Je suis pas trop du genre date. Je ne suis pas sur Tinder, je suis hyper maladroite avec les mecs : je ne sais pas draguer et on atterrit très vite dans le friendzone, ce qui me convient dans 90 % des cas. Mais parce que c’est pour le boulot – et peut-être aussi parce que c’est lui – je me suis prise au jeu.
J’avais déjà interviewé Ichon il y a trois, quatre ans pour la sortie de son album précédent « Il suffit de le faire ». Je ne m’aventure pas en terre inconnue. Comme il m’a donné un rendez-vous à 10 heures, je lui propose de se retrouver Place du Jeu de Balle à Bruxelles pour faire les puces ensemble, trop cute quoi.
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J’arrive sur la place : pas de marché. Panique. Il n’ouvre plus tous les jours ? Ça m’apprendra à ne plus suivre les Conseils de Sécurité. Ichon m’attend à une table à « La Brocante », le petit bar du coin. Il se souvient de moi. C’est que je l’ai marqué ? Je pense qu’il est amoureux, c’est bon.
Son nouvel album « Pour de vrai » est disponible sur Spotify.
VICE : Salut Ichon. Bon du coup mon lieu de date est tombé à l’eau. T’aimes bien les marchés aux puces sinon ?
Ichon : Oui je fais que ça. Je suis full puces, full brocante.
On va aller faire les fripes à la place.
Bah, en vrai ici il y a plein de trucs.
Tu viens souvent à Bruxelles ?
Oui je viens souvent. J’ai une amoureuse qui est là, et j’ai plein de potes ici comme Fabien de la boutique RARE et Frip-Frap. Bruxelles c’est le paradis.
Et t’aimerais pas y vivre ?
Malheureusement non. Il pleut trop souvent à mon goût, et j’aime pas la ville. Je préfère la mer, la montagne, la nature.
Mais Paris c’est pas beaucoup plus vert en vrai. Je crois que c’est la première fois que je me lève aussi tôt pour un date.
Oui grave. Là je me suis levé très très tôt – à 6 heures pour prendre le train – mais sinon je me lève assez tôt en général. Il y a plein de trucs à faire et je trouve qu’il y a pas assez de temps dans une journée.
Donc t’es plutôt du matin que de la nuit ?
Maintenant oui. Avant je transformais la nuit en jour. Je faisais traîner la nuit jusqu’au matin. Mais maintenant j’aime bien me lever tôt ; il y a moins de monde. Comme je disais, je préfère la campagne parce qu’il y a moins de vie, de voitures, et le matin c’est encore plus calme. Le matin en ville tu peux marcher sur la route, tranquille. La ville est un peu plus à toi.
Tu m’as dit que tu aimais bien chiner. Quand tu vas au marché aux puces tu cherches quoi ?
D’abord les fringues, et de plus en plus la déco. Récemment j’ai acheté des assiettes trop belles, avec des proverbes écrits dessus.
T’étais déjà venu faire le marché du Jeu de Balle ?
Oui, on peut trouver plein de trucs : des chapeaux, des vestes… tout.
On termine notre café et on se dirige vers FRIP’FRAP, la fripe de son pote Fabien au centre-ville. Ça papote un peu sur la route :
Ichon : J’ai trop envie de manger des frites !
C’est trop cliché ! Et un peu trop matinal aussi. C’est quoi ton adresse frites à Bruxelles ?
Une amie m’avait emmené dans un bistrot genre un peu chic, mais j’ai oublié le nom. C’est trop bon là-bas.
J’ai fait ma petite enquête et il s’agirait de Aux Armes de Bruxelles.
On va quand même parler de ton nouvel album « Pour de vrai ». Allions l’utile à l’agréable. Le morceau « Noir ou blanc » est sorti avec un clip. Vu le contexte actuel, le titre laisse penser que le morceau est forcément politique, mais est-ce qu’il l’est vraiment au final ?
Il l’est devenu. Je pense qu’aujourd’hui tout devient politique. Quand j’avais fait la chanson avec Loveni, on rigolait. On parlait en effet de notre couleur de peau, mais innocemment, sans vraiment vouloir changer les choses. Moi je me réveille pas le matin en me disant que je suis noir, ou que je suis du genre masculin… Au final, le fait que je sois si décomplexé ça devient en effet politique. Et tant mieux.
Je travaille actuellement une petite saynète autour de cette chanson avec la fille dont on parle, celle à qui on dit « t’es venue toute seule ». On essaie de la faire choisir entre Ichon et Loveni, et à la fin elle les choisit les deux. Parce que dans Loveni il y a du Ichon, dans Ichon il y a du Loveni ; dans le noir il y a du blanc, dans le blanc il y a du noir. C’est ça que j’essaie de raconter maintenant.
