Un mercenaire nous explique comment survivre dans la jungle
Photo de couverture via le département de la Défense des États-Unis

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Un mercenaire nous explique comment survivre dans la jungle

On a demandé à un ancien militaire de nous filer quelques conseils au cas où votre avion venait à s'écraser au beau milieu de l'Amazonie, ou des Landes.

J'ai rencontré le Cyborg* dans une salle de sport de Bali. Il ressemblait à une figurine de G.I. Joe, un type blond, massif, aux muscles parfaitement dessinés. Ses yeux, bleus, ne semblaient jamais ciller. Quelques minutes plus tard, au cours de notre déjeuner, il s'est mis à peser l'intégralité de ses aliments sur une balance électronique. Après ça, il m'a raconté ce qu'il faisait de ses journées – en dehors de « la salle ».

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Le Cyborg est un dur à cuire, un type que vous aimeriez avoir avec vous si vous deviez vous écraser au beau milieu d'une jungle hostile, tel un Jack Shepard (ou une Kate Austen, c'est selon) du monde libre. Son taf ? Entraîner des troupes d'élite d'Asie du Sud-Est, en étant notamment héliporté et déposé au milieu de la jungle pour y interpréter le rôle de la « proie ». Selon ses dires, après quatre années d'exercices, il n'a encore jamais été attrapé par des soldats.

Autour de quelques sushis, le Cyborg m'a filé des conseils de survie, des tactiques d'évasion, tout en évoquant l'importance de la religion dans sa vie.

VICE : Commençons par ton surnom ? D'où vient-il ?
Le Cyborg : En fait, je ne sais pas trop comment ça m'est venu. Tu sais, je suis un Américain lambda : j'aime boire de la bière en matant du football américain. Je téléphone souvent à ma mère pour lui demander de m'envoyer à bouffer. Mes parents sont des ouvriers pur jus. Je suis le vilain petit canard de ma famille, mais ça ne m'empêche pas de tout faire pour la mettre à l'abri et pour défendre les valeurs que je crois justes dans le monde entier. J'ai rejoint l'armée parce que je suis un patriote. Je veux que mes enfants profitent des mêmes libertés auxquelles j'ai eu droit toute ma vie.

Pourquoi as-tu quitté l'armée ?
Ça n'avait rien à voir avec une quelconque hostilité envers l'armée. Je voulais simplement profiter de ma liberté et voyager afin de découvrir le monde. C'est comme ça que j'en suis venu à former des troupes d'élite en Indonésie, à Hong Kong et aux Philippines.

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Photo par l'utilisateur de Public Domain Pictures George Hodan

Parlons un peu des exercices au cours desquels tu interprètes le rôle d'une « proie ».
En gros, ma « survie » repose sur quatre règles qu'il faut respecter à tout prix. 1 : pendant la nuit, la lumière ne ment jamais. En effet, si la lumière peut vous trahir, elle trahit bien souvent l'ennemi. 2 : déplacez-vous une fois la nuit tombée. La journée doit vous permettre d'observer les mouvements des troupes ennemies, de comprendre leur routine. 3 : voyagez seul, même si vous pensez qu'il est toujours plus intelligent d'être en groupe. C'est une erreur. 4 : plus vous stressez, plus vous vous fatiguez.

En effet, il faut toujours être conscient de son « état mental ». Celui-ci est intimement lié à votre gestion de la faim, de la fatigue, de la souffrance, etc. C'est encore plus important lorsque vous vous trouvez dans une zone de guerre urbaine, où le danger peut venir de n'importe quel immeuble. Il faut toujours rester calme.

En fin de compte, tous ces conseils ne servent que si vous vous entraînez à les mettre en pratique. Je pourrais en parler pendant des heures mais, au final, seul l'entraînement importe. Les troupes d'élite se doivent de pratiquer cela dans différentes conditions – en ville, dans la jungle, en rase campagne. L'indolence n'est pas acceptée dans un tel métier.

J'ai l'impression qu'à tes yeux, ne pas être pris est surtout lié au contrôle de soi.
Il y a quelques années, quelqu'un m'a dit que lorsque la liberté est à court d'armes, il nous faut compenser par la puissance de notre volonté. J'ai su il y a peu qu'il s'agissait à l'origine d'une citation d'Hitler, mais ça ne fait rien. J'y pense beaucoup quand je suis seul, dans la jungle. Les limites de votre esprit sont les seules barrières qui existent. Lorsque vous pensez avoir atteint votre limite, vous êtes toujours capable de la dépasser. Il faut toujours avoir cela en tête, dans n'importe quelle situation.

