Drogue

Une brève histoire du Spice

Les membres du Drugs Forum étaient assez intrigués. Un jeudi, en août 2006, un homme utilisant le pseudonyme « Thirdedge » s’est inscrit à ce forum où nombre de consommateurs de drogues se retrouvent pour partager leurs expériences. Thirdedge est venu leur parler du Spice – une nouvelle « drogue légale » présentée comme une alternative au cannabis. « C’est le seul produit de ce genre à être réellement efficace », écrivait-il.

À cette époque, les psychotropes légaux avaient la réputation de ne pas faire effet. En particulier, les mélanges d’herbes vendus en tant que substituts pour la marijuana offraient aux consommateurs un simple effet placebo et une petite hausse de tension, liée à leur tabac plutôt qu’à l’herbe. Mais avec le Spice, les choses ont changé.

Videos by VICE

Thirdedge voulait des réponses. Les ingrédients listés sur le paquet (des plantes aux noms variés, comme Lotus Bleu, Guerrier Indien, Kippa de Nain, ou Agripaume Sibérienne) n’étaient pas connus pour avoir des propriétés psychédéliques. Thirdedge proposait deux théories : « Un des ingrédients, ou le mélange de plusieurs des ingrédients, offre une alternative décente au cannabis », écrivait-il. « Ou alors, le produit a été mal étiqueté et contient quelque chose de complètement différent. »

Mais de telles spéculations n’ont en rien entaché la réputation du Spice. Les opinions positives à l’égard de cette drogue ont afflué. Un consommateur a dit que le Spice était « était encore plus tripant » que la marijuana et que ses effets « duraient encore plus longtemps ». Un autre a écrit : « Le Spice, c’est comme la weed sans les côtés négatifs. » Et peu importe si personne ne savait pourquoi. Tout ce dont les gens étaient sûrs, c’est que le Spice faisait le boulot.

Il a fallu deux ans pour que des chercheurs en Allemagne découvrent la vérité. L’ingrédient actif du Spice était un cannabinoïde synthétique, le JWH-018, un composé chimique créé dans le but de reproduire les effets de la marijuana. Le Spice n’était donc pas un produit à base de plantes médicinales – il s’agissait bel et bien une toute nouvelle drogue.

Les autorités se sont empressées d’interdire le Spice, mais leurs efforts n’ont pas empêché la propagation de la drogue. Alors que certains producteurs ont préféré arrêter le commerce, d’autres disposaient de laboratoires et de composants variés. Un jeu du chat et de la souris a alors débuté : à chaque fois qu’une drogue était interdite par le gouvernement, les fabricants en créaient une nouvelle qui restait dans les limites de la loi. Rapidement, la drogue a changé et ses effets se sont de plus en plus éloignés des effets du produit originel.

Un peu plus de 10 ans après son apparition, le Spice est considéré comme l’une des drogues les plus dangereuses au Royaume-Uni. Elle a fait les effets d’une « guerre éclair » au sein de la population des sans-abri et est liée à la hausse du nombre de morts. C’est également l’un des facteurs principaux dans la crise des prisons. Des intervenants spécialisés en toxicomanie ont décrit le Spice comme étant « pire que l’héroïne ». Ces dernières semaines, des vidéos sont sorties où l’on peut voir des consommateurs debout et inertes en pleine rue, ce qui a incité les tabloïds à mettre en garde la population contre une épidémie de Spice et à dénoncer les effets terrifiants de cette drogue qui transforme en zombie.

Tout a commencé par une interdiction. Rich Watson s’y attendait. Il avait eu l’idée de monter son entreprise, The Psyche Deli, lorsqu’il était à l’université, après avoir découvert une faille juridique qui l’autorisait à vendre des champignons hallucinogènes. « Bien entendu, il y a eu quelques obstacles sur ma route », m’a-t-il dit récemment. « Mais je me suis vite rendu compte que ça pouvait me rapporter beaucoup. »

Rich était quasiment sûr que la faille qu’il avait trouvée était indiscutable, mais il a quand même cherché à se rassurer au maximum. Il a écrit à la branche gouvernementale s’occupant de tout ce qui touche à la drogue, leur demandant des précisions et s’attendant à ce que son projet soit immédiatement stoppé. « Là où j’ai eu beaucoup de mal, c’était au Ministère de l’Intérieur », se rappelle-t-il. « Je me suis dit qu’ils allaient forcément trouver une raison pour laquelle je ne pourrais pas ouvrir mon commerce. » En mars 2002, Rich a reçu sa réponse : la vente de champignons hallucinogènes frais était parfaitement légale. « C’était un moment totalement irréel. »

