Il est désormais impossible d’ignorer qu’une frange de l’électorat conservateur se sente aliénée du pouvoir, si bien que l’extrême-droite se fait de plus en plus imposante en Occident. Il suffit de penser à l’élection de Trump, au Brexit et à la popularité grandissante de Marine Le Pen.
Cette montée de l’extrême-droite n’épargne pas le Québec, même s’il est difficile de mesurer l’ampleur exacte du phénomène ici. Plusieurs groupes et groupuscules québécois se mobilisent pour défendre des positions radicales contre l’islam, l’immigration, et les accommodements religieux et culturels. Le texte ci-dessous s’inscrit dans une série de portraits de quelques-un de ces groupes.
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Sentant leur héritage culturel menacé, des Québécois se sont regroupés il y a près de dix ans pour dénoncer les accommodements consentis aux minorités religieuses de la province. Depuis, les membres de la Fédération des Québécois de souche (FQS) luttent contre l’immigration et ses conséquences à travers leurs écrits, dont un site web et un magazine, et de multiples actions publiques.
En 2012, ils manifestaient contre la « dénationalisation » de la culture. En 2013, des tracts anti-immigration, signés FQS, ont été distribués à Chicoutimi. L’année suivante, des autocollants de l’organisme indiquant « 0 % halal, 0 % casher, 100 % québécois » ont été apposés à plusieurs endroits dans le même arrondissement de Saguenay. Plus récemment, c’était au tour de Sherbrooke de se voir placardée d’autocollants de la FQS.
Leur mission : défendre les intérêts ethniques des Québécois de souche, ces descendants des colons qui ont peuplé le Québec il y a de cela quelques centaines d’années. Pour protéger le patrimoine québécois, la FQS s’oppose à l’immigration « de masse », au point où elle appuierait tout parti politique qui proposerait d’y mettre un terme, « qu’il soit de gauche, de centre ou de droite », a expliqué le porte-parole Rémi Tremblay, en entrevue avec VICE.
À l’intérieur de la FQS
Difficile d’évaluer combien de gens sont actifs au sein de la Fédération des Québécois de souche (FQS), car l’organisation n’enregistre pas ses membres. Sa page Facebook compte environ 5600 « J’aime », mais le porte-parole de l’organisme assure que le tirage de son magazine Le Harfang est « relativement limité », qu’il ne se chiffre pas en milliers, sans donner plus de précisions.
L’organisation n’est pas raciste, assure Tremblay. « Si notre organisation est raciste parce qu’on défend des intérêts ethniques, alors la Ligue des Noirs, les congrès juifs, les groupes ukrainiens, les autres groupes ethniques le sont également. Pourquoi les gens donnent une crédibilité et une légitimité aux intérêts des autres groupes ethniques, et nous, on n’en aurait pas? »
Rémi Tremblay juge qu’il y a « des centaines de raisons pour s’opposer à l’immigration », mais que la démographie est l’enjeu central.« Pendant des siècles, on s’est battus pour conserver notre identité, pour survivre en tant que peuple et finalement c’est via l’immigration qu’on est capable de nous noyer sur notre propre territoire », a-t-il déploré.
Le fondateur de la FQS dénonce un racisme dissimulé
Il y a une dizaine d’années, un ado nommé Maxime Fiset terminait son secondaire. Comme bien des jeunes, il cherchait des réponses à ses questionnements existentiels.
C’est auprès d’un groupe skinhead néonazi qu’il les a trouvées.
Il raconte avoir ensuite fondé la FQS en 2007 afin que tous les groupuscules d’extrême droite au Québec deviennent une force politique incontournable. « Le but était d’aller chercher la légitimité qu’il nous manquait pour pouvoir éventuellement faire du lobbying, ou même briguer la voie des urnes. Évidemment, ça ne s’est pas passé comme ça, mais aujourd’hui encore, c’est tout ce que l’extrême droite désire. »
Selon lui, le groupe a pour but dissimulé d’imposer le nationalisme blanc exclusif sans aucune immigration au Québec. « Les gens de l’extrême droite ne veulent pas être actifs dans une société démocratique plurielle. Le discours officiel sert seulement à édulcorer le message qui est en arrière », explique celui qui est désormais consultant externe pour le Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence.