Dans les lyrics vous vous vendez chacun à cette fille justement. Ça vous arrive dans la vraie vie ce genre de situations ?
On se connait depuis qu’on a treize ans. On a toujours été très proches, dans les soirées, dans tout. C’est arrivé souvent qu’on flashe sur la même fille. Du coup on en rigole et on se demande : « Alors, elle va choisir lequel ? Le Noir ou le Blanc ? ».
Jamais d’embrouille ?
Non, pas avec lui. On a assez de détachement et pas d’ego l’un envers l’autre. Avec d’autres amis j’ai déjà eu des problèmes.
On arrive à la fripe. C’est le jour de l’ouverture du coup ça bosse dur. Ichon se dirige vers un pantalon lila. C’est bon, il est dans son élément ; il ne me calcule plus mais je le relance…
En fait, on parlait de positionnement politique, et dans ce titre il est un peu arrivé par la force des choses. Mais toi en tant qu’artiste tu trouves ça important de te positionner ?
C’est venu à moi. Je pense qu’aujourd’hui, quand on parle de soi, quand on est personnel, au final on a un voix. Et forcément notre voix se range quelque part, encore plus quand tu es artiste et que cette voix est écoutée. Je sais pas si c’est important, mais je suis content que ma voix résonne, et j’y prête encore plus attention maintenant. Je me questionne plus sur ce que je dis et ce que je pense vraiment. Je ne me demande pas « est-ce que c’est comme ça que je vais changer le monde », mais plutôt « est-ce que c’est comme ça que je le vis vraiment et est-ce que ma voix est authentique ? »
Il y a aussi énormément d’amour dans tes textes. J’aime bien « Elle pleure en hiver », tu peux expliquer ce qu’elle raconte ?
Je l’ai écrite pour une amoureuse qui déprimait dès qu’il faisait froid. Elle sortait pas de chez elle. Je voulais la secouer, du coup je l’emmenais autant que je pouvais à la mer. En vrai, ma vision sur cette chanson a changé depuis que je l’ai écrite. À la base quand je l’ai écrite en 2016, je voulais juste être le sauveur. Maintenant, je sais que j’ai envie de sauver personne, si elle pleure en hiver, bah qu’elle fasse son truc. Mais cette chanson à la base raconte ce rôle de saveur.
« J’ai souvent joué le rôle du sauveur avec les filles, parce que je me dis qu’on me voit comme un connard. Mais maintenant, je me dis que j’ai envie de sauver personne. »
C’est un rôle que t’as beaucoup joué avec les filles ?
Malheureusement oui, et malgré moi. J’arrive souvent en voulant être le sauveur, parce que je me dis qu’on me voit comme un connard ! Du coup j’ai envie de montrer que je suis un gars génial et que je peux sauver l’autre. Au final, je rentre dans la relation, et je me rends compte que je suis pas un daron. Chacun ses downs, tu les assumes aux moments où tu les vis et voilà. Aujourd’hui je n’écoute plus cette chanson de la même manière.
D’autres morceaux de l’album ont été écrits il y a longtemps ? Quel a été le processus depuis le précédent ?
J’ai terminé d’écrire « Il suffit de le faire » début 2016 et il est sorti en 2017 – le temps de faire toute la promo, de tout enregistrer et de trouver l’argent pour faire les clips et autre. Durant cette période, j’étais déjà en train d’écrire de nouvelles chansons et de réfléchir à la suite. Avant c’était « Il suffit de le faire », du coup je l’ai fait et il fallait un après. J’ai écrit plein de chansons, j’ai appris à jouer au piano, à chanter. J’ai pris le temps de faire les choses.
L’ancien album c’était « Il suffit de le faire » et celui là c’est « Pour de vrai ». Donc tu l’as fait pour de vrai ?
Oui, c’est exactement la continuité. Au début je l’ai fait parce qu’il fallait le faire, avec une impulsion, sans trop réfléchir. Maintenant je le fais pour de vrai, parce que c’est ce que j’ai choisi, c’est là où je me sens bien. J’ai fait la dernière mixtape de « Il suffit de le faire » avant mes vingt-sept ans, et c’est là que j’ai commencé à bosser sur mon premier album, et c’est à mes trente ans qu’il va sortir. Donc oui, on va dire que maintenant je suis un homme, je suis adulte et je donne pour de vrai.
T’as pris des cours de chant et de piano ?
De piano pas trop. De chant un peu plus, parce que j’avais vraiment quelque chose à comprendre. J’avais de mauvais réflexes vis-à-vis de ma voix, et donc pas mal de choses à corriger. J’ai pris que trois cours de piano, parce qu’au final on m’apprenait ce que je faisais déjà, et ça coûtait trop cher.
