Comme 2017 et 2016 avant elle, 2018 fut un année assez merdique. Alors que nos livres scolaires nous promettaient des villes modernes où tout le monde vit en harmonie avec son prochain et se déplace en voitures volantes, nous en sommes encore à déverrouiller des trottinettes électriques avec des QR codes. Depuis plusieurs mois, les Français se révoltent en gilet de sécurité à bord de chariots élévateurs, les forêts brûlent à cause de randonneurs idiots et Marseille se fait éliminer par une équipe de quatrième division. Au milieu de ce chaos, d’autres trucs plus ou moins graves nous plombent nos journées. À force de nous plaindre les uns envers les autres, on a décidé de réfléchir à ce qu’on ne souhaite plus voir en 2019, à titre personnel, et de l’écrire.
LES GENS QUI RÉPONDENT « OLD » AUX LIENS QUE VOUS LEUR ENVOYEZ
Naviguer sur les Internets de nos jours ressemble de plus en plus au passage du Cap Horn par gros temps – sachant que le moindre emoji mal placé peut vous emporter dans une tempête de merde doublée d’une chronique d’un mec pas drôle sur France Inter. Mais ce qui n’est pas simple non plus, c’est de trouver LE lien golri à envoyer à votre collègue ou à vos potos histoire de passer pour le Christophe Colomb des bons petits liens. Or, une fois le lien envoyé, il arrive parfois un truc terrible. En guise de réponse, vous recevez un « old » lapidaire. Vous vous apercevez alors que le BPL (pour « bon petit lien ») date en réalité d’avril et que Konbini et Slate ont fait un article sur le sujet à l’époque. Votre monde s’écroule, alors que vous étiez simplement animé par votre envie débordante de partager cette sympathique histoire de bikers aveugles nord-coréens. Du coup, pour éviter ce type de désagréments, nous proposons une solution relativement simple aux récipiendaires d’un lien un poil old : le pas de côté. Merci de répondre un truc du style « ah cool, ça me fait penser à [insérer un autre lien] ».
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LES VIDÉOS RECAP DE FIN D’ANNÉE SUR FACEBOOK
Elles reflètent le pire de l’humanité. Décembre 2018 ne m’a toujours pas épargnée. Musique nostalgique à la guitare, montage standardisé, photos surexposées et commentaires bienveillants. Si mon degré de stalk me pousse à cliquer sur ces joyeux concentrés de narcissisme, cela ne veut pas dire que voir vos selfies mi-cocooning sous la couette en février, mi-fêtard sur la plage de la Baule me réjouissent. Votre année était probablement aussi nulle à chier que la mienne. Et partager une rétrospective de vos bons moments ne la rendra pas meilleure. Cela mériterait d’ailleurs une suppression immédiate de mes amis Facebook.
Après de multiples tentatives de masquer ces vidéos sur Facebook depuis 2012, Instagram s’y met. Impossible d’y échapper. Pourtant tout le monde s’en fout de revoir votre photo la plus likée – particulièrement ce selfie rayonnant pendant vos « super vacances à Malaga ». Pourquoi ressortir ça maintenant alors qu’il fait 3°C et que tout le monde doit retourner au taf ? Et si vous faites partie de ceux à qui les algorithmes n’ont pas proposé ces petits montages, bravo, vous êtes de belles personnes. Soit vous n’avez rien à partager – ce qui est mon cas -, soit vous n’avez rien posté sur les réseaux sociaux de peur de vous voir proposer cet horrible pêle-mêle. Bien vu. Restez dans l’élite silencieuse de Facebook et échappez comme moi au risque de vous rendre compte que votre vie n’est plus qu’un incroyable néant social depuis que vous avez décidé de vous lancer dans une carrière d’huissier, de fonctionnaire ou encore de journaliste. C’est décidé, en 2019, je me déconnecte.
LES THREADS TWITTER
Au milieu d’une journée de boulot faite de thés trop tièdes et de « Yo, ça va ? », il m’arrive de traîner sur Twitter pour vaguement tenter de décompresser. Mais ce réseau social est une porte ouverte sur l’Enfer qui m’aspire un peu plus chaque jour. Et allez savoir pourquoi, certains trouvent propice d’utiliser le réseau social qui octroie le moins de mots au monde pour y raconter ce qui les déprime, en large et en travers. Contraint aux 280 caractères, ils se lancent alors dans des threads, c’est-à-dire plusieurs tweets d’affilés censés représenter une réflexion ou pire, un récit. C’est extrêmement lourd à lire. C’est comme une conversation Messenger avec ce pote qui appuie sur « Envoyer » tous les deux mots, produisant ainsi un fil Twitter sans jamais terminer une phrase, le tout en vous noyant sous les notifications.
Parmi eux, il y a les dénonciateurs. Ils commencent toujours par « [THREAD] », soit la version moderne de « J’accuse ! » de Zola. Après avoir vu une petite vieille se faire bousculer dans le métro, ils refusent de se taire et agrippent leur téléphone pour changer le monde – souvent assis sur les leurs chiottes, le matin. Pire, certains se justifient, genre « Je n’ai pas pour habitude de faire ça, mais… ». Mais quoi ? Certains osent même le « [THREAD] Mon analyse sur… » Autre variante du thread Twitter : les fameux « live-tweet » de conférence Samsung ou toute autre multinationale qui accompagne nos tâches quotidiennes. C’est hyper chiant. Dans un monde où l’on peut tout voir en direct avec des images, le live tweet est la régression ultime, une cuve à merde du journalisme dans laquelle on envoie se noyer de jeunes talents qui n’ont rien demandé. Sérieux, qui a envie de s’informer sur la nouvelle puce graphique d’un iPhone XR++ via le live tweet d’un(e) journaliste ? Écrivez des articles, ou faites des Facebook live dans lesquels vous n’avez rien à dire.
