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Toilettes du futur : dans quoi urinerons-nous demain ?

Vous allez passer environ 3 mois de votre vie aux toilettes. Voilà, faites-en ce que vous voulez. Moi, en lisant ça dans un livre qui traînait dans mes WC, j’ai commencé à me demander si j’y avais déjà fait quelque chose de constructif, à part parcourir des demi-articles de magazines vieux de 3 mois et tâchés de pisse. Clairement pas. La plupart du temps, je zone sur mon portable, ou j’attrape ce bouquin pas très drôle qui contient plein de fun facts a propos des toilettes. C’est là que j’ai lu cette info sur les 3 mois de notre vie passés aux toilettes, mais aussi celle-ci, plus intéressante :

« On pourrait sauver jusqu’à 8 000 litres d’eau potable par personne et par an en ne tirant la chasse qu’une seule fois par jour. »

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Prise de conscience. Je chie dans de l’eau potable. Vous êtes peut-être en train de le faire en ce moment même. Mes parents m’ont toujours dit de couper le robinet quand je me lave les mains, les dents, sous la douche, mais à quoi ça sert si tous les jours je pourris des dizaines de litres d’eau potable ?

Le saviez-vous : chaque chasse d’eau libère 5 litres. 3 litres « seulement » quand vous appuyez sur le bouton « pipi ». Allez voir la taille des bouteilles d’eau de 5 litres au supermarché. Imaginez que chaque jour vous urinez et déféquez dans 6 d’entre elles. Et que tous les gens autour de vous dans le rayon, qui se demandent pourquoi vous bloquez sur ces bonbonnes de 5 litres, font pareil. J’ai voulu changer, et découvert que je n’étais pas seul.

Je découvre que le sujet a récemment reçu un soutien de poids : le milliardaire Bill Gates. L’homme de Microsoft, avec sa fondation, a décidé en 2012 de lancer un programme pour l’accès aux toilettes dans le tiers-monde. Le tweet qu’il avait fait à l’époque est assez percutant, et a le mérite de dénoncer l’immobilisme général. Et de nous en apprendre plus sur l’histoire des toilettes.

Nos toilettes ont donc été inventées en 1775 par un Ecossais, Alexander Cummings, qui a eu l’idée d’une canalisation en « S » pour évacuer les étrons dans l’eau. Brillant, et très utile à une époque où les nobles déféquaient derrière les rideaux de la Galerie des Glaces à Versailles et où les rues des villes étaient des égouts à ciel ouvert.

Sauf que c’est le système que l’on utilise encore, et c’est ça que Bill Gates trouve anormal. En gros, on a accepté l’idée de ce physicien écossais il y a 250 ans, et on en est restés là. Imaginez si l’on avait fait pareil pour le télégraphe, l’automobile ou le train. Niveau toilettes, personne n’a cherché à aller beaucoup plus loin. Les principales innovations à ce jour concernent les WC chimiques, l’utilisation de céramique, de destructeurs d’odeurs, la réduction du bruit (et encore, seulement pour « l’inventeur 2012» selon M6) ou encore des petits jets d’eau pour nettoyer son anus. Très peu de concret pour réduire la consommation d’eau, à part les chasses économiques avec possibilité d’un « petit débit » pour la petite commission.

La Fondation de Bill Gates s’intéresse plutôt à l’accès aux toilettes pour les pays les plus pauvres. Là où c’est un vrai problème sanitaire : il y aurait près d’un milliard de personnes sur Terre privées d’accès aux toilettes. Un prix de l’innovation a été décerné à la société Suisse Eawag, qui développe des toilettes écologiques. J’ai contacté les chercheurs en charge du projet pour savoir s’il y avait un espoir de voir apparaître ces toilettes chez nous un jour. C’est le docteur Kai Udert qui m’a répondu.

