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Britney Spears, Cro-Mags, Guru, New Kids On The Block : ils sont tous passés dans le studio de Tom Soares

Il faut toujours rendre à César ce qui est à César, et très souvent, la dernière personne a être créditée est celle qui reste dans l’ombre. Ici, cet homme s’appelle Tom Soares. Le producteur/ingénieur/magicien n’est pas seulement responsable du dernier album de Terror, The 25th Hour , mais aussi d’un tas d’autres disques aussi variés que ceux de Britney Spears, Method Man, New Kids On The Block ainsi que classiques intemporels du NYHC comme Born To Expire de Leeway, Bringin’ It Down de Judge ou Master Killer de Merauder, et la liste est encore longue.

Scott Vogel, le dernier à être passé dans la cabine de Tom avec son groupe Terror, a interviewé Monsieur Soares pour nous. Ils sont revenus sur l’héritage des Cro-Mags, la technique secrète du son crossover, ont évoqué Guru de Gangstarr et plein d’autres trucs.

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Noisey : Où as-tu grandi et quels souvenirs gardes-tu de ton enfance ?
Tom Soares :
Je suis né dans une petite ville appelée Bristol, à Rhode Island, qui est à mi-chemin entre Providence et New Port. Je me souviens surtout des automnes passés à Bristol. En particulier d’Halloween. Je me vois encore ratisser les feuilles mortes dans notre cour, au cours de journées froides et nuageuses. J’adorais mettre des tas de feuilles dans des vêtements blancs pour en faire des fantômes. On utilisait des fruits des bois violets pour dessiner leurs yeux, comme s’ils pleuraient du sang. Nos Halloweens étaient vraiment cools.

Et tes premiers souvenirs marquants liés à la musique ?
J’ai toujours adoré la musique, dès le départ. Quand j’étais gamin, mes frères et moi on se calait à l’arrière du break de nos parents et on chantait des morceaux de groupes dont on ne connaissait même pas les noms à l’époque (en vrac : les Beatles, les Beach Boys, Cream). Mon premier 45 tours a été « Tears of a Clown » de Smokey Robinson. Le deuxième, « Hurdy Gurdy Man » de Donovan. Je les jouais tous les deux tout le temps. Jusqu’à ce qu’ils soient trop défoncés pour tourner.

Quand as-tu décidé que tu voulais passer ta vie à enregistrer des groupes en studio ?
J’ai décidé de devenir ingé-son à l’époque où ma sœur faisait déjà ce job, vers 1973. J’adorais aller traîner là-bas. Mon premier jour officiel de boulot a eu lieu le 26 mars 1974. Il y avait un vieux 16-pistes Skully qui ne pouvait pas enregistrer plus d’une heure de prise. Il n’y avait aucun dispositif informatique, juste deux bandes qui tournaient sur le bureau.

Comment as-tu commencé ? Tu as pris des cours ? Et comment as-tu fini au légendaire studio Normandy Sound de Rhode Island ?
Eh bien, j’ai passé des journées entières à observer ma sœur opérer. Je nettoyais les chiottes et je mettais les micros en place avant les sessions. J’ai eu mon quota de boulots ingrats dans l’industrie musicale… Ensuite, ma sœur a décidé d’arrêter sa carrière, du jour au lendemain. Le propriétaire du studio (le Normandy Sound) m’a alors demandé si j’accepterais de passer assistant à plein-temps. À cette époque, je bossais dans un garage la journée et au studio la nuit. Il fallait que je prenne une décision. En tant que technicien auto, je me faisais à peu près 500 dollars par semaine, à l’âge de 16 ans. J’ai jonglé entre les deux tafs pendant un temps jusqu’à ce que mon boss m’annonce, « Tom, je ne vais pas te virer mais il va falloir faire un choix entre ces deux jobs ». J’ai pris ça comme un « Laisse tomber le garage ! » Et j’ai saisi cette opportunité au Normandy Sound, sous la houlette de Phil Greene. C’était le début d’une carrière de 40 ans.

À l’époque, je faisais des copies de cassettes et je touchais seulement 40 dollars par semaine. J’ai accepté cette baisse de salaire parce que c’était une vraie passion. J’avais été élevé à la dure alors c’était pas un problème. Je passais un temps fou au studio pour apprendre tout ce que je devais savoir. J’ai été assistant pendant 4 ans, au cours desquels appris le mix et tous les aspects techniques. Je restais assis devant la patchbay en demandant « Quand est-ce que ce sera mon tour ? » L’ingé me calait là, et je le suivais sans arrêt de la table à la salle de commandes. Et je continuais à râler, « Quand est-ce que je vais apprendre le mixage ? » Puis il m’a enfin dit « Tu sais déjà mixer. Si tu comprends comment fonctionne la patchbay, tu peux mixer. »

Il disait tout le temps « Tout ce que tu dois savoir est là, sous tes yeux. Si le son est merdique, cette console ajoutera juste des aigus ou des basses à ce son merdique. » Aller à l’école et dépenser des tonnes de blé pour que quelqu’un te dise qu’un ingénieur du son est un putain d’escroc et représente une dépense d’argent inutile… Non merci. L’industrie musicale n’a jamais fonctionné comme ça, ni aujourd’hui, ni demain.

