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Tony Rettman a écrit le livre ultime sur le New York hardcore

Vous imaginez un lieu où se regrouperaient skinheads, rastas, métalleux, punks, rappeurs, renégats de tous poils afin de jouer et de se la donner sur la même musique ? Impensable aujourd’hui, non ? Et pourtant, c’est ce qui s’est produit à New-York tout au long des années 80. Lorsque les Bad Brains ont décidé de déménager de Washington pour venir s’installer à la Grosse Pomme, une étincelle s’est produite. C’en était bien fini du Max Kansas City et de l’hégémonie des punk rock stars. Ces renois qui jouaient plus vite et sauvagement que n’importe qui sur le territoire allait donner envie à des tas d’autres kids de faire pareil, des Beastie Boys aux Cro-Mags. C’était l’époque du New York Thrash.

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Tony Rettman (Photo : Jolie Ruben)

Un type a enfin décidé de coucher tout ça noir sur blanc, ce type s’appelle Tony Retmann, journaliste pour Vice, Village Voice, The Wire… et déjà auteur de Why Be Something That You’re Not : Detroit Hardcore 1979-1985. Tony vient de sortir le livre-somme que la scène NYHC méritait : New York Hardcore 1980-1990. Retmann n’omet rien à travers les 450 pages du bouquin : The Mad, le squat A7, la radio WNYU, les fanzines, les guerres entre villes, Agnostic Front, les aprems au CBGB, les krishnas, les peace-punks, le heavy metal, le Youth Crew, Revelation Records, l’ABC No Rio… Tout y est, témoignages, flyers, photos, six années de boulot. Le livre sortira officiellement chez Bazillion Points le 11 décembre et si vous n’avez pas encore commandé le votre, je n’ai même pas envie de vous connaître ! On a posé quelques questions à Tony sur son livre, gentiment préfacé par Freddy Madball.

Noisey : Pour commencer, j’aimerais savoir ce que tu as ressenti après la lecture du livre American Hardcore de Steven Blush.
Tony Rettman :
American Hardcore a ouvert la voie pour plein d’autres livres, les deux miens compris, donc je le respecte pour ça. Ceci étant dit, j’ai l’impression que ça aurait pu être un meilleur livre si Blush avait laissé son opinion en dehors et si les sujets avaient pu s’exprimer. Je m’en tape de savoir qu’il se faisait sucer, qu’il fumait du crack ou qu’il pensait que les Big Boys n’avaient sorti que deux disques potables. Je comprends parfaitement qu’il ait voulu capturer un certain esprit de l’époque, mais terminer son livre en statuant que le hardcore est mort en 85 ou 86, c’est juste fainéant et surtout c’est faux. Le NYHC était justement en plein boum à cette période. S’il l’avait sous-titré avec un truc type « 1980-1985 », je pense que la pilule aurait été plus facile à avaler.

On dirait que depuis la publication de ce livre, chaque ville veut SON document sur sa scène. Tu n’as pas l’impression qu’on croule sous l’info après une longue période de famine en la matière ?
Oui c’est peut-être le cas, mais quand tu repenses au contexte d’il y a 10 ou 15 ans où il n’y avait RIEN, tu ne peux pas te plaindre. Personnellement, ça m’intéresse de savoir comment ce hardcore s’est répandu partout, de l’Iowa à New York, et si ça signifie une tonne de livre, de documentaires et autres, allons-y. Ca ne fera de mal à personne.

Curieusement, l’une des scènes les plus prolifiques et influentes, celle de New York, ne bénéficie de son livre ultime que maintenant. Qu’est ce qui a mis si longtemps d’après toi ?
Je ne sais pas si on peut appeler ça « le livre ultime », c’est trop de pression ! Le temps que le livre a pris correspond à la taille et à la portée de la scène hardcore et de la ville qui l’englobe. Il y avait tellement de groupes disparates, de Youth of Today à Nausea ou Sheer Terror, qui se mélangeaient tous. Je crois que ça a intimidé les gens, moi ça m’a intimidé en tous cas ! J’ai fait de mon mieux pour représenter toutes les facettes de la scène et j’espère que ça se voit.

