Une app de consentement sexuel n’est pas une solution miracle

Avec les mouvements #MoiAussi, #BalanceTonPorc et les nombreux récits courageux de femmes qui ont été victimes d’inconduites sexuelles, le sujet du consentement prend de plus en plus de place.

Cet été, l’acteur et rappeur Nick Cannon avait annoncé qu’il avait investi dans une app de consentement légal. Une foule d’articles ont suivi pour dénoncer le côté problématique de la chose. La semaine dernière, une entreprise hollandaise dévoilait son plan pour créer une app dans le genre. D’après ses créateurs, LegalFling agirait comme un contrat légal entre les participants. L’application mobile permettrait en quelques clics de donner son consentement à une foule d’activités sexuelles, de voir l’historique sexuel de l’autre personne et de déclarer que l’on a été dépisté et non infecté par des ITS. Les créateurs de l’app affirment aussi que le consentement pourrait être retiré en tout temps, et que le bris des conditions de l’entente pourrait vous amener en cour.

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L’application n’a pas encore lancée, car elle reste sujette aux conditions des distributeurs principaux d’applications, mais elle reste néanmoins controversée. J’ai parlé à une experte en consentement et un professeur de droit afin qu’ils m’expliquent exactement ce qui pourrait mal tourner lors de l’utilisation d’une telle app.

Chloé Garcia est chargée de cours à l’Université McGill, où elle se spécialise en éducation sexuelle et s’intéresse surtout à la question du consentement. Jointe au téléphone, elle me confie que l’idée d’une app dans le genre de LegalFling traverse souvent l’esprit des gens.

Mais, d’après elle, ce concept a du bon et du mauvais. Le bon, c’est que ça provoque un dialogue autour de la notion de consentement en encourageant et promouvant le fait qu’il n’est pas nécessaire d’attendre d’être au lit pour en parler. C’est une discussion que l’on peut entamer avant, que ce soit au bar ou au téléphone. De plus, avec LegalFling, les gens doivent donner certains détails sur leur vie sexuelle, et doivent entre autres indiquer s’ils ont une ITS, ce qui est très important.

D’un autre côté, cette app place les gens dans un contrat légal sans prendre en compte la problématique plus vaste, celle de l’écart de pouvoir, m’explique Garcia. Les personnes peuvent certes appuyer sur le bouton qui donne leur consentement, mais elles pourraient le faire sous l’effet de menaces ou de chantage. Le pouvoir peut influencer une personne à ne pas dire non, ou à dire oui avec réticence. Les dynamiques de pouvoir ne peuvent pas nécessairement être reflétées à travers le contrat qu’élabore une app comme LegalFling, car une personne pourrait se sentir coupable et dire oui tout de même.

Madame Garcia se questionne aussi sur la validité en cour d’un tel contrat. Disons qu’une personne qui n’a pas l’âge de consentement décide d’avoir des relations sexuelles et tape « oui » sur l’application en mentant sur son âge. Ce contrat protégerait-il la personne qui s’est fait duper? Si cette personne ne peut consentir à cause de son âge, est-ce que sa participation dans un contrat légal tient la route?

Ou encore, que se passerait-il si une personne donnait son consentement sur l’app sous l’influence de drogues ou d’alcool? Si une personne se trouve dans l’incapacité, son consentement n’est plus valide. Mais en cour, les deux côtés de la médaille seront défendus : on dira que la personne n’était pas à ce point dans l’incapacité si elle était capable d’utiliser l’app. Mais, comme le sait bien tout bon fêtard, il est tout à fait possible d’être fortement sous l’influence, d’utiliser son téléphone, et de ne pas s’en souvenir le lendemain. Ce genre de situation poserait donc de gros problèmes, me raconte la professeure.

Pour Pierre Trudel, professeur au Centre de recherche en droit public de l’Université de Montréal et expert en cyberespace, c’est un pas dans la bonne direction, mais ce n’est certainement pas une solution miracle.

Un contrat dans LegalFling serait selon lui valable tant que l’on pourrait s’assurer que tout a été signé d’un commun accord. Lorsque j’évoque la possibilité d’un hack, le professeur concède que c’est possible, et qu’il faudrait que la personne puisse prouver que le document a été affecté.

Je lui ai aussi posé la question que se posait Chloé Garcia sur la situation où une personne mineure donne frauduleusement son consentement. « Pour la personne qui s’est fait berner, ça lui donne une défense », m’explique M. Trudel. « S’il y a une certaine ambiguïté au niveau de l’âge de la victime (dans ce cas-ci, la personne mineure), l’accusé peut se défendre avec le contrat. Mais ça tient seulement la route s’il est raisonnable de croire que la personne a 18 ans. On ne pourrait pas, par exemple, demander à une fille de 8 ans de dire qu’elle a 19 ans! »

Selon lui, l’app est surtout utile car elle pourrait servir à clarifier certaines situations. Elle permettrait aussi d’établir un dialogue franc et sain sur le consentement, en plus d’amener les gens à s’informer mutuellement sur leurs accords et désaccords sur l’éventuel déroulement d’une relation sexuelle. Mais il est important de noter que même si le consentement à travers LegalFling est stocké dans le blockchain, le consentement peut être retiré à tout moment.

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« Ça ne règle pas tout, ça ne confère pas à quelqu’un une garantie que tout est correct. », d’après Pierre Trudel. « C’est un outil qui rend un contrat légal plus clair, ce qui n’est pas rien, parce que souvent, dans ce cas-là, c’est la parole de l’un contre celle de l’autre. Et le consentement sexuel, ce n’est pas comme l’achat d’un immeuble, où l’on consent une fois et c’est fini. »

Ce qui est certain, c’est que LegalFling et d’autres apps du genre ne régleraient très certainement pas les problèmes de violence sexuelle. Dans certains cas, même, ils pourraient rendre les situations moins claires si elles sont mal utilisées. Mais elles réussiraient au moins à faire quelque chose d’important. Elles rappelleraient aux gens l’importance d’avoir une conversation ouverte à propos de l’enjeu pressant qu’est le consentement sexuel, et aideraient à combattre la notion populaire que parler du consentement brise la « magie sexuelle ».

Billy Eff est sur internet ici et .