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Un mois sans Coca, un mois de souffrance

Un seul être vous manque et tout est dépeuplé. Ce vers de Lamartine résume bien ma relation passionnelle avec le Coca-Cola. Un déjeuner ou un dîner sans sa présence sur la table et mes repas n’ont plus la même saveur. C’est simple, dès que je bois une gorgée, je ressens les premiers effets de sa décharge de sucre dans mon organisme et à ce moment précis, j’ai l’impression que je peux franchir des montagnes.

Je ne sais pas exactement à quand remonte mon obsession pour ce liquide noirâtre mais je me suis récemment rendu à l’évidence : mon rapport avec lui était devenu proche de celui d’un toxico qui réclame sa came. Alors que mon rythme de consommation avait atteint les trois quatre canettes par jour, je me suis résigné à faire quelque chose que je n’avais pas fait depuis le collège : tenir un mois entier sans boire de Coca.

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Quand je dis « sans boire de Coca », cela inclut le bon vieux Coca rouge mais aussi le Coca Light, le Coca Zéro, le Coca Life et même le Pepsi et le Pepsi Max. De manière plus générale, je me suis interdit toutes les boissons qui revendiquaient de près ou de loin l’appellation « cola ». C’est parce qu’en temps normal, je ne porte aucune attention à ces pseudo-sodas qu’on sert dans certains bars (« Bonjour, je vais vous prendre un Coca ? », « Bien sûr, alors nous avons du Cola biologique au sirop d’agave, ça vous va ? » « Merci mais non. Au revoir ! »), mais là, dans le cadre de mon jeûne, je devais m’abstenir de TOUTE substance cocacolesque, même la plus sophistiquée. Et au passage : même si le Pepsi est objectivement jugé meilleur au goût que le Coca, ça reste un faux Coca. Il est bien trop sucré pour détrôner le maître de mon gosier.

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Mais quelques minutes à peine après avoir pris ma décision d’arrêter le Coca, j’ai été pris d’une envie violente de boire une canette bien fraîche. Lors de ma seconde nuit de détox, j’ai carrément rêvé que la compagnie Coca-Cola avait inventé un nouveau type de canette, d’une contenance de 530 ml, plus large que haute. Elle ressemblait à un genre de gros rouge-gorge cul-de-jatte. Pourquoi mon cerveau a-t-il inventé ça ? Je crois que c’est le manque de caféine qui me faisait déjà délirer. Dès l’instant où je n’ai plus eu la possibilité d’en consommer, j’ai réalisé à quel point le Coca avait une place centrale dans ma vie – ça s’annonçait assez compliqué.

Quand on ne peut plus consommer sa came, les autres produits deviennent encore moins désirables qu’avant – ils ne sont que des substituts.

Pour mon plus grand malheur j’ai, dès le début de mon abstinence, été invité à bouffer chez Nando’s. Pour ceux qui ne connaissent pas, Nando’s est le royaume du poulet épicé mais aussi du free refill, soit la possibilité d’avoir une consommation illimitée en soda. D’habitude, c’est l’occasion pour moi de faire une bonne overdose de sucre et de caféine en buvant plus de liquide que ne peut contenir la vessie d’un ours adulte. Mais réaliser que j’allais volontairement dire non à ce geyser de Coca pour la première fois de ma vie fut douloureux, très douloureux. J’ai ponctué ma complainte de longs gémissements.

Les plats à base de curry sont sans doute ceux qui passent le plus difficilement sans Coca. J’en ai mangé six pendant ce long mois de souffrance. Il n’y a pas d’épices sur terre que j’aime plus que le curry, et rien ne va aussi bien avec lui qu’un bon Coca. Ne pas pouvoir déguster cet accord parfait entre mon plat et ma boisson préférés s’apparentait à une vraie torture. À la place, je prenais de la limonade ou un Oasis ou pire parfois, de l’eau. Vous pourriez penser que c’est un bon compromis, mais tous les accros comme moi savent qu’il n’y a qu’une substance en particulier qui peut combler le manque. Quand on ne peut plus consommer sa came, les autres produits deviennent encore moins désirables qu’avant – ils ne sont plus que des substituts.

Il n’y a rien de vraiment original à dire que l’on aime boire du Coca, il est partout sur le globe ; c’est comme d’affirmer « j’adore respirer ».

Dans le frigo que je partage avec mes colocs, il y avait cette canette de Coca qui restait là, debout, fière, défiante, moqueuse, comme si elle attendait sagement que je revienne dans le côté noir de la force. J’ai refilé avec beaucoup d’amertume mes réserves de Coca à mes amis quand ils venaient boire un coup chez moi. Contrairement à un alcoolique qui essaie d’arrêter de boire et qui se dit que c’est bon pour sa santé mentale, je n’avais aucune motivation morale à arrêter le Coca. Ce qui me manquait vraiment, c’était le coup de fouet que le Coca réussissait à me donner au milieu de la journée, ce coup de pied au cul sous forme de shot de caféine liquide. Je sais bien que j’ai l’air d’un junkie à tenter de me justifier comme ça mais c’est la vérité : j’ai besoin de caféine de manière aussi intense que des millions d’autres ont besoin d’autres substances illégales et plus nocives.

Le Coca est partout sur le globe – la compagnie affirme fièrement vendre 1,9 million de verres par jour. Il n’y a donc rien de vraiment original à dire que l’on aime en boire ; c’est comme d’affirmer « j’adore respirer ». Tu veux du Coca ? Il est là. Tout près. Dans les cocktails et les chaînes de fast-food. Il a envahi tout l’espace. Mais il n’a pas tout conquis à cause de son omniprésence. Il a tout conquis parce qu’il est tellement bon que ça en devient addictif. Selon moi, la meilleure sensation c’est quand il vient d’une canette bien fraîche et qu’il est versé dans un contenant en verre, et le pire, c’est quand il est contenu dans une bouteille en plastique sans âme – la matière est molle, symbole de son infériorité.

Alors que j’arrivais au bout de ce mois de torture, je suis devenu comme happé de plus en plus violemment par la moindre goutte de Coca qui traînait dans mon appartement : quand je passais devant le frigo plein de canettes, ma vue se mettait à vaciller.Leur rouge était hypnotique, le goût de leur nectar sucré me faisait saliver.

Finalement, j’ai bu le deuxième premier Coca de ma vie un samedi après-midi, sous le soleil, avec un sandwich au bacon à la main. Je l’ai consommé dans une bouteille en verre de 33 cl pour l’occasion – un format que l’on ne croise pas tous les jours. Je crois que je n’étais pas préparé psychologiquement au bonheur que ce serait d’y regoûter enfin. Cet instant où le goulot s’est posé sur mes lèvres et que le liquide noir est rentré en contact avec ma bouche, c’était incroyable. Ce jour-là, le Coca avait goût indescriptible, quelque chose de magique. Je me suis senti comme dans Le Bon Gros Géant, quand Sophie teste la Frambouille pour la première fois. C’était comme des retrouvailles avec un vieux pote – une vague d’émotions positives qui venait de me submerger.

Comme l’attirance de Frodo pour l’anneau, le pouvoir que ce breuvage a sur moi est absolument terrifiant mais aussi, complètement irrésistible.