Rich Watson a donc commencé à faire venir des champignons d’Amsterdam et à fournir les headshops (boutique où l’on trouve ce qu’il faut pour cultiver et consommer des psychotropes) du Royaume-Uni. Peu de temps après, il employait ses premiers salariés. Richard Creswell faisait pousser des champignons dans un aquarium sous son lit. Paul Galbraith est devenu le représentant de l’entreprise, dont le boulot était de convaincre les headshops d’entreposer leurs produits. Dès que les champignons étaient déplacés, les chauffeurs avaient sur eux une photocopie de la lettre du Ministère de l’Intérieur, au cas où ils seraient arrêtés par la police.

« On était plus ou moins au courant qu’on aurait qu’une seule chance et qu’au bout d’un an ou deux, ils changeraient probablement la loi », m’explique Rich. Le 29 novembre 2003, un ami l’a appelé pour lui demander s’il avait lu le journal. Une photo des champignons du Psyche Deli était étalée en première page du Guardian. Le journal informait son lectorat que le Psyche Deli vendait 5 000 « trips » par semaine grâce à trois étals sur les marchés de Londres et 30 headshops à travers le pays.

Les conséquences ont été variées. « On a vendu tellement de champis dans les jours qui ont suivi ! » raconte Rich. « On en écoulait des kilos et des kilos. » Mais, alors que le Psyche Deli n’avait jamais fait trop de vagues auparavant, cet article a rappelé aux hommes politiques que des drogues psychédéliques étaient vendues dans leurs rues : ce n’était plus qu’une question de temps avant que l’on voie apparaître des mesures répressives. « C’est à partir de ce moment-là que les choses ont commencé à mal tourner », rajoute Rich.

Dans les mois qui ont suivi, le gouvernement est revenu sur ses positions. Plusieurs détaillants de champignons hallucinogènes furent arrêtés. Rich, qui avait fait une pause dans le business depuis quelque temps, a décidé d’arrêter complètement. « Mes parents voulaient que je bosse dans une banque, pas que je vende de la drogue, ce qui peut se comprendre », m’a-t-il dit en riant. Richard Creswell et Paul Galbraith, qui étaient depuis devenus associés de Rich, ont repris le commerce.

Sous leur direction, le Psyche Deli s’est joint au mouvement de légalisation des drogues pour s’opposer aux mesures répressives envers les champignons. En décembre 2004, Paul a déclaré au Guardian : « On n’a jamais prévu de faire quelque chose d’illégal. On a demandé l’autorisation aux autorités compétentes, et beaucoup d’autres marchands ont fait de même. Ces deux dernières années, bien que la loi n’ait pas changé, il semblerait que l’interprétation que le Ministère de l’Intérieur en fait ait évolué. »

Le gouvernement, déterminé à trouver une solution définitive, a proposé l’interdiction des champignons magiques sous toutes leurs formes. Avec d’autres vendeurs, le Psyche Deli a lancé la Entheogen Defence Fund pour protester contre la proposition de loi. Cependant, le 18 juillet 2005, la loi a été adoptée. Un message fut posté sur le site du Psyche Deli : « Ici, c’était le Psyche Deli… Mais maintenant tout est fini, on est fermés. Il faut qu’on trouve de quoi s’occuper désormais… On va tout faire pour vous apporter le nouveau produit (légal !) qui déchire ! »

En janvier 2006, le site était à nouveau actualisé. « Le Psyche Deli consacre toute son énergie à vous apporter de nouveaux produits enthéogènes et efficaces », pouvait-on lire. « Nous sommes fiers de vous présenter le Spice, le nouveau produit tendance aux plantes. »

« Ce n’est pas un simple substitut – il agit sur les mêmes zones du cerveau que le cannabis. Certains de ces mélanges peuvent même être 30 à 500 fois plus puissants que le cannabis naturel. »

Après le lancement du Spice, le Psyche Deli a recommencé son business habituel. Le commerce s’est inscrit au Registre du commerce et des sociétés, et a payé la TVA. Le nouveau produit était vendu dans les magasins et sur Internet.