En 1987, tu as bossé avec Leeway sur un de mes albums préférés, Born To Expire. C’était ta première expérience avec un groupe de hardcore ? Born To Expire l’album que j’avais fait pour Wargasm Born To Expire.

Le son de ce disque est incroyable, il n’a pas pris une ride. Comment s’est passé la session avec les gars du groupe et en quoi ta touche a fait de ce disque un album majeur ?
Chris Williamson était le producteur. Il est venu avec sa vision du truc et le son qu’il voulait pour le groupe. Je me souviens qu’il me disait, « Tom, dans cet album, il faut mettre le paquet sur la batterie, les guitares et le mec qui chante. » Ou encore « Il faut que tu m’obtiennes ‘LE’ son de guitare hardcore. » Pour y arriver, j’ai développé cette technique appelée « Amp Cabin », un truc que j’ai utilisé sur tous les disques de hardcore que j’ai enregistré. C’était une configuration qui comprenait 4 gros amplis Marshall en cercle, deux droits, et deux inclinés. Avec Leeway, je crois qu’il y’avait des Marshall et des têtes d’amplis Laney. Aujourd’hui, je suis toujours la seule personne à comprendre comment cette technique fonctionne.

C’était le premier album de Leeway, les gars débarquaient. Ils écoutaient tout ce que Chris et moi leur disions ce qui leur laissait la liberté d’être des hardcore kids. Et donc, cette album est à la fois brut et sincère, comme tout disque hardcore se doit d’être mais avec en plus un son produit et sophistiqué. Les gens disent qu’il n’y a pas assez de basse sur l’album – mais c’était une décision délibérée de Chris Williamson pour donner le champ libre au talent de AJ Novello à la guitare. Il voulait vraiment que cet album tue.

Les gars n’ont posé aucun problème. Ils étaient trop occupés à découvrir les joies d’un studio d’enregistrement pour être égocentriques. Les tonalités étaient très bonnes. Mon habilité à harmoniser le tout est d’après moi un don du ciel. J’ai tout en tête comme un spectrographe. Ensuite, je choisis l’instrument que je vais mettre dans telle case. De cette façon, aucun instrument ne chevauche un autre et ça rend le son énorme, comme les arrangements d’un orchestre. Comme prévu, tout s’est parfaitement passé.

À la fin des années 80, tu as enregistré et mixé les disques d’un paquet de groupes : Judge, Killing Time, Cro-Mags, Sick Of It All ; que des types majeurs de l’histoire du hardcore. Comment se fait-il que la combinaison entre cette musique de rue agressive et ta technique en studio ait si bien fonctionné ?

Avant que je ne me mette au hardcore, la majorité des disques du genre qui sortaient sonnaient comme s’ils avaient été enregistrés dans un garage sur un 8-pistes. Ok, je comprends que les budgets dans le hardcore étaient minuscules et que les studios ne prenaient par leur musique au sérieux. Pendant mes débuts au Normandy Sound, on enregistrait beaucoup de fusion, et j’ai utilisé cette approche en enregistrant du hardcore. Je ne comprenais pas pourquoi personne ne pouvait obtenir un gros son en hi-fi alors je l’ai expérimenté avec Wargasm et ça a marché. Louer le Normandy ne coûtait pas grand-chose et il y avait un appart à l’étage, ce qui permettait aux groupes de prendre leur temps pour produire un bon disque. Chris Williamson a ensuite ramené les Cro-Mags. Ils ont passé des heures à répéter avant de venir au studio. J’ai réalisé que la pré-production était la clé. Vu qu’il n’y avait pas un rond dans le hardcore, il était essentiel pour les groupes d’être bien préparé avant d’entrer en studio.

Tous ces mecs avaient des tas de choses à dire. Ils voulaient être entendus par les masses pour transmettre leur message. J’ai essayé de les aider avec un son bien plus gros et commercial. Je sais que ce son est quelque part une contradiction à l’esprit du hardcore, mais ça a été décisif pour attirer le public. C’était une sorte d’accident. Je n’avais jamais vraiment écouté de hardcore avant Leeway. Je ne savais pas que les disques de hardcore devaient ressembler à de la merde, LOL. Je n’aurais même pas su comment obtenir un tel son d’ailleurs. Mes oreilles ne peuvent pas entendre ça, et mon cerveau ne peut pas accoucher d’un album qui sonne comme une démo. Je n’avais pas idée que ces disques, ceux de Judge, Killing Time, Shelter, et des tas d’autres, puissent influencer un nombre si important de gens, encore aujourd’hui. Je trouve ça vraiment cool, et c’est un honneur d’y avoir participé.

