Le début des années 90 a été une période mouvementée au Québec. La crise d’Oka — déclenchée lorsque des Mohawks se sont opposés à un projet de développement de terrain de golf sur un cimetière autochtone — et les négociations constitutionnelles entre Québec et Ottawa ont alimenté les tensions raciales et linguistiques dans la province.
Au milieu de cette tourmente, des groupuscules néonazis — incluant un chapitre du Klu Klux Klan — ont émergé à Montréal, attirant plus d’une centaine de membres qui prenaient pour cible les Noirs, les Juifs et la communauté LGBTQ.
« Il y avait un certain climat de peur », se souvient André Querry, un militant et photographe qui a documenté cette époque.
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En entrevue téléphonique, Querry explique qu’il a commencé à prendre des photos en 1986, pour le journal de l’organisme Groupe Action Socialiste. Il se concentrait principalement sur les mouvements étudiants et la mobilisation syndicale, jusqu’à ce que les néonazis commencent à se pointer aux rassemblements de la gauche.
« En septembre 1990, on a organisé avec plusieurs groupes de Montréal une manifestation contre le racisme, se souvient-il. Le chef du KKK de l’époque et des jeunes néonazis s’étaient présentés pour confronter les anti-racistes. »
Dans un documentaire de 1991, des néonazis ont décrit ce qu’ils appellaient « le rituel de la camionnette blanche », soit les excursions au cours desquelles ils arpentaient les rues de Montréal pour attaquer des immigrants. Selon le reportage, ce mode d’agression a fait près de 200 victimes.
En 1992, un texte publié en une du Devoir faisait état des inquiétudes suscitées par les mouvements racistes au Québec.
« Les organisations antiracistes de Montréal s’attendent à un été chaud et violent, peut-on lire dans le premier paragraphe. Les jeunes Nazis montréalais et les membres du Klu Klux Klan de Sherbrooke ont mené une offensive majeure depuis une semaine, en provoquant des démêlés racistes violents et en distribuant à nouveau le journal du KKK à Sherbrooke et Verdun. Des démêlés violents sont survenus à la suite de provocations de jeunes néo-nazis. Dans la nuit de vendredi, dix Skin Heads nazis s’en sont pris à deux Noirs et l’un des deux Noirs s’est défendu avec un couteau et a blessé l’un des nazis. »
Le directeur de la Ligue antifasciste mondiale affirmait au journal qu’il y avait environ 150 néonazis à Montréal. Il a également averti que le mouvement semblait aussi prendre racine à Gatineau et à Québec. « On craint que leur nombre n’atteigne les 300 sous peu, voire les 600 cet été. Les membres du KKK recrutent notamment chez les jeunes de 13 à 16 ans », avait-il averti.
Les photos prises par André Querry entre 1990 et 1992 offrent un aperçu des groupes montréalais. Elles montrent les néonazis en train de manifester contre le communisme, de s’opposer aux efforts antiracistes ou de tout simplement brandir des croix gammées lors des cérémonies publiques.
« C’est quand même effrayant, des gens qui se pointent avec des drapeaux nazis aux festivités du premier juillet », dit-il.
En janvier 1992, les autorités ont déjoué un complot visant à incendier un immeuble dans l’est de Montréal. « Les deux principaux leaders du Ku Klux Klan à Montréal, Michel Larocque et Alain Roy, seront inculpés cet après-midi pour avoir tenté d’incendier un logement habité par des Noirs, dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve », rapportait La Presse. « Les deux individus ont été capturés en flagrant délit, samedi soir, en compagnie d’un autre membre du KKK et de 36 skinheads. »
Aujourd’hui, Michel Larocque demeure vraisemblablement actif au sein de l’extrême droite. Dans une photo sur son compte Instagram, on peut apercevoir un tatouage de La Meute sur sa main. Le porte-parole de La Meute, Sylvain Brouillette, a dit à VICE qu’il ne le connaissait pas et qu’il semblait avoir rompu ses liens avec le groupe en février 2016.
En août 1992, les groupes s’étaient enhardis au point où ils ont cru bon d’organiser un festival néonazi à La Plaine, sur la Rive-Nord. Dans un article de La Presse, un policier raconte aux journalistes que le festival s’était déroulé « sans incident », à l’exception de quelques arrestations pour possession et trafic de stupéfiants, et pour avoir brûlé une croix gammée. « Il y a un règlement municipal qui interdit de faire des feux en plein air », avait expliqué le lieutenant de la SQ Benoît Poulin. Mais c’est vraiment tout ce qu’on pourrait leur reprocher pour cette fin de semaine. On était ici pour s’assurer qu’il n’y aurait pas d’infraction au Code criminel. On ne pouvait pas leur interdire de se rassembler. »
Querry lui-même a éventuellement été pris pour cible par le KKK. Un matin, alors qu’il descendait chercher ses journaux, il raconte avoir vu que le symbole du KKK avait été graffé sur sa porte d’entrée. Un incident préoccupant pour Querry et son entourage, car les néonazis s’étaient montrés particulièrement violents envers la communauté LGBTQ. En novembre 1992, quatre adolescents néonazis avaient été arrêtés pour le meurtre d’Yves Lalonde, un homosexuel qui a été battu à mort alors qu’il joggait dans le parc Angrignon. « Les gens voulaient que je déménage le soir même, mais je n’ai pas voulu. J’ai déménagé après, mais je suis devenu incognito. »
En 1995, le mouvement nazi s’était beaucoup essoufflé, ou ses membres avait du moins battu en retraite. « On a réussi à s’en débarrasser en faisant des manifs, se souvient André Querry. Il y a eu un calme relatif pendant quelques années. »
Querry espère maintenant que la nouvelle circulation de ses photos servira de mise en garde en cette période de tensions raciales accrues. « Le monde oublie que ça a déjà existé à Montréal, dit-il. Je veux faire de l’éducation, je veux montrer les dangers qu’il y avait à l’époque et montrer qu’il faut combattre ces idéologies dangereuses. »