C’est vrai qu’avec tous les tutos en ligne c’est beaucoup plus accessible maintenant.
Oui, en tout cas à mon niveau. Là je suis encore au premier niveau. Quand j’aurai atteint le summum du premier niveau, là je reprendrai des cours pour passer à un autre level. J’en ai vraiment envie. La première fois que j’ai composé une chanson piano-voix tout seul, le monde c’est ouvert, c’était génial.
La seule qui est un peu plus rap de l’album justement c’est « Pas de piano ». Tu vas garder les deux univers quand même ?
C’est exactement l’idée. Sur celle-là j’ai craché mon feu ! Bien sûr que je vais garder les deux, c’est important. C’est ce que raconte dans « Pas de piano » justement.
Il y a deux ans j’ai vécu une sorte de parcours de rédemption. Je me suis écarté d’où je venais. Je ne voulais plus voir mes potes, boire d’alcool, fumer ou prendre de la drogue ; je ne voulais que chanter. Pour réussir à trouver l’équilibre il a fallu que je mette tout de côté. Je ne voyais plus personne, je faisais que du sport, je mangeais sainement… Je me suis enfermé. Ça a été nécessaire pour moi parce qu’avant j’étais dans l’excès. À l’époque où tu m’as interviewé pour « Il suffit de le faire », je venais, tu me mettais un DJ, je me défonçais la gueule et je partais avec mon cash. J’étais dans la fastlife, juste parce que c’était que comme ça que je savais le faire et que je réfléchissais pas.
T’étais plus jeune aussi.
J’étais plus jeune oui, je savais pas. Maintenant, j’ai pas envie de perdre ce côté dark non plus parce que ça fait quand même partie de moi. J’aime aussi avoir des moments où je lâche prise, c’est important. Et ne pas oublier d’où je viens, mes amis Loveni, Myth Syzer, tout ça c’est de la musique que j’aime et que j’ai écouté. Du coup si je mettais tout à la poubelle, ce serait trop bizarre.
Je tombe sur une superbe veste longue en cuir rouge foncé et lui une vert bouteille. Ça match, on dirait un de ces couples gnangnans qui assortissent leurs tenues.
Tu parlais de rédemption tout à l’heure et un morceau de ton album s’appelle « Litanie », qui est une suite de prières. C’est lié à cette période ?
Oui clairement. Je pense que c’est la plus personnelle de l’album. Le titre je ne l’ai trouvé qu’après. J’avais écrit cette chanson a capella. J’avais une mélodie de piano en tête que j’avais composée, puis j’avais écrit les paroles au bord de la mer à Marseille. Je regardais le ciel, la mer, la lune. Il y avait beaucoup de vent, les vagues frappaient sur les rochers. J’ai fait ce truc, puis je suis allé voir Crayon, avec qui on a produit cette chanson. Je lui ai parlé des bruits des vagues dans ma tête et c’est lui qui a eu l’idée des chœurs.
J’avais un titre mais je savais que ce n’était pas le bon. Ensuite mon amoureuse de Bruxelles m’a dit « bah c’est une Litanie », mais je ne savais pas ce que c’était. On a regardé la définition, c’est une prière dont la fin répète les mêmes mots, exactement comme dans la chanson. Truc de ouf, c’était parfait !
Là tu me parles de vagues et de la mer, et dans pas mal d’autres morceaux tu parles de pluie et de bleu. C’était déjà présent dans l’album précédent. C’est un peu une obsession, non ?
Ça m’inspire beaucoup parce que c’est ce qui rythme nos vies. Le matin tu te réveilles, tu regardes quel temps il fait pour t’habiller. Je réfléchis beaucoup à comment je m’habille ; ça traduit comment je me sens. Là par exemple j’aurais pas dû mettre un short ! J’ai regardé la météo et je me suis dit « je m’en fous ». La pluie rythme nos humeurs, le contexte dans lequel je me trouve m’inspire beaucoup. C’est un des premiers trucs qu’on ressent.
Tu sors l’album le jour de ton anniversaire. trente ans c’est ça ?
Ça y est, je passe le cap.
Comment tu vois la suite ?
Y’a une vidéo qui sort bientôt. Pour le reste, je ne sais pas trop. Avec le Covid, les concerts annulés… On avait une tourné prévue d’octobre à décembre et j’en avais vraiment envie. J’aime trop chanter en live donc je vais trouver un moyen de le faire. Je pense qu’on va en faire une autre, si on a les moyens. Mais j’ai envie de chanter avec les gens, ça me manque.
Ichon repart heureux, avec une jolie veste. Moi je repars bredouille – la mienne était clairement trop petite. La prochaine fois ce sera peut-être un rencard pour de vrai.
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