En octobre dernier, je dînais avec Teki Latex et DJ Betty à l’Entrée des artistes, à Paris, lorsque Teki m’a annoncé la nouvelle. « En passant – et tu dis ça à personne, hein? – on va faire quelque dates en DJ set avec TTC. Peut-être même les Francofolies. » Il me regardait avec un sourire parce qu’il savait que ça faisait longtemps que j’attendais cette nouvelle-là.
TTC, c’est un groupe important pour moi. Quand j’avais 12 ans, je marchais dans la rue avec mon meilleur ami, qui était, comme moi, un très grand fan du groupe. Étant un bad boy notoire à l’époque, je fumais une cigarette quand quelqu’un m’a tapé sur l’épaule pour me demander du feu. Je me suis retourné et, derrière moi, il y avait les trois membres du groupe. Ils étaient à Montréal pour jouer au Spectrum, et le show était sold out. Les gars nous ont donc proposé de nous faire entrer avec eux par la porte arrière de la salle de spectacle. Depuis ce temps-là, on est de bons amis, et je reste persuadé que, sans eux, je ne serais pas là où je suis aujourd’hui.
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TTC voit le jour en 1997 lorsque Cuizinier rejoint le line-up de Baldazz, le groupe que son cousin Teki Latex avait formé avec Tido Berman deux ans auparavant (Tido + Teki + Cuizi = TTC, get it?).
En 1999, ils sortent le EP Game Over 99. C’est du jamais vu sur la scène du rap francophone à ce moment-là. Trois kids qui parlent (de manière assez vulgaire) de la fin du monde, que certains associaient à l’époque à l’an 2000, avec des voix aiguës bizarres et un sample de Super Mario Bros. À Paris, surtout, les gens n’étaient pas prêts pour ce genre de truc là. Dans l’imaginaire collectif, le rap franco se devait d’être soit engagé politiquement, soit gangster. Ils sont exclus par la scène du rap parisien et décident de créer leur propre scène, avec d’autres groupes qui partagent leur mentalité.
En 2002, ils sortent enfin leur premier album, Ceci n’est pas un disque, qui viendra vraiment solidifier la scène qu’on en est venu à appeler le rap alternatif. Mais c’est vraiment avec le morceau Dans le club, en 2004, que TTC réussira à en quelque sorte entrer dans le mainstream. Leur second album, Bâtards sensibles, flirte nettement plus avec l’electro, et est produit par Tido Berman, Para One, Tacteel et DJ Orgasmic, ancien DJ du Klub des Loosers, devenu DJ live pour TTC.
Teki explique que le groupe procédait de manière presque scientifique pour réussir à créer les flows emblématiques de l’album ainsi: « Para One nous envoyait des tracks, on enregistrait nos paroles, on les renvoyait à Para One qui resculpte le beat en rabotant les trucs autour de notre flow et qui nous renvoie l’instru afin qu’on change encore nos flows par rapport à ça jusqu’à ce que ça donne un truc homogène. »
La technique fonctionne à merveille, et le groupe est mis en nomination en 2005 aux Victoires de la musique dans la catégorie « Album rap/RnB de l’année ». Malgré tout cela, TTC et ses acolytes de la scène rap alternatif peinent à passer à la radio, qui trouve les sons et les sujets abordés trop weird. Pourtant, les fans adorent et le groupe tourne constamment en France et ailleurs, dont au Japon et au Canada. Ils font les gros festivals, ils sont amis avec les stars montantes de la french touch 2.0 et toute la nouvelle communauté de musique électronique qui se forme sur MySpace, incluant Diplo et A-Trak.
La vie de tournée leur plaît, mais elle a tout de même un effet sur leurs relations interpersonnelles. « On s’est toujours bien entendus, mais quand tu fais 20 dates avec cinq personnes, ça commence à sentir les chaussettes sales dans le van, tout le monde est fatigué, et ça commence à s’embrouiller sur qui a mis la bouteille de Coca là », explique Teki Latex. Les gars profitent d’un succès fulgurant qui est dû en grande partie à l’internet et à leur côté nerd, qui fait que leurs sons avant-gardistes se trouvent un auditoire partout. Mais ils ont aussi un bon nombre de détracteurs : des gens qui trouvent leurs paroles trop misogynes, des puristes qui trouvent que ce qu’ils font n’est pas vraiment du rap et, pendant un moment, des fans de Yelle (dont le succès Je veux te voir était une réponse à Girlfriend, et surtout un diss à Cuizinier). À leur apogée, ils deviennent carrément victimes de leur succès et se désolent de voir le nombre de leurs fans qui ne comprennent pas tout à fait ce qu’ils essaient de faire.