« L’idée de base est de séparer l’urine des excréments. » Pourquoi? Le Dr Udert m’apprend qu’en plus de gaspiller de l’eau, notre système est une aberration. « L’urine est la source principale d’azote et de phosphate dans les eaux usées, deux éléments largement responsables de la pollution. Si l’on traite l’urine séparément, le nettoyage des eaux usées devient beaucoup plus facile et on réduit la pollution. » Mais il y a pire : « ces nutriments sont essentiels à l’agriculture et en séparant l’urine on peut l’utiliser comme engrais ! »

Il développe donc deux projets avec ses équipes, financés par la fondation Bill and Melinda Gates. D’une part les VUNA, des toilettes sans eau qui récupèrent l’urine dans des grandes citernes, un mécanisme aussi nommé UDDT en langage technique pour « Urine Diverting Dehydration Toilets ». Avec le projet VUNA, l’idée est d’ensuite pouvoir transformer l’urine en engrais pour les cultures des habitants du coin. L’autre projet sur lequel travaille actuellement le Docteur Udert, ce sont les toilettes « Autarky ». Comme leur nom l’indique presque, elles fonctionnent quasiment en auto-suffisance, c’est à dire que le peu d’eau utilisée est directement traitée dans une machine intégrée à la cuvette et renvoyée dans le cycle. Là encore, la base du mécanisme, c’est la séparation de l’urine, des fèces, et de l’eau usée.

Le système Autarky. Image (c) Eawag/EOOS

Ces toilettes sont destinées à être utilisées dans les pays en développement, dans des installations temporaires d’ici 2017. L’avantage est qu’elles fonctionnent en autonomie et ne nécessitent pas d’eau courante, ce qui est bien souvent le problème. Le Dr Udert est persuadé que cette séparation de l’urine est un pas primordial vers une évolution, mais pour l’instant ses projets ne portent que sur les endroits où il y a une urgence sanitaire.

L’urgence, pour les pays développés, c’est de réduire la pollution et la consommation d’eau. Certains le font, je l’ai vu dans une série de reportages sur Arte. L’auteur, Thierry Berrod a réalisé plusieurs documentaires sur l’urine et les excréments, ce qui l’a passionné.

Dans ses documentaires, on voit par exemple comment, en Inde, l’absence de toilettes conduit les passants à se soulager dans la rue. Les Intouchables, la caste la plus basse de la société, ont un boulot qui consiste à ramasser et collecter les déjections de leurs voisins. Mais les choses évoluent petit à petit, et l’installation de toilettes réduit les maladies et permet aux Intouchables d’envisager une reconversion professionnelle et donc de retrouver un rang plus élevé dans la société que celui de ramasseur d’excréments.

Le réalisateur assure qu’en tournant ses reportages, il a vu le futur, le futur des toilettes. « Cela passera obligatoirement par la récupération de l’urine et des excréments, clame-t-il. On dit que les Chinois sont de gros pollueurs, et c’est vrai à cause de leurs centrales à charbon, sauf qu’ils sont moins stupides que nous pour les toilettes. Ils récupèrent l’urine des écoliers, et l’utilisent comme engrais sur leurs vergers ! Au Japon et aux Etats-Unis, des immeubles se construisent avec un système de récupération de l’urine et ils arrivent à en faire du carburant. En France on est vraiment à la traîne, déplore Thierry Berrod. Pourtant c’est ce qui se faisait avant, je me souviens que chez ma grand-mère on vidait la fosse et on mettait tout sur les champs. Les légumes étaient super bons ! », assure-t-il.

Selon lui, ce retard français s’explique par deux phénomènes : d’abord la législation réticente de l’UE qui applique le principe de précaution quant à l’utilisation de l’urine comme engrais. Et un terrible constat : « l’eau ne coute pas cher en France : ce n’est pas du tout rentable de faire de la recherche pour changer le système. Pourtant c’est doublement stupide : on se prive de l’utilisation intelligente de l’urine et on dépense un fric énorme pour retraiter l’eau après. »

Les chiffres de la FP2E, la fédération des professionnels de l’Eau, donnent raison à Thierry Berrod. La France est le 3ème pays en Europe où l’eau est la moins chère. Environ 3 € le mètre cube contre 6,5€ au Danemark et 5,3€ en Allemagne par exemple. De quoi freiner toute innovation?

Ce sont les problèmes auxquels s’est heurté Benjamin Clouet. Ancien ingénieur chez VINCI, il a créée il y a 2 ans Ecosec, une startup basée à Montpellier. Son expérience en Afrique dans des ONG lui a fait prendre conscience du gaspillage que représentent nos toilettes modernes. A son retour en France il a voulu développer un nouveau concept. Son idée est simple : les toilettes sèches existent déjà, il faut donc les rendre attractives grâce à un design moderne et une utilisation facile, et elles pourront enfin être utilisées en ville.