La campagne de pub pour le Spice a été habilement menée ; le produit était vendu dans des paquets en aluminium facilement reconnaissables. Le nom et le logo semblent avoir été inspirés par Mélange, la drogue fictive présente dans l’univers imaginaire de la série Dune, créée par Frank Herbert. Dans ces romans de science-fiction, Mélange est également appelée « Épice » et bleuit les yeux des consommateurs. Il existe d’autres similarités : on suppose par exemple que Frank Herbert a trouvé l’inspiration pour son roman suite à la prise de champignons hallucinogènes.

En avril 2007, le logo Spice était une marque déposée par le Psyche Deli, qui décrivait le produit comme « révoltant ». Cette requête reflétait la position officielle de l’entreprise – les paquets de Spice indiquaient que le produit n’était « pas destiné à la consommation humaine » pour éviter les règlements appliqués aux médicaments et à la nourriture. Une seconde requête, remplie six mois après la première, a permis d’éclaircir les intentions du Psyche Deli : le produit était décrit comme contenant des « herbes à fumer ».

On ne sait pas vraiment pourquoi ils ont choisi de cacher la vraie nature et les vrais ingrédients du Spice. Richard Creswell et Paul Galbraith ont tous deux refusé de s’entretenir avec moi pour cet article. Vu l’expérience précédente du Psyche Deli avec les champignons, on peut se demander s’ils ont choisi de ne pas révéler le principe actif du Spice pour éviter de nouvelles mesures répressives.

Si telle était vraiment leur tactique, il semblerait qu’elle ait marché. Quelques mois après sa mise en circulation, le Spice a attiré l’attention de l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT) grâce au système de prévention de ce dernier, qui se base sur différentes données – dont les saisies par les forces de l’ordre et les admissions à l’hôpital – pour identifier de nouvelles drogues.

Les consommateurs n’étaient pas les seuls à se demander d’où venaient les effets du Spice : les chercheurs et les forces de l’ordre se posaient également la question. Michael Evans-Brown, un analyste scientifique qui travaille sur les nouvelles drogues à l’OEDT m’a récemment dit : « On nous a affirmé que le Spice était un mélange d’herbes naturelles et autres. Pourtant, quand on regarde certains comptes rendus sur Internet, des gens rapportent avoir ressenti les effets du cannabis en en fumant. »

Le 15 décembre 2008, des chercheurs au sein du laboratoire pharmaceutique allemand THC-Pharm ont fait une découverte de taille. Le principe actif tenu secret dans le Spice était le JWH-018, un composé chimique créé plus de 20 ans auparavant par un professeur d’une université de Caroline du Sud.

« J’ai eu l’impression d’avoir fumé de la beuh de qualité supérieure. À l’époque, j’en riais et je me disais que ça n’allait pas marcher. »

John W. Huffman n’avait jamais prévu de révolutionner le marché des drogues récréatives : il souhaitait simplement développer de nouveaux traitements contre la douleur, notamment en cas de cancer. Trois ans après avoir été diplômé de Harvard, en 1957, il a trouvé un poste de maître de conférences à l’Université Clemson, où il a travaillé pendant 50 ans.

La spécialité de John W. Huffman était de créer de nouveaux cannabinoïdes – les composés chimiques qui agissent sur les mêmes zones du cerveau que le THC, le produit chimique psychoactif qui est présent dans le cannabis. Il a nommé plusieurs des composants en utilisant ses propres initiales et, comme la plupart des chercheurs, il a ensuite publié ses trouvailles dans un journal scientifique accessible au public. Ce faisant, il a créé sans le savoir un mode d’emploi qui serait plus tard utilisé pour créer une toute nouvelle variété de drogues psychédéliques.

Rich m’a expliqué que, lors du boom dans la consommation de champignons hallucinogènes, le Psyche Deli avait eu la visite de « scientifiques véreux » qui cherchaient à apporter de nouvelles drogues sur le marché. La plupart ont été jugées trop rebutantes ou dangereuses pour les consommateurs. Rich se souvient de la première fois où il a testé le Spice, avant que la drogue ne soit accessible au grand public : « J’ai eu l’impression d’avoir fumé de la beuh de qualité supérieure. À l’époque, j’en riais et je me disais que ça n’allait pas marcher. »

Richard Creswell et Paul Galbraith ont cependant vu le potentiel du Spice. Les chercheurs ont tendance à s’accorder sur le fait que, comparé aux effets des cannabinoïdes synthétiques qu’on trouve en vente de nos jours, les effets du Spice originel étaient relativement légers et ses effets négatifs étaient équivalents à ceux du cannabis. En se basant sur la création de John W. Huffman, le Psyche Deli avait trouvé le juste milieu entre risque et rendement.