Encore plus curieux, les seuls livres qui existent sur le sujet (excepté celui de David Koenig) viennent tous d’Allemagne : The Way It Was, The Sound of The Big Apple, et j’ai même trouvé de la science-fiction NYHC haha. Pourquoi les Allemands sont si férus de NYHC à ton avis ?
C’est marrant que tu me parles de ça parce que justement, il y a quelques jours, le guitariste d’un groupe de NYHC bien connu m’a conseillé de traduire le livre en allemand pour que ça soit un succès assuré ! Je n’ai jamais foutu les pieds en Allemagne et, honnêtement, je ne sais pas du tout pourquoi les Allemands sont autant obsédés par le NYHC. Donc je ne vais rien conclure là-dessus.

Peut-être que Lost & Found a eu une incidence là-dessus. Le label a en quelque sorte établi le style en Europe, en distribuant tous les disques (même si la majorité étaient des pirates) du hardcore des 80’s et que, sans ça, les groupes new-yorkais n’auraient sûrement jamais pu organisé autant de tournées rentables ici.
Ouais, peut-être que Lost & Found a joué un rôle. J’ai bossé chez un disquaire au milieu des années 90 et chaque semaine, on recevait un CD d’un groupe NYHC de troisième zone sorti chez eux. Mais tu soulèves un point intéressant en tous cas. Le fait de bootlegger tous ces groupes et ces albums a fait naître un intérêt pour le style en Allemagne, et l’a fait circuler en Europe. Personnellement, j’aime à penser que le pouvoir de la musique est suffisant et que ce sont les musiciens eux-mêmes qui ont réussi à attirer l’attention. Mais comme tu t’en doutes, et comme le dit la fameuse chanteuse de folk anglaise Sandy Denny, « I’m a dreamer ».

Tu avais un « modèle » de livre en tête ?
Le seul que j’avais vraiment en tête, pour mes deux livres, c était celui de Clinton Heylin, From the Velvets to the Voidoids, tout simplement parce que, pour moi, c’est le parfait compromis entre témoignages et textes de l’auteur qui servent de fil conducteur à l’histoire.

C’est quoi les histoires les plus tarées que t’as entendues ? Les interviews les plus intéressantes et les plus décevantes ?
N’importe quelle anecdote impliquant Billy Psycho était ouf. Aucune d’entre elle n’a fini dans le livre par contre, parce qu’elles n’avaient rien à voir avec la musique ou la scène. Mais c’était très drôle, comme quand Craig Ahead [de Sick Of It All] m’a raconté la fois où il était parti en stop au nord de la ville avec des potes et qu’ils avaient trouvé Billy perché en haut d’une montagne, en train de boire des litres de bière et de manger des œufs durs qu’il planquait et sortait un par un de sa veste tel un magicien.

Toutes les interviews ont été intéressantes. Très peu m’ont déçu. Celles que j’ai préféré faire : Jack Rabid [auteur du fanzine The Big Takeover], Mike Judge, Paul Cripple [Reagan Youth], Louie Rivera [Antidote], Doug Holland [Kraut], Parris Mayhew [Cro-Mags] et plein, plein d’autres… Après, j’aurais bien aimé que Darryl Jenifer me parle un peu plus, mais peut-être qu’il était stressé, j’en sais rien. Et puis bon, qui je suis pour la ramener ? Juste un blaireau avec un dictaphone soi-disant en train d’écrire un livre. Ce mec était dans les Bad Brains bordel de merde !

Les Cro-Mags (Photos : Ken Salerno)

Le NYHC a toujours souffert d’une mauvaise image (même au sein de la scène hardcore elle-même)…
Peut-être qu’au début des années 80, NY était relégué au second plan par les scènes de Washington D.C., Boston, le Midwest, etc… parce que la ville était surtout perçue comme punk plutôt que hardcore. Mais New York s’est mise au boulot pour délivrer dès le milieu des années 80 des groupes comme les Cro-Mags, Sick Of It All, Youth of Today et d’autres. A ce niveau là du jeu, NY est définitivement hardcore. C’est le style que n’importe quel type lambda reconnaît aujourd’hui et sur lequel il peut s’exclamer « Oh ouais, Sick Of It All… ça c’est du hardcore. » Après tout ce que NY s’est pris dans la face au début des années 80, la ville est devenue le mètre étalon du hardcore actuel.

