“Et si nous fabriquions des robots qui évoluent et travaillent à l’intérieur même du corps humain ?” se demandait l’ingénieur en biomédecine Pierre Dupont il y a presque dix ans, lorsqu’il a commencé à travailler à l’Hôpital des enfants de Boston. Le chercheur y tient aujourd’hui le poste de chef de la bioingénierie cardiaque du département de pédiatrie, et comme nous, il connait désormais la réponse à cette question.
En effet, une nouvelle étude suggère qu’il est possible d’implanter un robot assorti d’un petit moteur dans le corps d’un enfant possédant une malformation de l’oesophage – une maladie que l’ont traite actuellement par des procédures extrêmement invasives s’étalant sur plusieurs semaines et exigeant l’immobilisation totale de l’enfant. Les chercheurs espèrent ainsi remplacer ces interventions lourdes par des techniques ambulatoires impliquant des robots.
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L’étude, publiée dans Science Robotics, montre qu’il est possible d’utiliser un implant robotique pour induire une croissance des tissus formant l’oesophage chez les porcs : le robot étire l’oesophage jusqu’à ce qu’il se régénère spontanément. Évidemment, ces expériences n’en sont qu’à leur balbutiements, et nous sommes encore bien loin d’un traitement destiné à l’homme. Néanmoins, les chercheurs ont d’ores et déjà pour but de définir un protocole qui permettrait d’utiliser des implants robotiques afin d’induire la croissance d’un organe défaillant chez un nouveau-né.
Dupont, qui a co-écrit l’article, explique qu’il s’intéresse de puis longtemps à l’utilisation de robots dans le cadre médical. Il s’est ainsi donné une mission très spécifique : soigner l’atrésie oesophagienne, une anomalie congénitale dont sont affectés les bébés qui naissent avec un oesophage dont il manque une section de plus de trois centimètres de long.
“Imaginez que vous vouliez boire un verre d’eau, mais il vous manque un bout d’oesophage“, explique Dupont. Cette malformation, dont la prévalence est d’un cas pour 4000 naissances, a une issue mortelle si elle n’est pas traitée. Heureusement, dans le cas d’une intervention de type Foker, il est possible de réduire considérablement le taux de mortalité des enfants atteints de cette malformation. Elle consiste à fixer des sutures autour de chaque extrémité de l’œsophage, puis à les tirer en direction du dos de l’enfant. On les tend alors progressivement jusqu’à ce que les deux segments se touchent et que l’organe se reforme tout seul.
Si la technique Foker possède un taux de réussite très élevé (de 95 à 100%), elle a de gros inconvénients : durant le traitement, l’enfant doit demeurer à l’hôpital durant plus de trois mois et doit être entièrement immobilisé pendant plus de deux semaines sous anesthésie, explique Dupont. Enfin, elle coûte extrêmement cher : plus d’un million de dollars.
Avec l’implant robotique testé par l’équipe, les chirurgiens n’auraient plus besoin d’immobiliser et d’assommer les bébés avec des sédatifs.
“Ça permettrait d’éliminer les risques liés à l’anesthésie longue durée. D’une manière générale, l’anesthésie, ce n’est pas terrible pour un gosse“, explique Dupont. “On ne connait pas trop les conséquences sur le développement neurocognitif à long terme.“
L’implant robotique permettrait également d’adapter la procédure à différents patients et différentes situations, et favoriserait un meilleur contrôle du processus ainsi qu’une meilleure précision chirurgicale.
L’implant robotique conçu par Dupont et ses collègues est constitué d’un moteur alimenté par batterie, lui-même fixé à deux anneaux cousus autour de l’oesophage. Le moteur est relié à un contrôleur fixé sur le dos de l’animal (ici un porc, plus tard, un humain), permettant aux chercheurs de gérer la force appliquée à l’œsophage – en tirant l’anneau inférieur et l’anneau supérieur de manière à allonger l’œsophage très progressivement.
Cette procédure est basée sur le principe de mécanostimulation, qui consiste à appliquer une force de traction permettant d’induire la croissance des tissus. Dupont explique que la mécanostimulation n’est pas encore très comprise, ce qui n’empêche pas de l’utiliser pour les reconstructions mammaires, par exemple, par l’intermédiaire d’un expanseur tissulaire – un implant mou que les médecins glissent sous la peau afin de stimuler la croissance de l’épiderme.
Une fois le prototype du robot mis au point, il a été implanté dans le dos de cinq porcs, tandis que trois autres ont servi de groupe contrôle. Les huit porcs possédaient un oesophage parfaitement sain. Progressivement, le robot a réduit la distance entre les deux anneaux fixés sur l’organe, en suivant les instructions des chercheurs. Les porcs n’ont témoigné aucun signe d’inconfort, comme l’a montré leur excellent appétit avant, pendant et après la procédure, expliquent les chercheurs dans leur papier.
Après 8 ou 9 sessions de traction oesophagienne (en fonction des sujets), les chercheurs ont obtenu une croissance moyenne de 77% de l’organe étudié, un effet statistiquement significatif en dépit de la faible taille de l’échantillon, grâce à la présence du groupe contrôle.
Dupont et ses collègues ont également observé une multiplication des cellules de l’oesophage, ce qui indique que l’application d’une force de traction avait bel et bien stimulé la croissance de l’organe, et qu’ils n’observaient pas uniquement un phénomène d’étirement.
Enfin, les tissus ainsi produits étaient parfaitement fonctionnels, expliquent les chercheurs. La partie de l’oesophage concernée par la croissance montrait des signes encourageants de péristaltisme, le phénomène par lequel les contractions musculaires de l’oesophage font descendre la nourriture ingérée par l’animal jusqu’à l’estomac.
Une fois le problème de l’atrésie oesophagienne réglé, Dupont aimerait étendre les applications de l’implant afin de traiter le syndrome du grêle court, qui affecte les enfants dont une partie de l’intestin grêle a été retirée suite à une infection, et qui ne sont plus en mesure d’absorber les nutriments correctement. Ils doivent être nourris par intraveineuse tout au long de la vie.
Les appareils permettant de traiter des maladies rares telles que l’atrésie oesophagienne sont difficiles à commercialiser ; Dupont espère ainsi que l’implant robotique se révèlera être un outil multi-usages, ce qui permettra de l’utiliser dans le traitement d’affections variées impliquant des malformations d’organes tubulaires. Plus que jamais, une aide robotique est la bienvenue pour suppléer aux petites défaillances du corps humain.