Et le rendement était considérable. Entre 2006 et 2007, grâce aux comptes ouverts au Registre du commerce et des sociétés, on a pu voir que l’actif de l’entreprise est passé de 65 000 £ à 899 000 £. Cependant, comme pour les champignons magiques, le Spice était une opportunité ayant une durée de vie limitée. À partir du moment où ils se sont rendu compte que le Spice était plus qu’un mélange d’herbes, les gouvernements européens se sont dépêchés d’interdire cette drogue. Courant 2009, des contrôles avaient été mis en place en Autriche, en Allemagne, en France, au Luxembourg et en Pologne.

En décembre 2009, le Spice était l’une des drogues légales interdites au Royaume-Uni. The Psyche Deli, anticipant le changement de loi, avait fermé quelques mois auparavant. Un email d’un grossiste de Spice, posté à l’époque sur un forum pro-drogues, suggérait que les stocks restants avaient été vendus au headshop hollandais De Sjamaan. Aujourd’hui, les droits du Spice sont détenus par une autre compagnie hollandaise. Paul Galbraith est à la tête d’un service traiteur. Richard Creswell est DJ lors de mariages.

John W. Huffman est parti à la retraite en 2010. Aujourd’hui octogénaire, il vit reclus dans les Smoky Mountains, au Tennessee. Lors d’une interview pour le Washington Post en 2015, John se rappelait avoir entendu parler du Spice peu de temps après avoir découvert les principes actifs. « J’ai trouvé ça hilarant à l’époque », disait-il. « Puis j’ai commencé à entendre parler de tous les problèmes qui en découlaient, et j’ai pensé “Hmm, on dirait que quelqu’un a ouvert la boîte de Pandore.” »

Le terme « cannabis synthétique » peut être trompeur. Harry Sumnall est un professeur spécialisé en toxicomanie à l’Institut de Santé Publique. « Ce ne sont pas de simples substituts », m’a-t-il dit. « Ils agissent sur les mêmes zones du cerveau que le cannabis. Certains de ces mélanges peuvent même être 30 à 500 fois plus puissants que le cannabis naturel. Nous savons aussi que leur composition est complexe. Ils agissent probablement sur d’autres zones du cerveau que le cannabis naturel ne touche pas. »

Les drogues ont également évolué. Tandis que les stocks de Spice diminuaient après l’interdiction du gouvernement britannique, des producteurs rivaux se sont emparés du marché, avec de nouvelles marques comme K2, Black Mamba et Yucatan Fire. Certains mélanges contenaient les mêmes principes actifs que le Spice, mais d’autres étaient fabriqués à partir de composants qui étaient encore légaux. Cette deuxième génération de cannabinoïdes synthétiques a été la cible d’une nouvelle interdiction en 2013. Comme ils l’avaient fait précédemment, les fabricants ont développé de nouveaux mélanges et ont continué leur business.

« Spice », à l’origine un terme breveté, est devenu le nom générique de toute une gamme de produits et de substances – dont la plupart étaient très éloignés du produit de base. L’OEDT recense actuellement 171 cannabinoïdes synthétiques. La plus grande partie serait fabriquée en China puis envoyée en Europe, où ils sont mélangés à des plantes avant d’être vendus. L’Office des Nations unies contre la drogue et le crime a reçu des rapports faisant état de plus de 240 cannabinoïdes synthétiques différents dans plus de 65 pays.

« Il existe littéralement des milliers de variétés qui peuvent être synthétisées », explique Harry Sumnall. La plupart de ces nouveaux cannabinoïdes synthétiques semblent être plus forts et plus imprévisibles que les anciens. « Le marché s’est adapté et, après chaque interdiction, de nouvelles drogues plus puissantes ont fait leur apparition », rajoute-t-il.

