Rick Fox est un champion NBA, mais il a aussi, et c’est plutôt surprenant, une page Allociné bien fournie. L’un de ses nouveaux hobbies post-carrière est lui aussi surprenant : Rick Fox a investi dans le business en développement de l’e-sport. Avec son organisation Echo Fox, il compte ainsi des équipes de League of Legends et de Counter Strike. D’autres athlètes ont aussi suivi Fox dans le secteur de l’e-sport : Shaquille O’Neal ou les joueurs de baseball Alex Rodriguez et Jimmy Rollins. VICE Sports a interviewé Rick Fox sur sa passion des jeux vidéo et sa décision de parier sur l’e-sport.
VICE Sports : Vous avez une passion pour les jeux vidéo depuis toujours. Quand est-ce que ça a commencé ?
Rick Fox : Ça remonte. Ma mère avait pour habitude de saouler mon père pour qu’il m’emmène me promener le samedi, parce qu’elle avait un commerce à tenir. Elle lui disait : « Tu dois passer du temps avec ton fils. » L’idée qu’il avait de passer du temps avec moi, c’était de me lâcher au bowling avec 20 dollars en poche. Je faisais d’abord un bowling et après je jouais aux bornes d’arcade Midway comme Pac-Man et Galaga et les autres jeux qu’il y avait à l’époque.
Videos by VICE
Donc je passais des heures à jouer aux jeux vidéo. C’était le temps que je passais avec mon père et il n’était pas là. C’était ça la réalité. Et je me souviens du catalogue des magasins Sears. Quand tu grandis aux Bahamas, tu vas faire tes courses de Noël à Miami. Dans les années 1970, on n’avait pas beaucoup de trucs, donc on lisait le catalogue Sears et on entourait ce qui nous plaisait et nos parents allaient jusqu’à Miami pour les acheter. Je me souviens quand le premier Atari est sorti, on a eu l’un des premiers Atari et j’ai commencé à jouer à ça. C’était ma première expérience personnelle avec les jeux vidéo. Donc, en grandissant, je ne suis pas devenu un parent qui pensait que les jeux vidéo étaient une perte de temps. J’aime bien y jouer avec mon fils et je les utilise pour passer du temps avec lui.
Qu’est-ce qui vous a poussé à jouer autant avec votre fils ?
Mon divorce, très sincèrement. Mon fils habitait sur la côte Est pendant que j’étais sous contrat avec les Lakers pendant six ans. On passait l’été ensemble, lui et moi, et il venait à LA pendant le spring break. On a commencé à jouer à World of Warcraft ensemble quand il avait dix ans et que le jeu venait tout juste de sortir. En jouant ensemble, on s’est créé un personnage. C’était l’une des premières fois où il pouvait jouer en réseau et développait notre personnage à deux. On avait quelque chose dont on pouvait parler et qu’on faisait évoluer ensemble. J’ai commencé à lui faire son apprentissage de la vie à travers ce personnage. C’est par cela que l’on était liés pendant huit ou neuf ans, à travers ses années au collège et au lycée.
Pourquoi World of Warcraft ?
On est allés ensemble dans un magasin de jeux vidéo pour acheter des jeux de Gameboy. Je regardais un peu ce qu’il y avait, et vu que j’ai joué aux jeux vidéo toute ma vie, j’ai vu ce jeu derrière le comptoir et j’ai demandé ce que c’était.
On est rentrés, j’ai installé le jeu sur l’ordinateur et on a commencé à jouer. Je n’oublierai jamais ça, on y a passé toute la nuit. C’était un nouveau monde pour moi. Je jouais beaucoup à Madden et à pas mal de jeux de sport pendant mes années de fac et même avec mon Atari aux Bahamas. J’ai grandi avec les jeux vidéo. Mais j’avais l’impression d’être dans le futur avec ce jeu.