Accusé de propagande haineuse au début 2008 en raison de propos tenus sur le forum de la FQS, Fiset a été remplacé à la tête de l’organisme. Il dit être demeuré actif au sein de l’extrême droite jusqu’en 2012. Après un lent processus de déradicalisation, il a pris position contre ses camarades au début de l’année 2015.
Contrairement au porte-parole de l’organisme, Fiset assure que les membres de la FQS sont racistes, mais qu’ils le dissimulent pour ne pas « saper leur légitimité ». « Ils ne vont jamais agir de manière raciste dans leur vie publique, mais ce sont d’anciens apôtres du national-socialisme. Je les ai vus lever le bras dans les airs, crier “Seig Heil”, je les ai vus brûler une croix comme le Ku Klux Klan au mont Bélair pour la Saint-Jean. J’ai eu des discussions avec eux sur à quel point Adolf Hitler avait été un exemple inspirant », raconte-t-il.
Fiset affirme que les actuelles têtes dirigeantes de la FQS – comme certaines personnes de leur entourage – sont des skinheads ou bien d’anciens skinheads nazis ou fascistes. « Ceux qui ne sont pas des skinheads demeurent quand même des extrémistes de droite qui demeurent très proches, voire carrément dans la frange néonazie. »
Il indique d’ailleurs que l’ancien magazine des skinheads de Sainte-Foy, Coup de tête, qui traitait « surtout de la culture skinhead néonazie », s’est « dissout » dans le Harfang. « C’est le même monde qui sont dans la rédaction », explique-t-il.
La FQS a l’assaut des partis politiques
Les ambitions politiques de la FQS ont déjà failli se concrétiser, rapporte Maxime Fiset. « À l’époque, en 2009 je pense, la FQS avait infiltré le Parti Indépendantiste. On avait envoyé tellement de nouvelles candidatures pour devenir membres qu’on avait un poids démographique important lors des votes en assemblée générale. On a pu faire balancer le parti de manière à ce qu’il se positionne totalement contre l’immigration. Le chef du parti avait dit à la conférence de Repentigny que l’immigration n’avait aucune raison d’être, qu’il fallait l’interdire. On avait réussi à prendre le contrôle d’un véhicule politique. »
Il indique que ces plans ont été contrecarrés par un journalistedu Soleil, qui avait révélé qu’un des organisateurs du parti était lié au néonazisme.
« Mais ça s’était fait, poursuit Fiset. On pouvait présenter des candidats aux prochaines élections. Ça pourrait se refaire. Ça va sûrement se refaire. Éventuellement, il pourrait y avoir un parti cryptoraciste sur la scène politique québécoise. Je sais qu’ils voulaient le faire avec Option nationale, mais le printemps 2012 leur a complètement coupé l’herbe sous le pied. »
À ce sujet, Jean-Martin Aussant assure n’avoir jamais eu vent d’un tel mouvement au sein de son parti lorsqu’il était chef, de 2011 à 2013.
Les drôles d’archives de la FQS
Il est possible de consulter une version archivée de l’ancien site de la FQS. Sans avoir accès à beaucoup de documents, on remarque que deux forums de discussions sont consacrés au nazisme et à l’histoire du Troisième Reich. Impossible de consulter le contenu de ces panels. On peut aussi voir qu’un des membres du forum portait le pseudonyme « quebec_aryen ».
Un peu plus détails sont divulgués dans article du Journal de Montréal de 2007, où sont décrits quelques avatars des membres de l’ancien forum. « L’un se personnifie par une affiche de recrutement de l’organisation raciste Ku Klux Klan (KKK). On y voit un homme portant les traditionnelles robe et cagoule blanches, encadré de l’inscription “The KKK wants you” (Le KKK a besoin de vous). Un autre utilise la tête de mort qu’arboraient les SS, la police allemande d’Adolf Hitler chargée d’exterminer les Juifs durant la Deuxième Guerre mondiale. »
À part quelques citations relayées par le journaliste, impossible d’avoir une idée précise de la teneur des propos des gens de la FQS.
La FQS réfute les « accusations dépassant tout bonnement l’entendement »
Le porte-parole Rémi Tremblay réfute toutes les accusations de Fiset. « Nous sommes une organisation qui rejette fondamentalement la rectitude politique, aussi, ce que nous disons, c’est exactement ce que nous pensons. Je ne crois pas que vous trouverez des éloges au KKK sur notre site ou dans notre revue, ni des éloges à Hitler ou même Staline », a-t-il répondu par courriel.
