danemark.
« J’ai parfois dû l’expulser de l’entraînement tellement il était excité, il n’arrêtait pas de passer des savons à ses coéquipiers et de leur faire des gestes l’air de dire : “Je vais te casser les jambes” », assure Ole Fritsen, son premier entraîneur.
Au début de son passage à Madrid, le danois est resté en marge du jeu, devant tant de stars ; de fait Gravesen a été un témoin direct du décès du projet de Florentino Pérez, qui a démissionné et laissé l’équipe aux mains de Ramon Calderon au printemps 2006.
« Au début je me demandais : “Mais qu’est ce que je fous là ?”. Maintenant je comprends de mieux en mieux les speech tactiques », expliquait Gravesen à la fin de 2005. Un bon début, cela ne fait pas de doute. Pour améliorer ses performances, le Danois s’est imaginé en train de jouer avec les Beckham, Raùl, Zidane, Ronaldo et compagnie.
« M’imaginer en train de jouer avec ces gars-là m’a beaucoup encouragé. J’ai essayé de leur montrer qui j’étais pour qu’ils m’acceptent. Et je ne pouvais pas juste leur dire : “Je suis comme ci et comme ça”. Je pouvais juste m’ouvrir pour qu’ils voient que j’étais le genre de mec à mettre un peu d’humour, mais aussi un footballeur sérieux », racontait Thomas au sujet de sa relation avec les Galactiques.
En chouille à Las Vegas
Après un bref passage au Celtic de Glasgow – où Gravesen a remporté son unique titre professionnel : celui de la ligue écossaise de la saison 2006-2007 – et une courte cession à Everton, Thomas a décidé ranger ses crampons pour partir à la recherche de nouvelles aventures à l’âge de 32 ans.
Malgré la mauvaise réputation qu’il s’était faite sur le terrain – « On dirait un docker du port de Rotterdam, ou un tavernier irlandais capable de casser la tête de Colin Farell », écrivait le journaliste José Manuel Cuellar dans le journal ABC – , Tommy a su se recycler. D’après un reportage du journal danois BT, l’ancien joueur a investi les gains de sa carrière dans diverses entreprises, a tapé dans le mille et a ainsi récolté une fortune de plus de cent millions d’euros.
À 37 ans, il a annoncé son deuxième “départ à la retraite” et a quitté la pluvieuse Angleterre pour le chaud désert d’Arizona. Aujourd’hui, notre bon Tommy passe ses journées à jouer au poker, au black jack et la roulette dans les meilleurs casinos de Las Vegas où il vit avec son dernier plan cul.
Pas si mal pour un ogre…qui ironiquement n’avait pas le moindre poil.