Pour vous, c’était donc plus qu’un jeu, c’était une façon de forger une relation avec votre fils ?
Je vous dis, en tant que père loin de son fils, qui ne le voyait que par intermittence, avoir la possibilité d’avoir une relation avec lui et un sujet de conversation qui concerne quelque chose qu’on a fait ensemble… Je ne l’amenais pas au parc autant que je l’aurais voulu, parce qu’une saison NBA dure dix mois. Ce que je pouvais faire c’était assurer mon rôle de père et pouvoir partager quelque chose avec lui en ligne. Et je vous le dis, les jeux vidéo ont eu un rôle immense dans notre relation père-fils.
Comment est-ce que vous êtes passé du côté récréatif des jeux vidéo à l’investissement dans le côté compétitif ?
Il est rentré à la fac de Loyola et a donc commencé à étudier à Los Angeles. Donc en sortant des cours, c’était la première fois qu’on pouvait passer des tonnes de temps ensemble. J’avais pris ma retraite, il avait déménagé mais n’aimait pas la vie de campus et il s’est donc installé chez moi. Et j’étais d’accord puisque je pouvais passer plus de temps avec lui. A cette époque-là, il ne jouait plus trop à WoW et je lui demandais donc, « Sur quoi tu passes ton temps du coup ? » Et il jouait à League of Legends. Il m’a montré une partie et je lui ai dit direct « OK, tu dois m’expliquer ce que c’est. »
C’était au moment où il a voulu décrocher des cours pendant un semestre. Il m’a dit « Papa, je veux travailler dans l’industrie du jeu vidéo. » Je lui ai dit « OK, prenons un instant pour réfléchir, tu dois d’abord te trouver un boulot ». Il a donc pris un job à Santa Monica dans une boutique de vélos, et celle-ci se situait juste en face des locaux de Riot Games (les développeurs de League of Legends, ndlr). Je lui ai dit « Ecoute, Kyle, si tu veux vraiment quelque chose dans la vie, tu dois aller le chercher. »
Je lui ai dit d’aller dans leurs locaux et de commencer à parler à des gens. Il m’a dit « Je vais déjeuner là-bas et je vois des gens avec des sweatshirts Riot Games et je voudrais être potes avec eux mais je ne leur parle pas. » Moi, je suis quelqu’un d’impatient donc je lui ai dit qu’on allait y aller tous les deux.
Vous vous êtes juste invités comme ça ?
On est littéralement rentrés dans les locaux de Riot et, en rentrant, je vois une grande photo du Staples Center. Au début, je pense « Ce sont des fans de basket, c’est cool ». Mais sur la photo il n’y a pas de terrain de basket. Je demande si c’est l’UFC ou un truc dans le genre et ils me répondent
« Non, non, ce sont les championnats du monde de League of Legends. » J’étais abasourdi, ils m’ont dit qu’ils avaient rempli le stade en quelques minutes.
Je vais donc à l’accueil et je demande à faire un tour des locaux ou à parler avec quelqu’un. A l’accueil, on me dit « Nos directeurs sont en Corée du Sud mais ils adoreraient vous rencontrer, ce sont de grands fans de basket. » Je leur propose donc de revenir quand les propriétaires seront de retour en ville.
On rentre à la maison et on commence à jouer au jeu. Je me souviens que la première fois que j’ai regardé comment cela se jouait, je ne comprenais rien à ce qu’il se passait. Les sbires se reproduisaient, des combats se déclaraient comme ça, il y avait trop de trucs dans la boutique et je ne pouvais rien construire. La blague préférée de Kyle, c’était que je m’achetais trois paires de bottes. Je vendais des items mais je n’avais jamais assez d’argent pour m’acheter des trucs. Je faisais plein d’erreurs. Je nourrissais les sbires avant qu’ils ne se reproduisent. Désormais, je comprends mieux le jeu, je sais ce que je fais. On a passé quelques heures à jouer et il m’apprenait. Je suis arrivé au niveau 30. On a fait ça pendant deux mois et après on a commencé à streamer le jeu ensemble.