TTC, ce n’était pas un groupe de rap, c’était un groupe d’amis tous nerds de rap. Mais il semble que, là où il n’y avait pas de second degré, les fans en voyaient un, et, là où il y avait mille degrés différents, d’autres n’en voyaient qu’un. Leur tube Girlfriend est aujourd’hui connu comme une chanson paillarde, devenu l’hymne de plein de fraternités en France. Avec ses paroles hyper vulgaires et misogynes assumées, c’était censé être une ode à la ghetto-tech et la Miami bass. Certains auditeurs l’ont pris au premier degré, alors que d’autres ont applaudi ce qu’ils pensaient être une critique du rap américain vulgaire et mégalomane. En fait, par-dessus tout, ce qui énervait TTC, c’était d’avoir acquis une espèce de réputation de groupe rap pour les gens qui n’aiment pas le rap.
Avec 3615 TTC, leur troisième et dernier album, le trio a réussi à continuer à élargir son auditoire, avec des hits comme Téléphone et Travailler. C’est à la même époque que l’on voit apparaître en grande pompe la mode des vêtements fluos, et entrer dans l’imaginaire collectif québécois notre propre scène de rap alternatif, dont les amis de TTC, Omnikrom, seront la figure de proue. Ensemble, les deux groupes travaillent sur de nombreuses chansons, dont Danse la poutine. Peu après, tous les membres ont fait leurs propres trucs, et, sans que personne n’en parle, c’était la fin de TTC.
L’an passé un ami booker du groupe les a approchés en leur disant que, s’ils voulaient faire une tournée afin de célébrer leurs 20 ans d’existence, il les aiderait à l’organiser. Ils ont refusé, au début, tous préoccupés par d’autres projets. Cuizinier poursuit une carrière en solo, en plus d’être DJ pour plusieurs soirées à Paris. Tido, qui a également produit des morceaux sur les trois albums du groupe, continue à faire de la musique et travaille maintenant dans le monde de la télévision, en Guyane, où il a déménagé il y a sept ans. Teki, quant à lui, tient le label Sound Pellegrino avec Orgasmic, en plus d’être curateur pour Boiler Room.
Mais, comme me disent Tido et Teki, Cuizi a su trouver les bons arguments, et tout le monde s’est mis d’accord sur une formule de DJ sets. « Je suis ravi qu’on soit tous réunis, et ça sera une bonne occasion de tous faire la fête ensemble, me dit au téléphone Cuizinier. On va essayer de mélanger un peu de tout ce qui nous a influencés à l’époque, tout ce qu’on écoutait pendant qu’on était sur la route, et de mêler ça à des trucs plus récents, tout en y incorporant quelques morceaux de TTC ici et là. »
Par contre, comme me l’ont répété les trois, il ne faut vraiment pas s’attendre à un spectacle de TTC comme dans le temps. La formule ressemblera plutôt aux fêtes d’après-concert du groupe, où Orgasmic faisait des DJ sets et les gars venaient passer quelques chansons et prenaient le micro de temps à autre pour rapper. Bien entendu, il ne faut pas non plus s’attendre à de nouvelles chansons de TTC.
Bien qu’aucun d’entre eux ne veut me nommer de groupes, les gars sont conscients du fait qu’ils ont en partie influencé la manière de faire de la nouvelle génération. Avec leur manière avant-gardiste de combiner la musique de party et le rap, ils ont ouvert la porte à un tout nouveau mouvement. Il ne faut tout de même pas pour autant penser qu’ils sont revenus récolter leur part du butin. « On fait ça cette année uniquement, mais ce n’est pas une “vache à lait”. On va pas en abuser, comme de toutes les bonnes choses. Ça va être un truc limité dans le temps et dans le nombre de places. C’est un cadeau qu’on fait aux fans, mais il faut que ce soit exclusif pour rester spécial, me confie Teki. On a tous nos carrières et on veut reconnecter ce qu’on faisait avant et ce qu’on fait aujourd’hui, et faire se connaître les publics différents. »
La tournée de réunion de DJ sets de TTC commence à Paris le 31 mars prochain, et s’arrêtera aux Francofolies de Montréal 8 juin.