L’ESPOIR EN L’AVENIR
Je porte beaucoup d’espoir en l’avenir. Je pense à lui. J’essaie de me préparer pour lui en m’épuisant dans mon travail et mes « loisirs productifs » chaque jour ouvré que le mauvais démiurge fait. Maintenant que j’ai commencé à perdre mes cheveux et mettre des rides sur le côté des yeux, je m’interroge : à quoi bon ? Pourquoi croire que le futur ne va pas simplement fracturer notre crâne sur le sol ? Mes cours de langue, mes séances de sport et ma petite épargne durement constituée seront balayés comme sucre dans le blizzard si quelque chose vient à mal tourner pour de vrai. Un CDI ne peut rien contre une pandémie.
Dès lors, c’est décidé, en 2019 j’arrête l’espoir en l’avenir. Pour moi, pour vous, pour le cosmos. Je veux me sentir hausser les épaules comme par réflexe face à la moindre mauvaise nouvelle concernant le climat, la situation économique et sociale ou que sais-je encore. Je veux accepter en riant la possibilité qu’une main invisible tire le tapis sous mes pieds. N’oubliez pas : nous sommes encore jeunes, tout ne peut qu’empirer. Peut-être que nous devrions accepter et nous laisser porter vers la catastrophe sans protestation, qu’on en finisse vite. J’écris tout ça depuis mon lit, je n’ai pas envie de retourner au bureau.
LES CHAUFFEURS DE TAXI – OK PAS TOUS, MAIS QUAND MÊME
Pendant longtemps je me suis interdit de juger la guerre qui a oppose les chauffeurs de taxi à leurs homologues VTC. Mais depuis qu’un chauffeur de taxi m’a sauvagement éconduit dans la froideur d’une nuit d’automne, la donne a changé. J’ai toujours compris la mal-être des taxis face à cette nouvelle concurrence, mais bizarrement, je la comprend un peu moins quand certains chauffeurs refusent de me ramener chez moi contre 30 euros. Je n’étais pourtant pas aviné comme c’est parfois le cas, ou accompagné d’une radasse de fin de soirée. Je n’ai pas compris et ne comprends toujours pas.
Ça ne vous arrange pas de me ramener à Croix de Chavaux ? Ce n’est pas mon problème. Ça vous fait faire un détour avant de rentrer chez vous ? Idem, rien à foutre. Ma tête cassée ne te revient pas ? Ce n’est pas ce que je te demande. N’oubliez pas que vous êtes prestataires de service et que vous avez certains devoirs. Et j’évite d’évoquer ce service qui est, parfois, de piètre qualité. Ça me fout le seum, surtout quand je vous vois vous insurger face aux VTC qui « niquent le business ». Vous en êtes aussi responsables, tant votre corporation devrait évoluer. Mais ça c’est votre combat, pas le mien. Donc je vous emmerde.
LE SEUM
J’ai mis énormément de temps à capter la signification du mot « seum ». Bien trop paniqué à l’idée qu’on puisse découvrir le vieux con que j’étais, je ne manifestais jamais mon incompréhension quand mes interlocuteurs utilisaient l’expression. Mes mains devenaient moites, mes tempes jouaient du Stomp, je lâchais des petits pets de terreur avant de me rendre compte qu’un hochement de tête, une petite moue ou un « Ahah ouais grave » étaient amplement suffisant pour prolonger l’imposture et ma vie de galérien.
Comme n’importe quel adulte qui découvre un truc de jeune, je me suis même approprié le terme, l’utilisant en dépit du bon sens. Il a fallu qu’un pote décrive mon « seum » comme « gonflé et bien veineux » pour me plonger dans l’embarras. J’ai fini par utiliser un moteur de recherche le plus proche pour découvrir que sa flâterie n’en était pas une. J’étais une boule de colère, de dégoût et de frustration. Peut-être que Freud considère le « seum » comme utile à l’épanouissement de l’individu. Moi, j’ai surtout l’impression que ça me transforme en mini-Stéphane Hessel énervé donc j’appelle dans la mesure du possible à son éradication en 2019.
PONCTUER TOUTES SES PHRASES PAR « FRÈRE »
Les interactions entre humains ne sont pas toujours simples, mais certains décident sciemment de complexifier tout ça en multipliant les tics verbaux pour conclure leurs phrases. Depuis quelques temps, l’injonction « frère » (prononcé « fraire » ou écrit « frer » sur Hangout)) semble avoir remplacé toute forme de ponctuation pour certains collègues et connaissances. Je ne suis pas contre les surnoms et j’aime bien quand mon kebabier préféré m’appelle « chef », mais la traduction littérale du « bro » a tendance à me tendre. À part ça, 2018 était une chouette année.
Bonne année à tous.
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