Dans la première partie de notre série VICE, « Vivre d’amour et d’héroïne », Val* raconte comment un amour naissant avec sa dealeuse, la fête et l’insouciance ont fait exploser sa vie routinière.
C’était pendant un mois de novembre froid et pluvieux, typique du nord de la France, que mon meilleur ami m’a initié à mes premières soirées techno. Et aussi à mes premiers trips sous ecstasy. Un soir, devant une boîte lilloise, j’ai fait sa rencontre : grande, yeux bleus, cheveux noirs, silhouette élancée. On aurait dit la fille dans Millénium. Elle était dealeuse. On lui a acheté deux ou trois ecstasy et elle nous a directement proposé de passer pécho à son appartement la prochaine fois. C’est d’ailleurs ce qu’on a fait les semaines suivantes. C’est comme ça que j’ai connu Charlotte*. Après ça, on passait régulièrement des soirées chez elle et on est rapidement devenu amis. Un jour, je suis passé lui rembourser un crédit. C’était une énième journée pluvieuse. Elle m’a annoncé qu’elle venait de quitter son mec et m’a proposé de rester quelques jours. Elle a vu que j’avais besoin de réconfort, elle en avait aussi besoin, je pense. Je suis venu pour un week-end. Je suis resté huit mois.
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C’est elle qui m’a offert ma première trace la première fois que je suis passé. Elle en consommait toute la journée. Je l’ai suivie sans trop me poser de questions. À l’époque, je luttais contre deux fléaux : la solitude et la dépression. La cocaïne était un parfait remède à tout ça. Au début, notre relation ressemblait davantage à une simple colocation. Je crois qu’elle cherchait un camarade de jeux, quelqu’un avec qui consommer pour oublier les problèmes du quotidien. Les premières semaines, on dormait chacun de notre côté, puis on a rapidement partagé le lit. Drôle d’histoire d’amour : je sortais avec ma dealeuse et elle avec son client. On était inséparables ; on passait littéralement toute notre vie ensemble. Naturellement, on est devenu plus que des colocataires et on est tombé amoureux l’un de l’autre. J’avais 19 ans, elle 25. J’étais sur un nuage. Naturellement, j’ai sombré.
Charlotte avait un petit appartement cosy à dix minutes du centre-ville qu’elle appelait sa « grotte ». C’était une sorte de loft avec un salon et une cuisine dans la même pièce en contrebas. Le salon était assez petit et comprenait un clic-clac et une table. Le soir, on dépliait le canapé pour faire apparaître un grand lit qui prenait presque tout le salon. Il y avait également une large bibliothèque où les bouquins formaient des piles posées à même le sol, et pas de télévision. Bien qu’il n’y avait pas beaucoup d’espace, il y avait beaucoup de passage, car elle invitait du monde régulièrement.
À Noël, je suis rentré me reposer chez moi. Ça faisait deux mois que j’étais chez Charlotte. Je n’avais pas encore passé le pas de ma porte quand j’ai reçu un appel. D’une voix toute excitée, Charlotte me pressait de revenir illico, car son pote s’était ramené avec dix grammes de coke. On a passé Noël sous poudreuse.
J’avais un CDI étudiant à Carrefour, mais j’ai vite laissé tomber. J’ai fait un abandon de poste du jour au lendemain
Mais son fond de commerce, c’étaient les ecstasy, qu’elle achetait en gros. Selon la quantité, la pilule pouvait revenir à quelques centimes seulement, qu’elle revendait dix euros l’unité dans les teufs. La nuit, on sortait souvent en boîte, on dansait au milieu de la piste et les clients venaient d’eux-mêmes – on avait rien à faire. On sortait au bout de deux heures, juste avant que la sécurité ne nous crame. C’était ambigu parce qu’elle mélangeait business et soirée. Mais quand on sortait, je me sentais le roi du monde. C’était la fastlife. Pas la vie de Tony, mais presque. Souvent, elle me disait d’ouvrir la bouche, puis m’enfonçait un excta dedans. Elle faisait ça plusieurs fois dans la soirée. On rentrait à l’aube et parfois on remettait ça le lendemain. On enchaînait souvent 48 heures sans dormir ; avec la coke et la MDMA, c’était facile. Quand tu passes trois jours sans dormir, tu as des hallucinations, tu entends des voix, tu reconnais des visages dans la rue qui n’existent pas. Ton esprit se met à faire de la paranoïa non-stop. Une fois, j’ai eu l’impression que mes potes complotaient contre moi. J’y croyais dur comme fer.
On a continué à consommer pendant des mois de manière frénétique, en augmentant les doses. On avait zéro limite, de véritables aspirateurs. La question de l’addiction ne s’est jamais posée. Ça me passait au-dessus. Je ne réalisais pas ou je ne voulais pas le réaliser. On était dans une fuite en avant perpétuelle. J’avais un CDI étudiant à Carrefour, mais j’ai vite laissé tomber. J’ai fait un abandon de poste du jour au lendemain. Rapidement, je me suis retrouvé à -700 euros sur mon compte en l’espace de trois mois. Je demandais à des potes de garder ma carte bleue loin de moi pour ne pas l’utiliser, car c’était plus fort que moi. Un coup, c’était elle qui payait, un coup, c’était moi. Comme pour les courses dans un couple normal, en somme.
