Culture

« Tijuana Jones », « Jarry Putter », « Pollo Jurasico » – retour sur les plus grands plagiats de l’histoire d’Hollywood

À mi-chemin entre nanars et plagiats, quelque part dans un espace incertain où se mêlent hommage, système D et pastiche, on trouve le Star Wars turc, le Batman philippin, le Harry Potter mexicain, le Rambo indonésien. Tous ces films, et bien plus encore, ont été recensés par deux amoureux d’un genre encore bien incertain. Emmanuel Vincenot et Emmanuel Prelle ont choisi parmi des centaines de longs-métrages de contrefaçon issus des quatre coins du globe la crème de la crème afin de donner naissance à Nanar Wars, anthologie tout en carton-pâte et costumes fluo ratés. Comme le livre vient tout juste d’être publié aux éditions Wombat, on a demandé à ses auteurs de sélectionner leurs cinq nanars préférés.

Turkish Star Wars (Dünyayi Kurtaran Adam), Çetin Inanç, Turquie, 1982, 1h25

Il y a bien longtemps, dans une galaxie cinématographique lointaine, très lointaine… Un producteur audacieux et un réalisateur intrépide se rebellent contre les forces du bon goût et de l’esprit logique, et nous offrent un film qui fait date dans l’histoire du portnawak, au point de donner lieu aujourd’hui à un véritable culte nanarophilique. Piochant sans vergogne dans les séquences les plus connues de La Guerre des Étoiles, et les mélangeant avec ses propres prises de vues, le légendaire cinéaste Çetin Inanç reconstruit sans sourciller une histoire neuve sur les ruines fumantes du film d’origine de George Lucas.

Videos by VICE

Au beau milieu d’une bataille de X-wings, Inanç n’hésite pas, par exemple, à greffer une image de la fusée Ariane au décollage, sans doute pour symboliser le projet d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne. Suit une série de plans montrant les pilotes rebelles filant à la vitesse de la lumière dans l’espace intersidéral. Ce sont visiblement de robustes paysans anatoliens ayant accepté d’enfiler une tenue de l’Espace – pyjama orange, casque de mobylette, tuyau d’aspirateur en bandoulière. Autres séquences à savourer : une charge de mamelouks furibards, un robot étranglant un autre robot avec ses pinces, ou encore une bagarre dans une église troglodyte abritant de superbes mosaïques byzantines du VIe siècle (il fallait y penser). Ce loukoum hypercalorique nous replonge avec délices dans une Turquie qui a en grande partie disparu, celle des années 1970-1980, et fait revivre une époque bénie où rien ne semblait pouvoir arrêter les cinéastes d’Istanbul. À voir en s’empiffrant de kebab.

Un extrait ici.

Chicken Park (Pollo Jurasico), Jerry Calà, Italie, 1994, 1h38

Un Jurassic Park avec des poulets géants à la place du T-Rex ? L’idée est moins saugrenue qu’elle n’en a l’air : après tout, ces volatiles sont les lointains descendants des dinosaures – nous le savons car nous sommes abonnés depuis plusieurs décennies à Science & Vie Junior. Mais c’est bien la seule concession à la vraisemblance que s’est autorisée Jerry Calà, le réalisateur de ce navet navrant, aussi raté qu’une omelette sans œufs, mais qui va loin, très loin, dans le foutage de gueule.

Cela commence par une séquence de générique dessinée par un enfant de six ans, montrant des poules dans des situations « comiques » – exemple : une poulette porte un soutien-gorge. Le héros du film est Vladimiro, éleveur de volailles, qui, à la recherche d’un poulet en vadrouille, finit par se retrouver sur une île tropicale entourée de clôtures électrifiées, comme dans un célèbre film de Steven Spielberg dont on vous laissera deviner le titre. Un peu partout, des Gallus Gallus Domesticus modifiés génétiquement, pesant une vingtaine de tonnes au bas mot, gambadent dans la forêt, à la recherche d’épis de maïs géants. Mais ce qui importe à Vladimiro, c’est son poulet préféré, qu’il a perdu sur l’île, et qu’il veut retrouver à tout prix pour le faire concourir dans un combat de coqs. Hélas, le malheureux petit poulet est picoré à mort par un gallinacé galbé comme un T-Rex. La fin est des plus émouvantes : tenant son pauvre animal dans ses bras, Vladimiro, plus philosophe que Platon, Pascal et Schopenhauer réunis, lance au volatile : « I will see you in a better world, if all that is not some bullshit ». À voir en dégustant un Menu Bucket™ de chez KFC™.

Un extrait ici.

Banglar Robocop (Shoktir Lorai) , Iftekar Jahan, Bangladesh, c. 1990, 2h08

Le Bangladesh est un pays que personne ne sait placer sur une carte, ce qui est bien dommage car son industrie du cinéma de contrefaçon donne sacrément envie de le visiter. Un des plus savoureux pillages auxquels se soient livrés les réalisateurs locaux est un nanar de compétition intitulé Shoktir Lorai en bengali, et rebaptisé Banglar Robocop par les collectionneurs occidentaux. Si vous faites partie de cette communauté de pervers polymorphes à la recherche de sensations fortes, ce remake non-officiel du classique de Paul Verhoeven devrait vous enchanter.

