Une entreprise partenaire de la prochaine Conférence sur le climat a un projet de centrale à charbon en Turquie

Dans une lettre ouverte au président de la République française, François Hollande, rendue publique ce mercredi, une trentaine d’associations environnementales protestent contre le projet de construction d’une centrale à charbon en Turquie par l’entreprise française Engie. Anciennement GDF Suez, la firme est par ailleurs un partenaire officiel de la conférence sur le climat qui doit avoir lieu à Paris dans moins de deux mois, appelée la COP21.

« L’un des sponsors de la COP 21 est en train d’accroître le changement climatique, » nous explique ce jeudi Malika Peyrault, chargée de campagne pour l’association Amis de la Terre, signataire de la lettre. « Nous reprochons à Engie un certain nombre d’investissements dans le charbon, qui sont des projets destructeurs pour les populations locales et le climat. »

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Cette lettre ouverte à François Hollande a été signée par 36 ONG françaises, internationales et turques, dont le Réseau action climat France, Greenpeace Turkey et la WWF.

Les associations profitent du contexte de la COP21 pour faire entendre leur message. 195 pays seront représentés lors de cette grande conférence internationale, plus de 40 000 participants sont attendus, avec un objectif : contenir le réchauffement climatique en dessous de la barre des 2°.

L’entreprise Engie, dont l’État français est actionnaire à 33 pour cent, est le sixième fournisseur d’énergie en Europe, et a enregistré un chiffre d’affaires de 74,7 milliards d’euros en 2014. Elle dispose de 30 centrales à charbon dans le monde, et projetterait d’en construire trois autres, selon le communiqué de Réseau action climat. Contactée par VICE News, l’entreprise n’a pas pu confirmer cette information dans les délais de parution de cet article.

Moins d’aides pour les constructions de centrales à charbon

Anciennement Gaz de France, puis GDF Suez, l’entreprise a été rebaptisée Engie à la fin avril 2015, à l’occasion de l’ouverture du marché énergétique en France. « Un changement de marque qui s’inscrit dans une stratégie globale d’engagement pour la transition énergétique, » peut-on lire sur le site de l’entreprise.

« Il y a une double hypocrisie. D’abord celle d’Engie, qui joue un double jeu, en changeant son discours depuis son changement de nom, en nous parlant d’un futur décarbonné [sans CO2, ndlr] sans changer son parc de centrales à charbon, » poursuit Malika Peyrault.

« Ensuite, il y a l’hypocrisie du gouvernement, » enchaîne la militante. « Cette année, Hollande a parcouru le monde pour appeler à la mobilisation, mais il ne balaie pas devant sa propre porte. L’État doit prendre son rôle d’actionnaire au sérieux et mettre fin aux futurs projets charbon d’Engie. »

Le 10 septembre dernier, Manuel Valls a annoncé l’arrêt des subventions de la France aux exportations de centrales à charbon sans dispositif anti-CO2. Ces aides à l’installation de centrales à charbon à l’étranger étaient données par l’État sous forme de garanties d’emprunt auprès de la Coface (Compagnie française d’Assurance pour le commerce extérieur).

Un premier pas, pour l’écologiste, mais pas suffisant. « C’était le soutien le plus visible de l’État au charbon. Nous demandons que l’État agisse via ce soutien moins visible qu’est l’actionnariat, » explique Malika Peyrault.

Une centrale à charbon sur le site de Afsin Elbistan en Turquie.(c) Kerem Yucel-CAN Europe 2015

Mobilisation en Turquie

C’est la centrale d’Ada Yumurtalik, en projet dans la baie d’Iskenderun (une baie de la mer Méditerranée, dans le sud de la Turquie) qui cristallise le mécontentement. Cette centrale qu’Engie projette de construire serait d’une capacité de 1 300 megawatt, selon Réseau action climat.

« Il n’y a encore aucune construction ni aucune trace de plans à Yumurtalik pour le moment, » nous a dit ce jeudi Elif Gunduzyeli, coordinatrice pour la Turquie du Réseau action climat Europe. « Mais il y a 28 autres projets de centrales à charbon dans la même baie, mise à part celle d’Engie. Et trois existent déjà. »

Ce mercredi, conjointement à la publication de la lettre ouverte, des militants se sont rassemblés devant le siège d’Engie à Paris — où une vidéo a été tournée — et devant l’une des centrales déjà existante dans la baie d’Iskenderun en Turquie.

Les membres d’une association de protection de l’environnement turque protestaient ce mercredi contre le projet de centrale à charbon prévu par l’entreprise française Engie dans la baie de Iskenderun, en Turquie. Image via Réseau action climat.

Le projet de centrale d’Ada Yumurtalik s’inscrit dans un vaste plan de construction de centrales à charbon mis en place par le gouvernement turc. Des dizaines de construction de centrales à charbon sont prévues, afin de réduire la dépendance énergétique du pays, qui a vu sa consommation d’électricité doubler entre 2000 et 2003.

La Turquie préside pour la première fois le G20 en novembre prochain, soit juste avant la COP21. Mais ses engagements pour le climat — fournis en amont de la conférence de Paris — sont, selon nombre d’observateurs, parmi les plus décevants.

Impact sur l’environnement et sur la santé

Selon les associations signataires de cette lettre ouverte, le projet du gouvernement turc menace la santé de près d’un demi-million de personnes dans cette région. Les particules rejetées par les centrales peuvent notamment provoquer des maladies respiratoires.

« Les centrales à charbon sont le moyen de produire de l’énergie le plus impactant sur le climat, » nous explique François-Marie Bréon, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE). « Aujourd’hui, entre un tiers et un quart des émissions de CO2 sont dues aux centrales à charbon qui fabriquent l’électricité. Le CO2 n’a pas d’impact direct sur la santé, mais c’est l’un des moteurs principaux du changement climatique. »

« En revanche, les centrales qui brûlent du charbon rejettent également des poussières, du mercure, du souffre, du radium… qui eux ont un impact très important sur la santé, » poursuit le chercheur. Il s’agit des fameuses particules fines, « souvent du carbone mal brûlé ou du souffre. » Certaines de ces centrales sont équipées de systèmes de captation limitant les effets de cette pollution ou capables de récupérer le CO2, mais leur efficacité est sujet de débat entre industriels et défenseurs de l’environnement.

« On estime qu’il y a plusieurs milliers voire plusieurs dizaines de milliers de morts chaque année en Europe à cause des particules fines, » rappelle François-Marie Bréon.

Suivez Lucie Aubourg sur Twitter : @LucieAbrg

Une centrale à charbon sur le site de Afsin Elbistan en Turquie.(c) Kerem Yucel-CAN Europe 2015