Dans le midi, l’eau est déjà un problème. Les périodes de sécheresse amènent régulièrement à des restrictions, et cet été, deux villages des Corbières, vers Narbonne, ont du être alimentés par camions-citernes. Dans certaines villes comme Béziers ou le Cap d’Agde, l’eau est 2 à 3 fois plus chère que la moyenne nationale. Avec son idée, Benjamin était sûr de convaincre la mairie de Montpellier d’installer des toilettes sèches en ville. D’autant que son discours écolo fait appel au bon sens. « On produit 1 litre d’urine par personne et par jour. Le système actuel est cher en eaux, cher en évacuation et en épuration, et puisqu’on ne peut pas tout traiter, pollue les sols ». Mais Benjamin Clouet va encore plus loin. « Pour fabriquer de l’engrais, on doit importer du phosphate. C’est une ressource fossile, extraite dans des mines en Afrique. Le pic devrait être atteint aux alentours de 2030, c’est-à-dire qu’après cette date il n’y aura plus de ressources connues. En attendant, son prix va grimper. Mais dans 1 litre d’urine il y a énormément de phosphate ! Les toilettes sèches c’est donc des économies d’eau de 30% et une réduction d’au moins 30% de l’importation d’engrais. Dire qu’on jette tout ça dans de l’eau qu’on n’arrive pas à traiter… »

Ecosec propose donc que les citernes d’urine de ses toilettes sèches soient collectées régulièrement, par des coursiers à vélo, et utilisées comme engrais. Les matières fécales seraient collectées de la même façon et mises au composteur. Mais pour l’instant, Benjamin le reconnaît, impossible d’imaginer ce recyclage à grande échelle. D’une part, à cause du phosphate et de l’ammoniaque, l’urine est très corrosive, et crée du dépôt, c’est à dire que des canalisations qui transportent de l’urine sans eau se dégradent très rapidement.

Le modèle de toilette sèche proposé par Ecosec. Image : Ecosec.

Ensuite, en France, il est interdit d’utiliser de l’urine comme engrais sur une production agricole, même si d’après Ecosec, les tests s’accordent à dire que c’est sans danger. On peut l’utiliser pour des jardins ornementaux mais pas sur de la future bouffe. En attendant peut-être que la loi évolue, récupérer l’urine ne sert donc pas à grand-chose si ce n’est à éviter de polluer l’eau, ce qui est déjà pas mal. Alors, ce que propose Ecosec pour l’instant, c’est de fertiliser des champs d’Aloe vera et de lavande qui produisent des huiles essentielles utilisées dans leurs toilettes sèches. Une boucle écolo. « Le problème c’est de trouver une filière qui accepte les urines, et pour l’instant on ne l’a pas, » reconnait Benjamin. Une faiblesse dans son processus qui lui aura peut-être coûté le marché. « Finalement c’est JC Decaux qui a installé ses toilettes « classiques » partout dans Montpellier, c’est dommage », se désole Benjamin, qui dit s’être heurté à l’incompréhension de ses interlocuteurs. « Les mentalités et la loi évoluent lentement… »

Si l’urine doit rester de « l’or jaune » inexploité, peut-on au moins imaginer autre chose que de l’eau potable au fond de la cuvette? Oui, et ça existe en France. Des petits malins ont imaginé un système de récupération des eaux pour les toilettes. Si vous êtes un supporter de l’OGC Nice, vous l’avez expérimenté dans votre nouveau stade préféré : L’Allianz Riviera. Son immense toit de 30 000 mètres carrés collecte l’eau de pluie pour la renvoyer dans les urinoirs. Cette installation a été assurée par une entreprise française, Aquae Environnement.

« Notre idée, c’est éviter d’utiliser de l’eau potable quand on n’en a pas besoin, » pose le PDG, Jean-Luc Manent. Concrètement Aquae Environnement propose deux solutions. « Soit utiliser l’eau de pluie, comme on l’a fait sur le stade de Nice. On s’en sert comme réserve en cas d’incendie et pour tout le réseau interne. Là l’eau est quand même traitée, mais avec des filtres sommaires puisqu’elle est à la base assez pure. »

L’autre solution c’est le recyclage des eaux grises : récupérer toutes les eaux du réseau, les douches, les lavabos, les filtrer à travers un tamis tellement fin qu’il enlève les bactéries et les utiliser dans les toilettes, mais aussi pour l’arrosage, et le nettoyage.

