Porter un maillot de foot est-il un acte politique ?

Il a osé faire péter le maillot au royaume des costards. Jeudi 7 décembre dernier, François Ruffin est entré à l’Assemblée nationale, sa liquette vert sapin de l’Olympique Eaucourt, club amateur de la Somme, sur le dos. Le député de La France Insoumise est même monté à la tribune de l’Assemblée nationale, où il a donc joint le look à la parole pour défendre une proposition de loi visant à gratter 5% des gros transferts de joueurs pour financer le sport amateur.

Sa dégaine a contrarié ses confrères, plutôt du genre obsédés par l’étiquette. Après la suspension de séance, le président de l’Assemblée François de Rugy lui a balancé un carton jaune pour « extravagance vestimentaire », avec retenue sur ses indemnités parlementaires. Une sanction sévère ? Justifiée ? On n’a pas envie de jouer les arbitres sur ce coup-là. L’accroc nous a juste rappelé que oui, ces tissus de footeux ont bien quelque chose de politique.

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Par leur histoire, déjà. Si le Napoli évolue en bleu ciel et blanc, c’est notamment en hommage aux couleurs officielles de la dynastie de Bourbon-Sicile, qui a régné sur le royaume de Naples il y a des lustres. Autres exemples, la sélection des Pays-Bas, dont la tunique au ton mimolette célèbre la Maison Royale, la famille Orange-Nassau ; ou encore le Paris Saint-Germain avec ses dominantes rouge et bleu qui correspondent aux teintes du drapeau de la capitale. Bref, les maillots, leurs couleurs et leurs motifs, c’est rarement du pif. C’est un héritage, une identité, auxquels les supporters les plus fervents sont attachés.

Certains de ces symboles fâchent parfois la Fédération internationale (Fifa) de football, aussi mal à l’aise avec les messages politiques qu’un gardien de but anglais avec ses pieds. Régulièrement, la Fifa s’en prend aux Britanniques qui ont l’habitude d’arborer sur leur maillot un coquelicot, chaque mois de novembre, pour commémorer leurs soldats tombés lors de la Première guerre mondiale.

Ingérence du marketing et des sponsors

En 2016, elle a également ouvert une procédure contre la Fédération irlandaise après qu’elle ait affiché sur ses tricots la date de 1916, pour célébrer le centenaire d’une indépendance obtenue par les armes. Des allusions qu’elle aimerait bien bannir. Il ne faudrait pas que le spectacle soit gâché par des nostalgiques aux tocs mémoriels, susceptibles de semer la discorde.

Mais les opposants les plus cruels au patrimoine vestimentaire, ce sont les sponsors. Des pros de l’outrage aux maillots historiques dont la ligne politique est évidemment dictée par le business. Pour les marques, ces étoffes sportives sont des produits. Il faut qu’elles se vendent. Qu’elles fassent kiffer les groupies de Neymar ou de Ronaldo prêts à raquer 100 balles pour avoir le tissu officiel avec leur blase dans le dos. Et rien à foutre si on défigure, si on bouscule les coloris traditionnels.

L’apparition ces dernières années des maillots « third » en témoigne. Il s’agit d’un troisième jeu de tunique en plus de ceux portés à domicile et à l’extérieur, aux coupes et au design imaginés par des artistes du marketing, censé cartonner en boutique auprès de footeux fashion ayant plus ou moins bon goût.

Du bar-tabac La Salutaire à Qatar Airways

Ces excentricités horripilent les fans les plus militants, qui tentent de se défendre comme ils peuvent : boycott, pétition, grève des encouragements au stade, etc. A Marseille, en février dernier, l’annonce par la marque Adidas d’un « third » mauve, à mille lieux des couleurs bleu ciel et blanc de l’OM, a choqué les supporters. Un soir de match, certains d’entre eux ont préparé une banderole qui en dit long sur la manière dont ils vivent les fantaisies des marques : « Adidas m’a violet ».

En Croatie, Macron, pas le président mais le sponsor de l’Hajduk Split, a été plus malin. Il a décidé d’impliquer directement les supporters sur le troisième maillot du club, en brodant dessus le nom de centaines d’entre eux. Une solution diplomatique bienvenue, quand on sait à quel point les fans de l’équipe la plus populaire de Croatie avec le Dynamo Zagreb, ne sont pas du genre à se laisser emmerder.

Et ouais, vous voyez, le maillot de foot n’est pas qu’une vulgaire étoffe pour beaufs avides de bière et de pizzas quatre fromages ou pour député en quête de buzz. Comme chaque vêtement, il parle, renseigne sur ceux qui portent celui-ci plutôt qu’un autre, sur ceux qui n’en portent pas. Il transpire de sens cachés, divise. Comme celui de François Ruffin, dont le happening vestimentaire nous aura aussi permis de constater que d’avoir « Bar-Tabac-Loto – Le Salutaire » floqué sur le torse, c’était vachement plus swag que Fly Emirates, Qatar Airways ou Deutsch Telekom.

Franck Berteau est sur Twitter.