Neil Whittaker, un ancien toxicomane de Sheffield actuellement en cure de désintox, a connu le Spice quatre ans auparavant. Au départ, « c’était comme fumer de la weed super puissante », m’a-t-il dit. Après quelques mois, Neil s’est rendu compte que la drogue avait un effet différent : « Elle devenait de plus en plus forte. » Neil tombait dans les pommes, puis se réveillait dans des positions étranges, par terre, dans des lieux publics. Il a fini par arrêter de prendre du Spice, lui préférant le speed.

Tandis que les effets du Spice augmentaient, de nombreux consommateurs réguliers ont arrêté de prendre cette drogue. Mais dans les prisons, et parmi les sans-abri, sa cote de popularité a grimpé en flèche. Des associations caritatives ont estimé que, dans certaines régions du pays, plus de 90 % des sans-abri prenaient du Spice. Dans une enquête réalisée en 2016 par l’association User Voice, on peut voir qu’un prisonnier sur trois avait pris du Spice dans le mois.

Le marché du Spice semble être de plus en plus prisé par des individus qui cherchent à tout oublier. Le Dr Henry Fisher, qui travaille pour le think tank Volte Face, m’a dit : « Avant, si vous deviez passer la nuit dans la rue, qu’il faisait froid et que vous vouliez prendre quelque chose qui vous ferait oublier tout ça, vous achetiez du cidre K (cidre particulièrement fort et peu cher) ou de la bière Tennent’s Super. Maintenant, vous prenez du Spice. »

Capture d'écran d'une vidéo, filmée dans une prison britannique, montrant un détenu fumant du Spice et s'évanouissant. Via Youtube.

Capture d’écran d’une vidéo, filmée dans une prison britannique, montrant un détenu fumant du Spice et s’évanouissant. Via YouTube.

En mai 2016, le Psychoactive Substances Act (loi visant à restreindre la production, la vente et l’approvisionnement des drogues psychoactives) a été instauré au Royaume-Uni. Après plusieurs tentatives ratées de réglementer les drogues légales, le gouvernement a été obligé d’adopter une approche différente. La loi a annoncé l’interdiction totale de toutes les substances psychoactives – à l’exception de l’alcool, du tabac et de la caféine. Bien que la possession demeure légale, la loi a prévu une peine de prison allant jusqu’à sept ans pour les fournisseurs.

Trois mois plus tard, le gouvernement a crié victoire. Le Ministère de l’Intérieur a annoncé que 186 fournisseurs avaient été arrêtés, 308 magasins avaient arrêté de vendre des substances psychoactives et 24 avaient purement et simplement fermé. La ministre Sarah Newton a déclaré : « Le Psychoactive Substances Act envoie un message clair : ce gouvernement prendra toutes les mesures nécessaires pour protéger nos familles et nos communautés. »

Mais la réalité est un peu plus complexe que ça. Bien que les headshops et les boutiques en ligne aient arrêté de vendre des substances psychoactives, la chaîne d’approvisionnement est désormais aux mains des gangs. Une enquête de l’OEDT, en 2016, montrait ainsi qu’il n’y avait eu aucun changement dans le nombre ou le type de substances psychoactives en Europe – et les produits continuent d’être importés d’Inde et de Chine. « Étant donné les gros profits et le peu de risques, il est très probable que les organisations criminelles deviennent de plus en plus actives dans ce domaine », pouvait-on lire dans le rapport de l’OEDT.

Rick Bradley est directeur des opérations pour l’association Addaction. Je lui ai demandé ce qu’il pensait du Psychoactive Substances Act : « Vous ne pouvez pas dire grand-chose de positif sur les retombées des cannabinoïdes synthétiques. Ce sont les populations vulnérables qui en abusent et elles se fichent de savoir si elles prennent une substance légale ou illégale. Toute cette histoire n’a pas été un succès. » Néanmoins, les efforts pour venir à bout du Spice continuent à se faire par la justice pénale. En décembre dernier, une nouvelle loi a rendu la possession de cannabinoïdes synthétiques de troisième génération illégale. Récemment, il y a eu plusieurs demandes pour faire du Spice une drogue de catégorie A.