C’est à ce moment-là que Riot nous a contactés pour un documentaire avec un père et son fils jouant à League of Legends. Ils nous ont donc invités au Madison Square Garden pour les finales nord-américaines. C’était complet les deux jours.
Vous connaissez bien le Madison Square Garden. Ça faisait quoi d’y retourner en tant que spectateur d’une compétition de jeux vidéo ?
Mes sensations de sportif professionnel étaient titillées. J’étais au Madison Square Garden, une enceinte dans laquelle j’ai joué 30 ou 40 rencontres, et tout ressemblait aux expériences sportives professionnelles que j’avais déjà vécues par le passé.
Vous étiez déjà fan à l’époque ou vous y êtes allés juste parce que Riot vous avait invités ?
Kyle et moi étions fans de CLG (Counter Logic Gaming, une célèbre organisation d’e-sport, ndlr) depuis longtemps, presque un an.
Qu’est-ce que vous aimiez chez CLG ?
Aphromoo (Zaqueri Black). Mon fils lui ressemble tellement qu’ils pourraient être frères. Il était fan d’Aphromoo donc je suis devenu fan aussi de lui, puis de CLG. On était à fond avec CLG. On est allés au Madison Square Garden comme supporters de CLG, et je leur ai fait un discours d’encouragement et ils ont fini par gagner le championnat nord-américain. C’était cool d’être avec eux, en coulisses et dans les vestiaires, et de célébrer la victoire avec eux ensuite. C’était une superbe expérience.
Comment on passe de supporter d’une équipe à propriétaire de sa propre équipe ?
Le même jour, j’ai rencontré Adam Silver, le commissioner de la NBA. On a discuté de League of Legends et de Riot.
De quoi avez-vous parlé ?
Il se demandait ce que je faisais là. je lui ai dit : « Je fais partie de ce monde-là depuis quelques années maintenant, c’est moi qui suis surpris de te voir ici ». Il était juste là pour essayer de comprendre le phénomène et ce qu’était l’e-sport et League of Legends. On s’est dit qu’on allait dîner ensemble l’été suivant pour en parler.
A quel moment avez-vous pensé à devenir propriétaire ?
C’était à partir du moment où CLG m’a demandé d’intervenir comme conseiller. C’était là que je me suis pour la première fois posé la question de construire une équipe. Mon fils savait que je me posais la question et il était plutôt excité par l’idée que j’allais rejoindre CLG comme conseiller.
Après quelques mois à discuter avec tout le monde, on me disait de faire ma propre équipe. Les autres propriétaires de la ligue m’y encourageaient, c’était presque une invitation. Riot m’a même contacté pour me demander si je voulais devenir propriétaire. C’est vraiment le moment où je me suis dit que je devrais peut-être essayer de creuser un peu plus. C’est après avoir fait cela que je me suis décidé à me lancer. Ça a pris un mois avant de décider laquelle on allait acheter.
Après avoir été dans les coulisses chez CLG, et avoir vu un peu quelles étaient les conversations à propos des championnats nord-américains, j’ai vu que le marché changeait tous les jours. Je ne voulais pas attendre encore six mois ou un an.
Je sais qu’en arrivant maintenant, cela allait être compliqué en termes de rebranding, de nouveaux joueurs, d’infrastructure à construire. Mais j’avais le sentiment que si je voulais arriver sur le marché, il fallait que cela se fasse rapidement.