Justement, dès le début des 80’s, un groupe comme les Nihilistics était clairement représentatif de « l’esprit new-yorkais ». Content qu’ils aient un chapitre à eux dans le bouquin d’ailleurs !
The Nihilistics est un groupe majeur pour moi. Mon frère avait ramené leur LP à la maison quand j’avais 11 ans, et ça a été un gros choc. Cet objet est le principal responsable du misérable connard que je suis aujourd’hui. Si tes poils de dos ne s’hérissent pas quand tu entends l’intro de « Welfare for the Rich », je n’ai même pas envie de te connaître.

Il y a aussi un chapitre inévitable sur la rivalité entre New York et Boston.
Comme je l’ai dit avant, les kids de Boston, D.C. et du Midwest trouvaient que New York était en retard et toujours branchée sur le punk au début des années 80. Donc oui, la rivalité était bien là mais ce n’est pas non plus une guerre civile, ou un truc de ce genre. Aujourd’hui, ça a évolué en une sorte de vieux grief entre deux lycées ennemis dont les anciens membres se tapent dans le dos quand ils se croisent.

Ouais, les mecs de Boston y allaient fort quand même, en proclamant que New York était un taudis pour junkies. Pourtant, il y avait déjà des groupes straight edge à cette époque, Antidote et The Abused. D’où sortaient ces types ? Comment ils étaient perçus par le reste de la scène ?
The Abused et Antidote n’étaient pas vraiment des groupes straight edge. The Abused avaient ce morceau intitulé « Drug Free Youth » mais il n’était pas sensé être considéré comme un hymne straight edge. D’ailleurs, sur la back cover de leur EP, l’un d’eux est en train de fumer une clope ! Le chanteur d’Antidote, Louie (tout comme leur batteur Bliss), était fasciné par la conscience Krishna, mais ça n’avait rien à voir avec le fanatisme comme Shelter plus tard. Et même si The Abused chantaient une alternative à la défonce, ça n’avait rien non plus à voir avec ce que des groupes comme Youth of Today ou BOLD défendaient à la fin des années 80.

The Abused et Antidote étaient originaires de Manhattan pour la plupart. Quand j’ai interviewé Kevin Crawley [le chanteur de The Abused], il m’a dit qu’il se sentait comme un paria parmi les parias, vu qu’il n’était ni intéressé par les drogues dures, ni par l’esprit festif. En revanche, les autres personnes que j’ai interviewées pour le livre m’ont confié que des choses positives sur The Abused et Antidote. Pour eux, ces groupes faisaient partie intégrante du reste de la scène de l’époque.


Ray Cappo et Shelter (Photo : Ken Salerno)

Est-ce qu’à un moment précis, le « krishnacore » a constitué un mouvement à New York ?
Je ne crois pas qu’il y ait eu un effort conscient de lancer un mouvement krishnacore de la part des Cro-Mags. Ils voulaient juste que les gens prennent conscience du monde qui les entourait. Tout ce qui a pu être assimilé à un mouvement est arrivé ensuite, dans les années 90, avec des groupes comme Shelter, 108 et le malheureux second LP de Prema qui n’a jamais vu le jour.

Dis m’en un peu plus sur le chapitre intitulé « La Naissance de l’Unité ». Est-ce que tu as vécu la vague straight edge comme un renouveau de la scène à la fin des années 80 ? Et est-ce que ça devait arriver ?
Le mouvement straight edge à New York a représenté une part importante de mon adolescence. Pour moi, c’était difficile de ne pas me laisser happer par le truc, surtout quand t’étais un gosse de 16 ans qui cherchait un autre délire que de se mettre des mines le samedi soir avec ses bros. Ray Cappo est/était un vrai chamane à cette époque. Peu importe ce que tu peux dire là-dessus avec le recul – tous les kids ressemblaient à des clones, etc – c’était une sensation incroyable de savoir que tu partageais cette conscience universelle avec des centaines d’autres gars.

Est-ce que ça devait arriver ? Eh bien, ça a carrément amené New York dans une nouvelle phase oui. Dès 1988/89, les groupes de Revelation Records étaient ceux que les gens de l’extérieur considéraient comme NYHC.