La cocaïne et moi, ça a tout de suite été le coup de foudre. J’aime la vie sous cocaïne. L’énergie qui jaillit en moi, la joie de vivre qu’elle procure. La coke décuple la confiance en toi, elle te donne une assurance démesurée et l’impression que tout est possible. Elle te provoque immédiatement une euphorie, un plaisir intense que tu ne retrouves nulle part. J’aime la personne heureuse et extravertie que je suis sous cocaïne ; tout devient intéressant, ça met du rose sur des lunettes. La blanche te fait devenir une véritable pipelette : on passait des soirées entières à discuter passionnément, de tout et de rien, mais surtout de rien. Avec la coke, je n’avais plus l’impression de subir ma vie, j’avais trouvé un paradis artificiel, une échappatoire au quotidien.
Tout doucement, le serpent de l’addiction s’enroulait autour moi. Ça se manifeste aussi par le « craving », une soudaine et puissante envie de consommer, qui tourne rapidement à l’obsession. Le craving, c’est le petit diable de gauche, la petite voix qui, crescendo, envahit mes pensées jusqu’à parfois devenir insoutenable. Soudain apparaît cette petite flamme, cette envie, et j’essaie vainement de l’empêcher d’accaparer mon esprit. Alors quand elle vient, je dois me focaliser sur son côté sombre, me souvenir de sa malveillance, de sa férocité, de son vice. Je sais que ce craving durera trente minutes, peut-être une heure, puis il s’en ira… Et de nouveau, enfin, je pourrai réfléchir normalement. Le manque de la cocaïne se manifeste uniquement par des symptômes psychologiques et quand on prend l’habitude de consommer régulièrement, quand soudain il n’y en a plus, c’est la fin. J’ai fini par ne plus pouvoir sortir en soirée en étant sobre. Sans cocaïne, je déprimais violemment, c’est devenu un automatisme qui ne m’a plus jamais quitté.
Il m’a reluqué de haut en bas avec un air décomposé et a dit : « Tu es cocaïnomane »
Un soir, le pote avec qui j’avais rencontré Charlotte devant la boîte, celui qui m’avait initié à tout ça, est passé. J’étais complètement défoncé, dans un sale état. Il m’a reluqué de haut en bas avec un air décomposé et a dit : « Tu es cocaïnomane ». À ce moment-là, je me suis pris une gifle de réalité en pleine face. Je n’avais jamais réellement pris conscience de l’ampleur de mon addiction – j’étais dans le déni le plus total. Je vivais dans une bulle depuis trois mois et elle venait tout juste d’éclater. Les toxicomanes ont tendance à se trouver des excuses, et quand ce ne sont pas des excuses, ils cherchent des responsables à leur addiction. C’est uniquement de ma faute : je n’ai jamais eu les mains liées, on ne m’a jamais posé un gun sur la tempe pour me faire prendre toutes ces traces. Je suis le seul responsable de ma situation, je l’ai fait en mon âme et conscience, et c’est peut être ça le pire.
L’héroïne est venue quelques mois plus tard. En réalité, ça a commencé car les descentes de coke se sont misent à devenir de plus en plus difficiles à gérer. C’était horrible, je souffrais, je devenais complètement fou. Le cerveau en rade de dopamine, à chaque fois que le gramme était fini, j’étais à bout de nerf, je me tapais la tête contre les murs. Chaque montée se payait par une descente. La drogue dure, c’est comme les montagnes russes, plus la montée est grande, plus la descente est difficile. Tu traverses ton existence en dent de scie.
Un jour, elle m’a proposé une petite trace d’héroïne pour calmer ma descente. C’était innocent, elle voulait juste me soulager. « Juste une petite trace, ça ne va pas te tuer. Une seule et c’est tout. » J’ai sniffé deux petites traces, et ça a fonctionné au-delà de mes espérances. Je me suis endormi et j’ai rêvé que je lévitais au-dessus du lit. J’avais goûté ce sentiment de bien-être intense, de plénitude totale. J’étais Ève, j’avais goûté la pomme, j’avais cédé à la tentation. Plus rien ne serait pareil. Les jours qui ont suivi, c’est devenu systématique : après la cocaïne, une trace d’hero, parfois deux. Je savais que je jouais avec le feu en consommant chaque jour, mais je me répétais naïvement que j’arrêterai quand je le voudrais, que ça s’arrêterait lorsque j’irais mieux. Je dansais sur le fil du rasoir. Je faisais le numéro de l’équilibriste depuis trop de temps. Je ne le savais pas, mais j’avais mis un pied dans quelque chose qui me dépassait complètement.
Puis, un weekend, on s’est embrouillé elle et moi, pour une broutille. Je suis rentré chez moi après plusieurs mois passés chez elle. J’ai passé le week-end plié de douleur dans mon lit, nageant dans ma sueur. C’était le manque, un manque physique atroce. Les symptômes allaient des sueurs froides aux nausées en passant par les crampes à l’estomac. Le ressenti de trois grippes carabinées, une vraie souffrance. Je n’arrivais même pas à tenir sur mes deux jambes. Si l’enfer existait, le manque de l’héroïne en était un aperçu.
Le dimanche soir, je suis retourné chez elle, la suppliant à genoux d’abréger mes souffrances avec une trace d’héroïne. Les symptômes se sont dissipés immédiatement, le mal avait cessé. C’est ce soir-là que ma dépendance à l’héroïne a commencé : depuis ce jour, je n’ai cessé de consommer quotidiennement et ce, pendant un an. À 19 ans et en l’espace de quelques mois seulement, j’étais devenu cocaïnomane et héroïnomane.
La suite à retrouver ici.
*Le prénom a été modifié.
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