Si Aquae fonctionne bien, Jean-Luc Manent est conscient que le marché est limité. Pour l’instant, les seuls à vouloir des « eaux grises », ce sont les très gros clients. « On a équipé les nouveaux sièges sociaux d’entreprises qui recherchent des labels environnementaux supérieurs. Pour obtenir la note maximum, il faut récupérer les eaux de pluie et les eaux grises. Par exemple, le siège de l’Oréal, que l’on construit actuellement à Levallois, intègre ces deux systèmes pour avoir le label. » Le PDG n’est pas dupe : « C’est une question d’image de marque, mais tant mieux pour nous et pour les économies d’eau. »

“Il y a 10 ans, on parlait de l’eau de pluie comme on parle des eaux grises maintenant : avec méfiance. Les mentalités et la législation évoluent mais ça prend du temps, il faut que des bureaux d’études rendent leurs décisions pour faire bouger la règlementation sanitaire.”

Ces deux systèmes sont parfois complémentaires. « Dans la Tour Carpe Diem à la Défense, on récupère les eaux grises des lavabos des 40 étages pour les toilettes, mais c’est encore insuffisant. Alors on doit le coupler avec l’eau de pluie, détaille Jean-Luc Manent. Combien de fois vous lavez-vous les mains ? Disons, après chaque passage aux toilettes ? 1 litre d’eau pour le lavabo, minimum 3 pour la chasse d’eau : c’est insuffisant. Pour les immeubles d’habitation, en revanche, on aurait un système plus équilibré puisqu’il y a l’eau de la vaisselle, par exemple, mais aussi de la douche ; et là, c’est 40 à 50 litres à chaque fois. »

Sauf que pour l’instant, les particuliers n’ont pas vraiment accès à ce système. Aquae Environnement ne fait tout simplement pas ce type d’installation pour les particuliers car le marché n’existe pas encore, toujours à cause des prix trop bas de l’eau potable. Et la loi n’incite pas vraiment à bousculer les tuyauteries. L’utilisation des eaux de pluie est encadrée par un texte de 2008 qui, entre autres, interdit de les utiliser dans des bâtiments « à risque ». Comprendre, les bâtiments qui accueillent des enfants ou des personnes âgées. « Mais s’il y a des interdits, ça veut dire que pour le reste c’est autorisé », assure Jean-Luc Manent. Pour les eaux grises, en revanche, il n’y a toujours pas de règlementation. Celui qui installe ça dans son immeuble est responsable s’il y a une intoxication, par exemple, donc il faut demander une dérogation. « Il faut vraiment le vouloir ! déplore le PDG. Pour les nouveaux bâtiments du Grand Paris, c’est trop tard, ça les a carrément dissuadés de faire installer ce système, ils ont été effrayés par le manque de cadre légal. »

Mais le PDG remarque une évolution. « Il y a 10 ans, on parlait de l’eau de pluie comme on parle des eaux grises maintenant : avec méfiance. Les mentalités et la législation évoluent mais ça prend du temps, il faut que des bureaux d’études rendent leurs décisions pour faire bouger la règlementation sanitaire. Les bâtiments rénovés peuvent récupérer l’eau de pluie, c’est ce qu’on a fait sur la grande arche de la Défense, où les toilettes fonctionnent à présent avec l’eau de pluie. Mais aussi sur plusieurs immeubles de Paris intra-muros, c’est possible. Les gens sont encore assez réticents. Mais il faut se rendre compte que l’on « fabrique » ainsi une eau non-potable, c’est à dire qu’il y a des risques aussi. C’est normal qu’il y ait beaucoup de limites. »

Difficile, donc, d’appliquer ce système aux particuliers, sauf si l’on possède une villa et de solides compétences en plomberie. Un ami de mes grands-parents l’a fait chez lui, mais c’est le genre de personne qui possède 2 hectares de vignes et qui a construit sa maison quasiment tout seul, en moulant lui-même les parpaings à partir de béton brut. Il a enterré une citerne sous sa maison qui récupère l’eau de pluie qui ruisselle de son toit. Avec une pompe, il se sert de cette eau pour ses toilettes et sa douche. Loin d’être un militant écolo, pour lui il s’agit seulement de « bon sens » et de faire des économies. « Il l’a fait par radinerie », résument mes grands-parents. Comme quoi, les bonnes raisons de changer nos comportements ne manquent pas.