Et concernant mon style, j’avais aussi une attitude relativement agressive. Ma tolérance zéro envers la connerie me conduisait à passer des heures et des heures à enregistrer et ré-enregistrer des guitares pour obtenir la meilleure performance possible. On m’a ensuite surnommé « Little Caesar » parce que beaucoup de musiciens pensaient que j’étais un trou du cul, mais ils ne se sont jamais plaints après avoir entendu la version finale de l’album.

Quand tu étais en studio avec ces groupes, tu sentais que t’étais en train de créer un truc intemporel et révolutionnaire ? Best Wishes

Tu as bossé sur trois albums des Cro-Mags : Best Wishes, Alpha Omega et Near Death Experience. Tu as des anecdotes sur ces sessions ? À cette époque, le groupe était en guerre permanente.
Chris Williamson était la force motrice derrière Best Wishes. Autant que je me souvienne, il y avait plein d’embrouilles au sein du groupe. Chris savait très bien comment exploiter cette rage pour obtenir le meilleur des mecs. Je ne crois pas qu’ils réalisaient ça à l’époque. Ils le prenaient juste pour un connard, mais avec le recul, il savait comment les pousser à bout pour qu’un truc sorte de cette rage hardcore. Tout ce que j’avais à faire c’était de capturer ça sur la bande. Concernant les anecdotes, ce qui se passe au Normandy reste au Normandy. Tout ce que je peux dire sans blesser d’autres groupes, c’est que s’ils n’ont pas usurpé leur surnom de plus grand groupe hardcore de tous les temps.

En 1991 et 92, tu t’occupes de Marky Mark & The Funky Bunch. C’était un truc différent de ce que tu avais l’habitude de produire et un autre délire niveau management et structure j’imagine. Comment s’est fait ce virage et comment le sentais-tu ? Tu as quand même continué à bosser avec quelques groupes, comme Merauder, Crown Of Thornz ou Shelter. Tu étais devenu pote avec tous ces gars pour suivre ce qu’il se passait dans la scène ou c’était juste une question de business ? Ludichrist Here Comes Trouble
Tom et son pote Mark Wahlberg / Tom et le rappeur Noreaga À la fin des années 90, tu commences à bosser avec des artistes carrément plus gros. Après les frères Wahlberg, il y a eu Destiny’s Child, The Roots ou Erykah Baduh. Tu avais déjà déménagé à NYC à cette époque ? tout
Tu as aussi collaboré avec Capone N Noreaga, Papoose, Method Man et Foxy Brown, dont je suis fan. Mais un nom qui m’a fait bondir est celui de Guru, malheureusement disparu depuis. Alors, raconte un peu.
Parlons du présent maintenant. Remontons à l’été 2014, quand Terror t’a contacté pour la première fois. On voulait vraiment que ce soit toi qui bosse sur notre nouvel album, mais le seul contact qu’on avait avec toi se résumait à un Linkedin. Nick t’avait envoyé un mail, auquel tu avais répondu, puis plus rien. Il s’est passé quoi ? une légende du milieu

La musique hardcore me manquait, donc je me suis éclaté, c’est clair, même si ça représentait deux défis importants. Vous recherchiez un son que j’obtenais avec du matériel analogique et l’autre challenge était de mixer sur ordinateur et pas avec ma console SSL, sur laquelle j’ai enregistré et mixé tous mes albums sauf un. J’ai dû tester plein de plug-ins, et je remercie Dieu d’avoir créé UAD pour ça ! J’ai pu de cette façon recréer cette sorte de chaleur des vieux disques analogiques. Il a fallu que je me souvienne de trucs que je faisais dans les années 80, de mémoire. C’était à la fois amusant et un vrai casse-tête. Malgré les références et les influences qu’on a cité plus haut, Terror reste Terror. Votre album vous ressemble. Je crois qu’on a fait un très bon disque. Comme je l’ai dit, je me suis éclaté. J’adorerais faire plus d’albums comme ça !

Pour finir, de tous les albums NYHC que tu as enregistré, si tu devais garder un top 5 ?
T’avais gardé la question la plus dure pour la fin… Voyons voir… il y en a beaucoup. Mon premier album pour Sick Of It All. Mantra de Shelter, Alpha Omega par les seuls et uniques, Older BudWiser de Gang Green, et évidemment, on ne peut pas oublier le meilleur, Bringing It Down, des inimitables Judge.

À côté de ça, il y a des tas d’histoires et de nombreux groupes que je n’ai pas pu citer. Donc j’aimerais laisser un conseil à tous les groupes de hardcore, un conseil qui m’a été transmis par Paul Nieder de Ludichrist. Ne jamais briser les trois règles de la musique heavy :

RÈGLE N°1 – IL FAUT QUE CA SOIT HEAVY

RÈGLE N°2 – PAS TROP TROP HEAVY

RÈGLE N°3 – MAIS ASSEZ HEAVY QUAND MÊME !!!


Scott Vogel est suffisamment heavy. Il joue dans Terror.