En mars de cette année, plusieurs vidéos montrant des consommateurs de Spice ont émergé. « Une vidéo montre des “zombies” qui ont pris du Spice dans Manchester », pouvait-on lire en gros titres du Daily Mail. Même son de cloche à Métro : « Des zombies shootés au Spice et pour qui le temps semble s’être arrêté ». La couverture médiatique a été cruelle, mais a permis d’attirer l’attention sur ce problème qui empire. Julie Boyle, employée de l’association Lifeshare qui s’occupe des sans-abri à Manchester, m’a dit : « Nous n’avions jamais eu autant de bagarres, et nous appelons les ambulances et la police bien plus souvent qu’avant. »

Julie Boyle a souligné le fait qu’un autre problème est survenu depuis que le Psychoactive Substances Act est entré en vigueur. Le Spice est désormais disponible dans des paquets neutres, sans que le nom n’apparaisse. La liste des ingrédients a toujours été peu fiable, mais, au moins, les paquets marqués permettaient de fournir des indications sur la puissance et les effets du Spice. Maintenant, les consommateurs sont privés de toutes indications. « La loi a fait empirer les choses au lieu de les améliorer », explique Julie Boyle. « Le problème, c’est que maintenant, non seulement on ne sait pas ce que ça contient, mais on ne sait même pas qui le fabrique. Ça ne fait qu’empirer. »

Du cannabis synthétique vendu sous des noms divers et variés (Photo : VICE)

Du cannabis synthétique vendu sous des noms divers et variés (Photo : VICE)

Le Dr Oliver Sutcliffe est au milieu d’une expérience : il a mis un peu d’herbes dans une fiole en plastique transparente contenant un liquide translucide vert : « Un des composants là-dedans sera la drogue qu’on cherche. »

Oliver Sutcliffe m’a expliqué le procédé par lequel on analyse le Spice. Il a attiré mon attention sur un écran d’ordinateur qui montrait un graphique en courbe dans lequel trois pics se distinguaient, à chaque fois plus petits que le précédent. « Le premier, c’est la nicotine, car elle est mélangée au tabac », m’a-t-il expliqué. Le deuxième pic indique un composant injecté pour l’analyse. Tout à droite de l’écran se trouve le troisième : « Ce petit pic, à la fin, c’est le cannabinoïde synthétique 5F-ADB. »

Ces six dernières semaines, Oliver Sutcliffe, un maître de conférences en chimie psychopharmacologique à l’Université de Manchester, a analysé des échantillons prélevés par la police. Sur seulement 14 échantillons, le Dr Sutcliffe a trouvé huit cannabinoïdes synthétiques différents. Un de ces composants était en lien avec les états catatoniques de consommateurs à Brooklyn. LE 5F-ADB était responsable de la mort de dix personnes au Japon.

Les analyses du Dr Sutcliffe ont indiqué une teneur en composants chimiques de 6 %, ce qui est élevé mais loin d’être le plus élevé qu’il ait pu voir. Ces dernières semaines, il a découvert des variations dramatiques dans le niveau de composants psychoactifs présents dans chaque échantillon, allant de 2 % à 20 %. Il ne sait toujours pas si ces variations étaient volontaires ou résultaient d’erreurs dans le processus de fabrication – il est de notoriété publique que les fournisseurs utilisent des bétonnières pour mélanger les composants chimiques avec les plantes. J’ai demandé à Oliver ce que tout cela signifiait pour les consommateurs : « C’est au petit bonheur la chance », m’a-t-il répondu.

L’après-midi touchait à sa fin lorsque j’ai quitté l’Université de Manchester. Alors que je traversais les jardins de Piccadilly, où la police est récemment intervenue pour 15 incidents liés au Spice en l’espace de quelques minutes, j’ai remarqué un homme assis sur un banc au nord du square. Il avait l’air d’avoir une quarantaine d’années et portait d’amples vêtements noirs imprégnés de la crasse de la rue. Ses yeux étaient clos, son menton reposait sur son torse. De temps à autre, sa tête se rejetait brusquement en arrière au fur et à mesure qu’il semblait tomber dans un sommeil profond.

Au bout de cinq minutes, l’homme a ouvert les yeux, s’est assis droit et a regardé le briquet violet qu’il tenait dans la main comme s’il le voyait pour la première fois de sa vie. Il a sorti un mégot de la poche de sa veste et l’a placé entre ses lèvres. Lentement, il a levé le briquet, allumé son mégot et en a pris une bouffée.

@mark_wilding / @Dan_Draws