Alors qu’une vague de criminalité s’abat sur Dacca, une équipe de scientifiques bangladais propose ses services au chef de la police locale. À l’aide de deux batteries de tracteur, d’un lot de boîtes de conserve périmées et d’une photocopieuse en leasing, ils créent une redoutable contrefaçon de Robocop : 50 % homme, 50 % machine, 100 % ridicule. À bord de son 4×4 Toyota, le super flic patrouille dans les rues de la capitale aux sons de la B.O. d’ Il était une fois dans l’Ouest, l’œil bionique aux aguets. Les délinquants ne tardent pas à voir de quel bois il se chauffe, et la deuxième heure du film est un festival de castagnes hyperboliques, accompagné de bruits de brosse à dents électrique à chaque fois que Robocop tourne la tête ou se gratte l’oreille. Pour se détendre, notre super flic part en week-end au bord de la mer et flirte avec une jeune beauté. La séquence où le robot et la midinette dansent ensemble sur la plage en chantant en play-back est assurément le clou du film. À la fin, comme c’était à craindre, Robocop doit affronter un Terminator femelle, mais il réussit à la jeter dans un volcan en fusion. Paul, reviens, ils sont devenus fous ! À voir en sirotant un verre de lassi à la rose.

Un extrait ici.

Badi, Zaher Par, Turquie, 1983, 1h15

À peine remis de la sortie de Turkish Star Wars, les spectateurs ottomans ont vu débouler en 1983 l’inénarrable Badi, remake pas du tout officiel de E.T., le blockbuster qui dominait alors le box-office international. Alléché par la perspective de gains faciles, le réalisateur Zaher Par se livre à un pompage en règle du film de Spielberg et met en scène un petit extraterrestre répondant au nom de Badi. Débarquant à bord d’une soucoupe volante décorée comme un sapin de Noël, le personnage arrive de l’espace intergalactique – lequel n’a aucune limite, comme la malhonnêteté du scénariste.

À quoi ressemble-t-il, ce fameux Badi ? Honnêtement, son physique est assez banal (pour un extraterrestre) : imaginez une momie hydrocéphale naine se remettant difficilement d’un vol Paris-Melbourne sans escale, et vous aurez un topo assez fidèle. Mais ce sont surtout sa personnalité attachante, son sens de l’amitié et sa curiosité insatiable qui le font adopter illico par les enfants, qui l’embrassent et le touchent avec les mains. Les autorités stambouliotes ne sont pas d’accord, et Badi est rapidement pourchassé par la Polis – « Police », en turc. Une bonne partie du film est ainsi consacrée à la chasse à l’alien. À bord d’un triporteur, Badi finit par s’élever dans le ciel et survole la ville, narguant ses poursuivants. Comme il n’est pas à vélo et qu’il ne passe pas devant la lune, ce n’est pas un plagiat d’ E.T. – C.Q.F.D. À voir en suçant une glace à la pistache.

Un extrait ici.

Banglar King Kong, Iftekar Jahan, Bangladesh, 2010, 2h23

Le résumé des deux premières heures du film est des plus simples : il s’agit d’un décalque scrupuleux de la trame du King Kong de 1933, avec expédition sur une île tropicale, tribu de sauvages vénérant un grand singe, et capture de la bestiole pour l’exhiber dans un théâtre. Le climax a lui aussi un air de déjà-vu : King Kong marche dans les rues de la ville, l’air décidé et menaçant, les poings serrés. Là où il passe, les supérettes trépassent. Une femme tombe évidemment amoureuse de cet animal, mais la société bangladaise, très conservatrice, n’est pas encore prête pour les couples mixtes. Dans la dernière séquence, trois hélicoptères piqués au King Kong de 1976 mitraillent le singe géant alors qu’il escalade l’Empire State Building local. Le gorille s’écrase au sol, revivant en une seconde les meilleurs moments de son existence – essentiellement passée à manger des bananes. Fin. Applaudissements.

Ah… Banglar King Kong ! Bien sûr, le traitement donné à l’histoire est hyper gnangnan et les acteurs sont particulièrement grandiloquents, sans parler des costumes et des coupes de cheveux, tous plus ratés les uns que les autres. Mais les numéros dansés sont irrésistibles et on se régale à chaque instant des effets spéciaux très spéciaux : par moments, le film dégage même une fraîcheur naïve à la Méliès – avec juste un siècle de retard. King Kong est interprété par un acteur costumé aux yeux libidineux roulant dans leur orbite et, pour les plans éloignés, il tient une poupée dans la main, censée être la plantureuse héroïne. Bref, ce film est un pur shoot de plaisir nanarophilique. Croyez-nous sur parole : Banglar King Kong est le nouveau Turkish Star Wars. À voir en mangeant des bananes.

Un extrait ici.


« Nanar Wars » d’Emmanuel Vincenot & Emmanuel Prelle est disponible aux éditions Wombat.

Plus d’informations sur le livre ici .

Les affiches et photos reproduites dans le livre seront exposées à la French Paper Gallery du 26 octobre au 25 novembre 2017, au 51 rue Volta, 75003 P aris .

Romain est sur Twitter.