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Qu’est-ce qu’il s’est passé avec Uffie, au juste ?


Photo – The Cobra Snake

De la sortie de Discovery de Daft Punk en 2001 jusqu’à Cross de Justice en 2007, le label parisien Ed Banger a, que vous le vouliez ou non, rempli une mission bien précise : faire danser les clubs du monde entier au son d’une electro compressée, distordue et espiègle hâtivement baptisée french touch 2.0. Et au milieu de ce vortex de jeans slims et de pochettes fluo, il y avait Uffie.

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Pour ceux qui n’ont pas connu cette époque où EDM ne voulait rien dire à part « épisode dépressif majeur », Uffie était, en gros, une étudiante devenue rappeuse. Tous les kids de l’indie voulaient sortir avec elle – les mecs comme les meufs – et tous ont écouté son titre « Pop The Glock » sur un player Myspace quelque chose comme 300 fois.

Née Anna-Catherine Hartley à Miami, en 1987, Uffie a déménagé à Hong-Kong avec sa famille à l’âge de 4 ans, avant d’atterir à Paris pour étudier la mode. C’est là qu’elle a connecté avec DJ Feadz avec lequel elle a sorti le maxi « Pop The Glock », en février 2006 (8ème référence du label Ed Banger).

L’impact fut instantané. Des lyrics à la fois horny et désabusés, une voix vocodée, un tempo narcotique – le morceau provoquait une addiction aussi brutale qu’immédiate (sans compter la face B, qui défonçait tout autant). MySpace était à son apogée et « Pop The Glock » fit le tour du monde en quelques semaines grâce à la Toute-Puissance du réseau social. Du jour au lendemain, Uffie était identifée comme la next big thing.

Et puis 4 années s’écoulèrent. Facebook devint le nouveau point de rassemblement de la Société-Internet, MySpace sombra dans les abîmes de l’interweb et Uffie disparut peu à peu dans le brouillard du buzz. « Pop The Glock » n’était plus vraiment relevant, et utilisait des tics nostalgiques renvoyant à un passé trop récent.

Pire : Uffie était devenue adulte et avait une vie à gérer. Après la sortie de « Pop The Glock », elle a rompu avec Feadz, s’est ensuite mariée avec André (oui, cet André) et a eu son premier enfant. Bref, elle avait autre chose à foutre que de lire les commentaires laissés sur le blog Fluokids.

Ecouter Uffie aujourd’hui n’est finalement pas si incongru ou passéiste que ça : c’était de la dance pré-PC Music, entre déconne, naïveté et pur entertainment, une petit blanche qui rappait avant Ke$ha, et qui se retrouvait à bosser avec des mecs a priori aussi éloignés que Mirwais et Mr Oizo, Giorgio Moroder et Pharrell Williams. Si son tant attendu premier album était sorti un poil plus tôt, Uffie serait peut-être encore parmi nous aujourd’hui, balançant des exclus sur Tidal et des collections de vêtements avec Kanye West.

Mais Sex Dreams and Denim Jeans est quasi mort-né, en cette triste année 2010.

L’obstacle majeur au succès de l’album, comme chaque chronique de l’époque le mentionnait, c’était justement Ke$ha. « Pop The Glock » a été réédité à l’internationale sous forme de single en octobre 2009, afin de préparer la promo pour l’album à venir, ce qui signifait que pour beaucoup, c’était la première fois qu’ils entendaient le morceau.

Le timing était terrible : « Tik Tok » de Ke$ha passait en rotation lourde sur toutes les radios depuis deux mois déjà, on l’entendait partout. La recette et les lyrics du titre étaient sensiblement les mêmes, Ke$ha se présentait comme une alternative plus réelle et excitante face aux monarques de la pop mainstream de l’époque. Où positionner Uffie après ça ? Celui qui avait entendu « Tik Tok » en août et écouté pour la première fois « Pop The Glock » en octobre, avait la nette impression que le morceau tentait de reproduire la même chose, et se plantait complètement.

« Pop The Glock » sonnait soudain bien palot comparé aux énormes choeurs et à la synthpop maximaliste de Ke$ha.

Les reviews furent quand même positives dans l’ensemble. Sex Dreams and Denim Jeans sautillait entre les genres (s’autorisant même une reprise de Siouxsie & The Banshees) pendant que les vocaux très caractéristiques d’Uffie liaient le tout.

Il y a des parties très dispensables, des morceaux qui ne tiennent pas un instant la comparaison avec les hits du disque, mais ça montre justement à quel point ces hits étaient bons. Les gens qui se sont penchés sur le cas Uffie prouvent qu’elle n’était pas destinée à sombrer dans les limbes. Pharrell était en featuring sur le titre « ADD SUV » avant qu’un étrange écossais du nom de Hudson Mohawke ne vienne le remixer. Mattie Safer de The Rapture était là aussi (« Illusion of Love »), et Mike D, des Beastie Boys, décidera de livrer un remix aussi abominable que débile du titre phare, « MCs Can Kiss ».

« MCs Can Kiss » était le principal argument de l’album, le titre qui prouvait que Uffie avait encore des trucs à dire, une sorte de Tom Tom Club survitaminé (dont elle reprendra également le classique « Wordy Rappinhood »). Dans le même ordre d’idées que « Pop The Glock », c’était un morceau à la fois arrogant et qui révélait la vulnérabilité de la chanteuse. « I left school too early ‘cos I was on the rush / Of making my own dough, of doing my homework / To travel the whole world, to try all kinds of stuff / I even tried out to play the saxophone / And you’ll be the first one to hear how it sounds ». Le tout finissait sur des notes de saxo très punk-funk, signées Uffie herself.

La « révélation Ed Banger 2006 » était loin d’être à la rue sur cet album, et c’est ce qui a frustré un paquet de gens qui auraient voulu entendre une suite à Sex Dreams, même s’ils savaient que ça tenait du rêve, que ça aurait été de toute façon superflu ; cette suite n’est jamais arrivée, et elle n’arrivera jamais. Uffie a définitivement débranché son micro en 2013.

À quoi la musique aurait ressemblé si Uffie avait pu réitéré l’exploit de son premier single ? Est-ce que T.I. l’aurait signé et laissé Iggy Azalea sur Instagram ? Est-ce qu’elle aurait fermé le clapet de Macklemore ? Est-ce qu’elle aurait été invitée sur Random Access Memories ? Combien de Kreayshawn on aurait pu éviter grâce à elle ? Tout ça paraît un peu délirant, surtout que la principale intéressée doit s’en branler totalement aujourd’hui, mais dans la foulée de « Pop The Glock », l’attente était tellement folle que j’aurais parié sur tout ça les yeux fermés. Et c’est pour ça qu’aujourd’hui, quelques précieuses personnes s’agitent dès qu’elles entendent prononcer le nom d’Uffie, pas à cause d’un vulgaire rateau pris un soir de 2007 dans les chiottes du Social Club, non, mais parce qu’elles croient dur comme fer que le futur aurait dû se passer autrement. Et on ne peut pas leur donner tort.


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