Ce vendredi matin à Antananarivo, la capitale de l’île de Madagascar, des centaines d’écoliers et de membres d’associations ont défilé en musique dans les rues, en direction du parc zoologique et botanique de la ville. Beaucoup de jeunes portaient des déguisements de l’animal emblématique du pays, le lémurien, popularisé notamment par les films d’animation Madagascar. Dans un futur proche, ce petit primate pourrait ne plus exister que sur grand écran ou en déguisement. Il est menacé d’extinction.
Le défilé marquait la deuxième édition du Festival international des lémuriens, organisé dans le but d’éveiller les consciences à la nécessité de protéger ces animaux que l’on ne trouve que sur cette île située au large de la côte Est de l’Afrique. Ce festival avait lieu au même moment ailleurs dans le monde, comme au zoo de Vincennes de Paris, qui accueille quelques lémuriens. Le financement de neuf programmes de protection des primates a été annoncé ce même jour.
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Des touristes du monde entier viennent à Madagascar, peuplée par 23 millions d’habitants, pour avoir la chance d’observer les lémuriens. Selon des statistiques élaborées par un primatologue, près de 28 000 de ces animaux seraient retenus sans autorisation sur l’île, parfois par des complexes hôteliers soucieux d’attirer les touristes, ou encore par des locaux qui pensent que ces animaux portent chance. Cette menace reste marginale par rapport aux autres dangers qui pèsent sur la population des lémuriens.
En 2014, l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) a tiré la sonnette d’alarme, déclarant que 94 pour cent de la centaine d’espèces de lémuriens recensées alors étaient menacées. Selon l’UICN, les lémuriens sont le groupe de vertébrés le plus menacé de la planète. Une campagne vidéo a également été lancée pour sensibiliser les internautes et leur proposer de participer directement au soutien de cette cause.
Dans son discours d’ouverture du Festival, le chercheur Jonah Ratsimbazafy, secrétaire général du Groupe d’études et de recherches sur les primates de Madagascar (GERP), qui a organisé l’événement, a rappelé que si Madagascar ne constitue que 0,4 pour cent de la surface de la planète, l’île renferme 5 pour cent de la biodiversité mondiale. « 20 pour cent des primates du monde se trouvent ici », a-t-il rappelé.
Selon les scientifiques, les lémuriens sont arrivés à Madagascar il y a 45 à 55 millions d’années, tandis que les humains ont investi l’île il y a seulement 2 500 à 3 000 ans.
Déforestation, chasse et braconnage
Les menaces qui pèsent sur les lémuriens sont diverses. La principale d’entre elle reste toutefois la déforestation. « Les lémuriens sont arboricoles », nous a expliqué Jonah Ratsimbazafy, joint par VICE News ce mardi. « Tout comme les poissons, qui ne peuvent pas vivre sans eau, les lémuriens ne peuvent pas vivre sans la forêt. À Madagascar, il ne reste que 10 pour cent de la forêt d’origine. »
Les forêts sont brûlées pour permettre de cultiver les terres, mais elles sont aussi détruites à cause de l’exploitation minière, ou encore pour le braconnage du bois rose, ou bolabola en malgache.
Jean-Christophe Vié, directeur adjoint du Programme mondial des espèces de l’UICN et créateur du programme spécifique « SOS Lemurs », nous explique que le braconnage du bois rose est une « exploitation colossale » des ressources de l’île. D’après lui, cette activité génère « des milliards qui partent pour la contrebande vers l’Asie, privant ainsi la population d’une partie de son capital » et les lémuriens de leur habitat.
Selon Jean-Christophe Vié, la situation des lémuriens s’est détériorée ces dix dernières années, et les problèmes politiques de Madagascar — l’ancien président Marc Ravalomanana a été conduit à la démission après de violentes émeutes en 2009, plongeant le pays dans une crise politique — n’ont pas facilité les choses. « Des parcs et des réserves avaient été établis, mais la mauvaise gestion et la corruption sont venues compliquer ces efforts », estime Jean-Christophe Vié.
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Sur un autre plan, des primatologues ont également été amenés il y a peu à appeler les personnes retenant illégalement des lémuriens en captivité à les relâcher.
Dernière menace pour ces primates : la chasse. Les populations locales continuent partiellement à tuer ces animaux pour se nourrir.
Un plan d’action financé à hauteur de 600 000 euros
Malgré tout, la mobilisation pour la protection des lémuriens commence à porter ses fruits. Ce vendredi 30 octobre, neuf projets associatifs pour sauver les lémuriens de Madagascar ont été annoncés, ils suivent les lignes directrices du Lemurs action plan », un plan stratégique détaillant les orientations à prendre entre 2013 et 2016 pour protéger les lémuriens. Ces projets vont être financés à hauteur de 600 000 euros, a annoncé l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).
Plusieurs de ces projets se concentrent sur l’habitat des lémuriens lui-même, avec des plans de reforestation, des actions anti-braconnages comme l’instauration de patrouilles dans les réserves, ou encore la meilleure délimitation des zones protégées.
D’autres projets se focalisent sur les populations locales. Celui mené par l’association Durrell wildlife conservation trust se concentre par exemple sur la sensibilisation des personnes vivant à proximité du lac Alaotra, le plus grand lac de Madagascar. Autour de ce lac vivent les Hapalémurs, une espèce de lémurien qui fait partie de la triste liste des 25 primates les plus menacés au monde. Ils sont mis en danger par la pression des hommes, qui transforment le lac en riziculture.
L’association locale Madagasikara Voakajy, elle, a choisi de travailler avec les jeunes de l’île pour développer des moyens de subsistance alternatifs à ceux que peuvent représenter, par exemple, le braconnage ou la chasse.
Parmi les autres projets sélectionnés, on trouve ceux de l’association européenne pour l’étude et la conservation des lémuriens (AEECL), de Duke University, du zoo d’Omaha, ou encore de la fondation Aspinall.
Il y a deux mois, une nouvelle espèce de lémurien, un lémurien nain, a été découverte, portant leur nombre à 107. « C’est une très bonne nouvelle », convient Jonah, « Mais demain, si la forêt disparaît, cette nouvelle espèce, elle aussi, disparaîtra. »
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Photo via Flickr / William Warby