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Un casual du football explique pourquoi il se met sur son 31

Lebemann (”Bon Vivant”) est un ”casual” de Suisse. D’après la définition de l’Urban Dictionary, cela fait de lui « un hooligan de foot habillé avec certaines marques bien précises pour passer inaperçu auprès de la police. » Pour une baston, Lebemann ne s’habille qu’avec du Stone Island, du Lacoste et d’autres marques soigneusement choisies. Il explique comment il en est venu à embrasser ce style de vie.

Dans l’opinion publique, les fans de foot – en particulier ceux qui ne disent pas non à une petite baston – sont des ivrognes, des chômeurs et des illettrés.

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D’abord, merci pour le compliment. Dans une certaine mesure, je comprends pourquoi les gens peuvent penser ça : cette race de fans est encore beaucoup trop présente dans le sport. Ne vous méprenez pas, je ne suis pas contre un comportement anti-social – au contraire, je le considère primordial. Mais il n’y a rien de plus épique que d’envahir une ville inconnue et de voir la tête des gens complètement perdus devant le bordel que mettent ces mecs jeunes, bien habillés et sévèrement alcoolisés. Il ne viendrait à l’esprit d’aucun des passants d’imaginer que ce troupeau de brailleurs se rend à un match de foot. Et c’est ça le plus important : des trous du cul, mais des trous du cul qui ont du style.

Cette approche de la vie ne sort pas de nulle part. Quand j’étais petit, mon grand-père m’emmenait voir des matches. C’était un homme robuste avec une poigne d’acier, toujours bien habillé. Pour un mec de la classe ouvrière passant sa semaine en bleu de travail, le week-end était une occasion de se faire beau. Je l’entends encore me dire : « Tu dois toujours être impeccable pour les matches de foot et pour l’église. » Et, puisque le football sert plus ou moins de religion à certains, sa phrase est plus que pertinente.

Même à l’école, j’étais le premier à porter une chemise sous mon pull. J’avais déjà le flair pour la mode, même si la tenue en question me faisait plus ressembler à un étudiant en école de commerce qu’autre chose. Un jean avec une paire de Lacoste blanches en toile, un pull bleu et une chemise blanche (sortie du pantalon) me donnaient fière allure. C’était à l’époque où j’ai commencé à aller régulièrement voir des matches, sans la compagnie d’adultes. Au lieu de m’intéresser à ce qui se passait sur le terrain, j’ai préféré l’action dans les tribunes. Il y avait les mecs en manteaux à capuche, les mecs en maillots, les skinheads, et un petit groupe de gens qui se démarquaient par leurs tenues. Les blousons en soie de Best Company ou Chevignon étaient tendances à l’époque, associés à des polos Fred Perry ou Lacoste. Les mélanges étaient surtout très colorés et n’avaient rien à voir avec l’obligation de porter des vêtements aux couleurs de l’équipe à laquelle se plient aujourd’hui les ultras.

J’ai vite réalisé quel genre de mecs ils étaient et j’étais fasciné par leur culture, mais à ce moment là je n’avais pas moyen de prendre contact avec eux. Puis, à 16 ans, j’ai pris part à un programme d’échange linguistique à Londres. Cela s’avérera être un avantage discutable au vu de ce que j’allais faire plus tard.

Mon année d’échange à Millwall

Je me suis donc retrouvé dans une ville étrangère sans la moindre connaissance, à part ma famille d’accueil. Il s’est avéré que le père était un fan de Millwall. Il était aussi un peu louche. Je ne l’ai jamais vu avoir un travail ordinaire et, pourtant, il ne semblait pas avoir de problèmes pour subvenir aux besoins de sa famille. Comme il savait que j’aimais le foot, il prenait l’habitude de m’emmener voir les matches à domicile au Den, le stade de Millwall. Mettre les pieds dans ce stade mal famé avait quelque chose d’électrique. L’atmosphère était hostile à quiconque n’était pas fan des Lions. Il y avait une sale odeur de bière éventée et les chaussures collaient au sol. En résumé, c’était le paradis sur terre.

Des semaines et des mois ont passé. Grâce à mon assiduité au stade, je suis entré en contact avec d’autres jeunes de mon âge, et j’ai commencé à aller aux matches avec eux. J’ai vite remarqué que Londres était différente, au niveau de la mode notamment. La tendance était très britannique : cardigans et manteaux flanqués du logo Stone Island habillaient la plupart des fanatiques que je voyais.

Des fans de Millwall au stade The Den // Photo: Imago/BPI

Le lundi suivant, j’ai séché les cours pour flâner dans certains magasins. C’était une époque sans smartphone, il fallait vraiment fouiller pour trouver la perle – entreprise difficile dans une métropole comme Londres. Quoi qu’il en soit, j’ai quand même réussi à me faire un avec un manteau à capuche Stone Island noir, un jean Levi’s 501 bleu foncé et une paire de bonnes vieilles Reebok Classics blanches. Maintenant je ressemblais à tous les autres mecs avec moi dans le stade.

Bonjour Tristesse

Toutes les bonnes choses ont une fin, qu’il s’agisse d’une aventure avec une collègue de bureau qui t’a fait les meilleures fellations de ta vie ou d’une année d’échange à Londres. Je pourrais écrire un bouquin entier avec les histoires que j’ai vécues là-bas. Peut-être qu’un jour elles seront racontées.

De tout ce que j’ai vécu là-bas, le casual britannique est ce à quoi je me suis le plus identifié. Du coup, depuis cette époque, je dépense une bonne partie de mon salaire dans ces marques connues.

Cependant, j’ai remarqué que cette espèce de fascination pour le vestimentaire n’avait pas encore trouvé d’écho chez moi dans mon pays. Les ultras portaient encore leurs uniformes black-bloc composés d’anoraks, de joggings et de bananes. La situation craignait vraiment – bienvenue à la maison.

Du coup, j’ai fait mon truc à moi. Au début ils se moquaient de moi. La populace n’était pas familière de ce genre d’apparence soignée à l’époque.

La question inévitable : pourquoi ?

Naturellement, le délire casual faisait plutôt bonne impression chez les femmes. Croyez- moi, je parle d’expérience. Au mieux on s’en tapait quelques-unes le samedi après-midi et, quelques heures et quelques traces plus tard, on se retrouvait à raconter des conneries à des filles ambitieuses de classe moyenne au bar à vin.

Mais toute fortune a son revers, et au cours des années, quelques manteaux ont été déchirés, des lunettes de soleil ont été oubliées dans des taxis italiens, ou encore des chemises ont fini à la poubelle parce que les taches de sang ne partaient pas.

Mais il ne s’agit pas seulement d’une façon de s’habiller. Il s’agit aussi des concerts auxquels on va ensemble, des quêtes à travers toute la ville ou sur internet à la recherche de nouveaux manteaux et de nouvelles chaussures. C’est toute la culture qu’il y a derrière. Passer du temps avec des gens qui pensent comme toi à un moment où tu ne discutes pas avec tes poings et passer du bon temps au-delà de la violence. Par exemple, lorsque des gens qui s’égorgent habituellement les jours de match s’assoient à la même table lors d’un mariage à Gênes, boivent et rient ensemble, c’est alors que je me demande : qui sont les vrais anti-sociaux dans cette société hypocrite qu’est la nôtre ?