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OK, admettons que je sois pleinement conscient de mes capacités mentales. Comment est-il possible de survivre dans la jungle ? 
Le plus important est de savoir vous diriger. Pour ce faire, n'hésitez pas à vous servir du soleil afin de savoir où est le nord. Tant que le soleil est haut dans le ciel, vous pourrez vous diriger sans problème.

Si vous maîtrisez la navigation par le soleil, votre prochaine étape est d'en apprendre plus sur l'eau, les plantes comestibles et la chasse. Vous ne survivrez pas longtemps sans eau – surtout si vous transportez du matériel et suez abondamment. Il vous faudra sans doute boire dans des lacs et des rivières, et vous devrez faire très attention aux possibles crues. De même, prenez garde aux bâtiments pouvant contaminer l'eau. Si vous n'avez pas de cours d'eau à disposition, vous pouvez en choper grâce à la boue.

Il vous faudra également avoir les bases en ce qui concerne la maîtrise du feu et la construction d'abris. Vous devrez vous assurer que ceux-ci vous protègent du soleil, des insectes, des animaux, de la pluie et de l'ennemi. Pour ça, il vous faudra être complètement invisible et donc faire partie de votre environnement – en vous mettant de la boue sur l'intégralité de votre corps, par exemple.

Encore une fois, tout cela nécessite pas mal d'entraînement. Avez-vous vraiment envie de passer votre week-end à vous mettre une caisse dans le même bar, en écoutant la même musique, avec les mêmes personnes ? Sortez un peu, partez seul. Ça peut sembler complètement cliché, mais c'est bien plus sexy et intéressant que de siroter des cocktails. Ce n'est qu'une fois dans la nature que vous comprenez que vous êtes capable de survivre sur la Terre de manière autonome.

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Peux-tu me dire quelle est la pire chose que tu aies mangée ?
Tu sais, je ne fais pas le difficile quand je suis dans la jungle. Quand tu as faim, tu t'en fous. Ton cerveau ne fonctionne pas de la même manière. Tu ne penses qu'aux vitamines, aux glucides. En plus, la seule fois de ma vie où j'ai été malade remonte à un voyage touristique à Hanoï, où j'ai mangé un cœur de cobra palpitant. Je n'ai pas pu quitter les chiottes pendant une semaine.

Photo via Wikimedia Commons

Parle-nous un peu de ce que tu fais au quotidien pour te préparer à affronter la jungle.
Je démarre chaque journée par 300 pompes et des mouvements de jiu-jitsu. L'après-midi, je m'entraîne au combat au corps-à-corps. Le soir, je passe au kickboxing. À chaque fois, c'est extrêmement rythmé. Ça me permet d'être toujours actif. Le reste de la journée, j'étudie la théologie sur Internet.

Peux-tu m'en dire plus ?
Disons qu'il m'est parfois arrivé de côtoyer la mort, et que ça m'a changé. Certains parlent « d'instinct » mais je dirais que c'est quelque chose de plus spirituel qui se produit lorsque vous êtes face à votre mortalité.

Pendant la guerre, tout est une question de timing. Personnellement, la prière me permet de décupler mes sens, d'embrasser complètement la temporalité du combat. J'ai déjà vu mes frères d'armes mourir à côté de moi, à quelques mètres. Pourquoi eux et pas moi ? Je n'en sais rien.

Ne s'agit-il pas simplement de chance ?
Après avoir pris part à de nombreuses batailles, j'ai abandonné l'idée de chance. Il s'agit de foi, de détermination, et d'abnégation. Les musiciens sont-ils chanceux lorsqu'ils donnent naissance à l'accord parfait ? Je ne crois pas. Il en va de même à mes yeux pour les combattants.

Ne remets-tu jamais en question ta foi lorsque tu assistes à des actes terribles ?
Disons que je me posais pas mal de questions quand j'étais ado. J'ai rejoint l'armée car j'avais le sentiment que la religion permettait à des individus mal intentionnés de contrôler les masses. Pour moi, la religion était une arme de destruction de la culture. Sauf qu'une fois au combat, j'ai senti la présence de Dieu là où je ne m'y attendais pas. Ça n'avait rien à voir avec le désespoir. Simplement, lorsque les enjeux sont plus grands, vous pensez différemment. Certains considèrent que la foi est un signe de faiblesse. À mes yeux, c'est l'inverse : il faut beaucoup de courage pour admettre que certaines choses ne dépendent pas de vous.

*L'identité de la personne interviewée a été dissimulée, pour des raisons évidentes.

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