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Un Péruvien chez les Gones ou le chemin sinueux de Carlos Camino

Carlos Camino Lyon

L’œil attentif et le geste sûr, Carlos Camino lève les filets d’un maigre sauvage. À 38 ans, le premier chef étoilé péruvien en France prépare sa spécialité : un ceviche.

Ce plat de poisson mariné au citron vert devenu star des tables parisiennes notamment sous l’influence de Gaston Acurio, n’a pas encore totalement trouvé sa place à Lyon, la ville du graton et du tablier de sapeur.

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Installé depuis 2013 dans son restaurant Miraflores, Carlos Camino fait office d’OVNI dans une ville qu’il qualifie lui-même de « traditionnelle ». Avec une carte toute personnelle naviguant entre nostalgie enfantine et expérimentation sensorielle, il propose une cuisine sincère et créative bien loin des clichés.

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« Au Pérou, on a 98 % des climats qui existent au monde. On a le Pacifique, la cordillère des Andes et la forêt amazonienne. Qu’est-ce qu’on peut vouloir de plus à part peut-être le vignoble français ? » Voilà comment Carlos Camino présente sa cuisine « atypique et identitaire ».

Tous les ingrédients s’assemblent pour composer une fresque sensorielle. À l’image d’un Virgilio Martinez (chef péruvien qui a eu les honneurs de la série Netflix Chef’s Table), Camino ne fait pas de la cuisine péruvienne. Il cuisine le Pérou.

« Selon moi, ce qui caractérise la nourriture péruvienne, c’est sa diversité. Il ne faut pas oublier que c’est le pays d’origine de nombreux produits que l’on considère aujourd’hui comme français ou italien. »

Du camu camu (une petite baie acidulée contenant une très haute quantité de vitamine C) au sacha inchi, (une noix foncée au goût d’arachide source végétarienne d’Omega-3, de fibre, de fer et de protéines) en passant par les chuño (pommes de terre congelées puis déshydratées au soleil sur les plateaux andins).

« Selon moi, ce qui caractérise la nourriture péruvienne, c’est sa diversité. On a la plus grande biodiversité du monde. Il ne faut pas oublier que c’est le pays d’origine de nombreux produits que l’on considère aujourd’hui comme français ou italien. Par exemple la tomate ou les pommes de terre », ajoute-t-il.

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Il aurait pu citer le maïs, dont une variété violette pousse dans la région andine péruvienne et dont la coloration pourpre est liée à sa teneur en anthocyanes. Il est à la base de la chicha morada, une délicieuse boisson rafraîchissante et très nutritive.

Quand Carlos parle, on sent un réel attachement à son pays. Pour lui la cuisine est avant tout une initiation à un territoire. La découverte d’une faune et d’une flore dont lui-même avoue ne pas connaître les limites.

« Prenez le piment, on peut dire que c’est l’ingrédient de base dans la cuisine péruvienne et pourtant il y en a tellement qu’on continue d’en découvrir. » Le piment, ou aji dans la langue locale, se décline effectivement en amarillo (jaune), limo, roccoto ou charapita.

Carlos se rend au Pérou au moins deux fois par an pour voir ses producteurs. Il en profite également pour explorer de nouvelles saveurs et partir à la découverte de produits méconnus. « C’est pour ça que je retourne souvent au pays. Pour continuer d’apprendre », explique-t-il sur un ton rêveur.

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Derrière cet attachement à ses racines on découvre également une vraie défiance face au classicisme autoritaire local. Avec un caractère aussi acidulé et pimenté que du leche de tigre, Carlos se définit lui-même comme « un peu sauvage ». Le chef a parfois des allures d’élève turbulent, trop talentueux pour être blâmé, mais trop rebelle pour faire l’unanimité.

« Je préfère partir sur des produits moins nobles – comme le maquereau – et apporter ma touche personnelle. Je n’ai pas besoin d’ingrédients luxueux. »

C’est ce caractère qui le pousse à égratigner le monde de la cuisine lyonnaise et son académisme poussiéreux. « Pour les cuistots qui arrivent au Miraflores c’est un peu comme repartir de zéro. Il faut réapprendre les produits et une nouvelle façon de les travailler. Ici on n’ajoute pas juste du beurre, du beurre et du beurre. »

Dans la ville de Bocuse, sa cuisine dénote. Pas forcément de foie gras, de homard ou d’autres produits de la haute gastronomie française dans les assiettes. « Je préfère partir sur des produits moins nobles – comme le maquereau – et apporter ma touche personnelle. Je n’ai pas besoin d’ingrédients luxueux. C’est à travers ma cuisine que j’apporte la rareté. »

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À l’ouverture de son restaurant, les premiers mois ont été difficiles. La clientèle n’arrivait pas, se méfiait probablement de ce « joueur de flûte » qui voulait faire mordicus de la gastronomie péruvienne. Les premiers clients à avoir poussé la porte sont pour la plupart des amoureux du Pérou ou des gens du métier en visite.

Manger ici peut se révéler être un challenge, notamment pour les Gones. « On n’a pas de carte. Celui qui veut tenter est obligé de se lancer. » Pourtant en 2017, le Miraflores séduit les inspecteurs du guide Michelin et décroche sa première étoile.

« Quand j’ai eu l’étoile, j’ai ressenti une vraie fierté pour le Pérou. Je n’aime pas la médiocrité. Je ne l’ai jamais aimée et je ne l’aimerai jamais. Je suis fier qu’à travers mon travail et celui d’autres personnes, on reconnaisse la cuisine péruvienne comme l’une des meilleures du monde », se remémore le chef.

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Au-delà de la simple fierté, c’est une véritable revanche pour Carlos. Lui, « l’étranger » comme on lui a déjà rappelé, trouve désormais sa place dans le paysage culinaire de la ville. Après plusieurs années difficiles, l’obtention de l’étoile a récompensé un travail et marqué d’une pierre blanche le chemin parcouru.

« Quand je suis arrivé à Lyon, l’accueil n’a pas été très chaleureux. Au bout de trois ans, on était même prêt à mettre la clé sous la porte. Je me suis approché d’association lyonnaise pour essayer de faire bouger les choses. Mais pour certains chefs, ce que je faisais ne correspondait pas aux canons de la cuisine lyonnaise », se souvient Camino.

« Ça m’a permis de vite cerner la mentalité de certaines personnes de ce milieu. À Lyon tout le monde sait que ces associations fonctionnent comme des ‘mafias’. »

« Ça m’a permis de vite cerner la mentalité de certaines personnes de ce milieu. Aujourd’hui, je suis bien intégré dans la ville mais je n’ai aucune envie de faire partie de réseaux de ce genre. À Lyon tout le monde sait que ces associations fonctionnent comme des ‘mafias’. Mais personne ne veut le dire. »

Carlos Camino poursuit sa quête de reconnaissance en solitaire. Lui qui aurait pu rentrer au Pérou et faire de la cuisine française a encore beaucoup trop d’ambitions pour choisir la facilité. Il travaille actuellement à l’ouverture d’un nouveau restaurant.

Sûr de sa cuisine et de ses idées, c’est avec un œil espiègle qu’il conclut l’interview en affirmant : « D’abord je vais être le premier péruvien à recevoir deux étoiles Michelin, après je penserai peut-être à faire autre chose ».

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Miraflores, 60 rue Garibaldi, 69006 Lyon


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