Au sujet du magazine skinhead Coup de tête, Tremblay rétorque que « le Harfang est le seul magazine qui fut lié à la FQS. Les collaborateurs sont légion, certains sont des professeurs universitaires, d’autres des activistes locaux. Il n’y a pas à ma connaissance de journal caché. »
Il réfute l’épisode d’infiltration du Parti Indépendantiste, qui lui « semble assez grotesque. Nous avons en effet eu des liens avec le Parti Indépendantiste : Éric Tremblay [le chef du parti jusqu’en 2011] nous avait accordé une entrevue. Comment aurions-nous pu infiltrer un parti somme toute marginal tout en nous présentant ouvertement pour demander une entrevue? Cela relève, comme plusieurs autres accusations, du non-sens total. Pour ce qui est d’Option nationale, je vois mal ce qu’un parti de gauche vient faire dans cette histoire. »
Il s’attaque également à la crédibilité de Maxime Fiset, qui « affirme dans tous les médias avoir milité pour une organisation qu’il a fondée et quittée il y a dix ans, alors qu’il était encore adolescent. Comment fait-il pour savoir ce qui se dit et se fait à la FQS depuis dix ans? »
Rémi Tremblay est-il réellement… Rémi Tremblay?
Lors de son entrevue avec VICE, Maxime Fiset a assuré que Rémi Tremblay était une fausse identité derrière laquelle les membres de la FQS se dissimulaient. « Il y a plusieurs personnes [au sein de la FQS] qui se font appeler Rémi Tremblay. »
Il refuse de révéler qui se cache derrière ce « pseudonyme », mais il assure qu’il ne s’agit pas d’un vrai nom. « La personne désignée pour parler aux médias va prendre ce nom-là le temps de son entrevue, par exemple. »
Au sujet de cette identité-écran, Rémi Tremblay nous a invités dans un bref courriel à consulter une biographie de deux lignes et demie, ainsi que deux livres signés de son nom, « espérant que cela efface [nos] doutes ».
Rémi dans les médias
Qu’il soit vrai ou non, Rémi Tremblay a multiplié les entrevues dans les médias québécois dans les dernières années.
On l’a entendu sur les ondes du 98,5 en 2014 au sujet des autocollants apposés à Saguenay. L’animateur dit en début d’entrevue que Tremblay se trouve « au bout du fil » – donc pas en studio.
Il était aussi en entrevue à Radio X, en 2015, où il a discuté avec Richard Martineau du déploiement d’une banderole indiquant « Réfugiés, non merci », un message hostile à l’accueil des réfugiés syriens au Canada, au-dessus d’une autoroute de Québec. Le geste n’était pas revendiqué par la FQS, mais le groupe ne l’a pas condamné. Là encore, il est évident que le porte-parole est au téléphone.
À propos de cette même histoire de banderole, Rémi Tremblay a été cité par Le Soleil. Il est précisé dans l’article que le porte-parole a répondu par courriel aux questions du journaliste.
Plus récemment, Tremblay a été cité en novembre dans un article du Journal de Montréal, dans lequel la FQS assure qu’un politicien de la trempe de Trump saurait sauver le Québec de l’immigration massive. Le journaliste indique que Rémi n’a pas souhaité dévoiler son visage, craignant « des représailles ».
Au cours de sa correspondance avec VICE, Rémi Tremblay a assuré qu’« une rencontre n'[était] pas envisageable avant plusieurs semaines, question d’horaire ». L’entretien s’est donc déroulé au téléphone.
Le porte-parole de la FQS semble être un homme de grande disponibilité médiatique, et 2017 pourrait être une année fertile pour l’extrême droite. Avec l’arrivée de Trump au Bureau ovale, l’élection présidentielle en France, le débat sur les seuils d’immigration et la question identitaire qui ne sont réglés ni pour la CAQ ni pour le PQ, il y a fort à parier que la FQS et d’autres groupuscules du Québec sauront se faire entendre sur de multiples enjeux.
Ainsi, peu importe l’identité de Rémi Tremblay, il est probable qu’il soit encore maintes fois cité dans les médias de la Belle Province l’an prochain.