Breakdown (Photo : Ken Salerno)

Certains groupes de New York auraient pu devenir gros, très gros, mais on dirait qu’il y a un élément auto-destructeur inhérent au NYHC. T’es d’accord avec ça ?
Ouais, complètement. Mais je pense que ce côté « auto-destruction » vient du fait que ces groupes avaient beaucoup plus d’opportunités autour d’eux, bien plus que n’importe quels autres groupes hardcore de cette période. Passer d’une vie dans des squats à des tournées en tour-bus en première partie d’un gros nom du metal peut très vite te retourner le cerveau j’imagine.

T’as choisi d’arrêter le bouquin en 1990, pourquoi ?
Je pense que le NYHC des années 90 est suffisamment documenté. C’est l’ère des groupes que tout le monde connaît aujourd’hui comme Madball, Biohazard, Sick Of It All, Crown of Thornz, etc. Ce livre est supposé montrer justement d’où tout ça vient.

Quand as-tu commencé à écrire sur le hardcore ? Tu n’as jamais eu peur que ta musique préférée se perde dans le flux de l’« infotainment » ?
J’ai commencé à écrire à l’âge de 14 ans. J’avais créé un fanzine moi-même, en 1986, et un an plus tard, mon pote Tim McMahon [qui gère aujourd’hui l’excellent site doublecross.com] et moi commencions le zine Common Sense avec lequel on a interviewé beaucoup de groupes de NYHC de l’époque.

Je ne pense pas que les gens en savent trop ou soient réellement intéressés pas le hardcore en fait – même en 2014 – du moins pas au point que le hardcore se retrouve dilué par les journalistes. Quand quelqu’un qui ne sait rien du hardcore en parle dans Spin ou Mojo, ou dans n’importe quel autre mag, ils passent juste pour des buses… et la musique n’en souffre pas de toute façon.

Tu espères que ton livre va atteindre des gens en dehors des cercles hardcore/punk/metal ? Qu’est ce qui te fera dire : « mission accomplie » ?
Ma « mission sera accomplie » si les gens qui étaient dans la scène à l’époque kiffent le livre. C’est tout ce qui compte. Je crois que le truc est assez fascinant pour attirer les gens qui ne font pas la différence entre Fit of Anger et Sick of it All. Qu’ils apprécient la musique, ça… c’est une autre histoire.Un extrait du livre.

Et sinon, tu vis toujours à New York ?
Je vis actuellement au nord de Long Island, à Glen Cove… qu’on peut considérer comme la banlieue. En une heure de transport, je me retrouve au milieu de ces putains de types de Wallstreet qui braillent dans leurs téléphones portables et conduisent des bagnoles aux prix exorbitants. L’endroit où je vis est vraiment beau, pittoresque, mais les gens craignent vraiment. Mais bon, je trouvais déjà que j’étais entouré de connards quand je vivais à Brooklyn, et quand j’ai vécu à Harlem c’était pareil. Je pense que ce qui caractérise le mieux New York c’est que nous ne sommes jamais satisfaits. Quand on n’est pas en train de se plaindre de quelque chose, c’est qu’il y a un problème. Je reste à New York à cause de mon boulot et de ma famille, mais si une opportunité de quitter la ville se présente, je déménagerai ailleurs, là où personne ne viendra m’emmerder, ça c’est sûr.

Pour finir, je te retourne une question que tu poses souvent aux groupes : pourquoi tu penses que le NYHC attire encore autant de gens à travers toute la planète ?
C’est une combinaison du folklore et de la musique. C’est également la seule scène hardcore des Etats-Unis qui se perpétue et continue à être pertinente. Il y a très peu de groupes de NYHC qui participent à la mascarade du revival. Agnostic Front, Madball, Sick of it All, etc. existent toujours et sortent toujours de putain de disques. Ils donnent au public ce qu’il veut sans avoir forcément à faire référence à leurs faits d’armes d’il y a 30 ans. Le NYHC est toujours là et il botte toujours des culs.

Une sélection NYHC compilée par Tony.

Tony Rettman est sur Instagram et Twitter

Rod Glacial s’est gouré d’époque et d’endroit. Il twitte quand même – @FluoGlacial