Il y a beaucoup de monde qui ne croit pas aux compétitions de jeux vidéo et à l’e-sport. Qu’est-ce que vous dites à ces gens-là
Je me fous de ce que les gens pensent, honnêtement. Chacun fait ce qu’il veut, non ? Chacun a un truc dont il tombe amoureux et qu’il peut faire pendant des heures. Il y a des gens qui adorent jardiner, des gens qui adorent lire, qui adorent jouer aux échecs ou faire du vélo. Tout le monde a des obsessions. Je n’ai aucun jugement sur les passions des gens. Et ceux qui critiquent, jugent ou se moquent des passions des autres, ça me révolte. Si ce n’est pas pour vous, ce n’est pas pour vous. Mais ne gâchez pas cela pour les autres.
L’e-sport et les jeux vidéo m’ont permis d’être en contact avec mon fils et je ne vois rien qui ne soit plus important que cela. C’est mon fils. On jouera aux jeux vidéo jusqu’à ce que je sois vieux et que je meure, parce que c’est ce qui nous a connectés au départ.
Mon fils est venu me voir pour me dire qu’il ne pourrait pas faire carrière dans les jeux vidéo après tout ce qu’on lui a dit : que c’est une perte de temps, qu’il faut faire des études où il y a des débouchés… Il avait honte de sa passion. Quand il m’a dit ça… Si quelqu’un m’avait dit ce genre de trucs, que ce que je faisais était une perte de temps… Vous réalisez ce que le basket a fait pour moi ? Cela m’a donné une vie. Cela a construit la maison dans laquelle nous vivons.
D’où pensez-vous que viennent les principales critiques envers l’e-sport et les jeux vidéo en général ?
Cela survient quand quelqu’un ne comprend pas ce que c’est. Les jeux vidéo sont victimes de mépris. Les joueurs de jeux vidéo sont méprisés depuis des années. Donc j’ai dit : « Kyle, tant que tu ne vivras pas de ta passion de manière ouverte, je la vivrais pour toi. » Je ne vais pas avoir un fils qui veut faire carrière dans les jeux vidéo, avec tant de moyens de s’exprimer, et ne pas le faire.
Je lui ai dit « Ecoute. Ce n’est pas acceptable. Si tu te sens comme ça, tu dois oublier cette idée que les gens se font. » Pour moi, c’était plus une manière de faire que mon fils se sente bien et qu’il voit qu’il est acceptable de vivre de sa passion. Je voulais qu’il fasse carrière dans ce qui est sa passion. Et c’est ce qu’il fait. Mais je ferais cela dans tous les cas, peu importe si mon fils est impliqué ou pas.
A quel point votre fils était-il excité que vous ayez acheté une équipe ?
En fait, mon fils s’est éloigné de l’e-sport les premiers mois. Il ne voulait pas se mêler de l’équipe une fois que je l’avais achetée. Il se sentait sous pression. Mais ça ne m’a pas empêché de faire ce que je voulais faire. J’étais aussi investi qu’on peut l’être. Finalement, il s’est lentement fait à l’idée et a trouvé ce qu’il voulait faire de cette équipe. Il travaille avec Twin Galaxies au final (une organisation qui assure en quelque sorte le rôle de Guinness Book de l’e-sport, ndlr), ce qui est un mode d’expression totalement différent de ce qu’il aurait pu faire avec Echo Fox dans le monde de l’e-sport.
Je lui ai dit d’y aller. Tant que tu fais ce que tu veux faire, vas-y, je suis d’accord. C’est ce qui m’anime en ce moment. C’est ma passion. Je ne voulais pas qu’il pense que j’ai acheté l’équipe pour lui, parce que ce n’est pas ce que j’ai fait. J’ai acheté l’équipe parce que je voulais l’acheter.
Vous êtes un parent qui aide et qui soutient votre enfant, ce qui est assez rare quand quelqu’un veut poursuivre ses rêves. Qu’est-ce qui vous a donné cette attitude volontaire ?
Je viens d’une petite île des Bahamas, mec. Mon père a toujours été un entrepreneur et s’il pensait à quelque chose, il y allait et il le faisait. Il travaillait dur et s’y mettait sérieusement et il s’améliorait dans ce qu’il faisait. C’était un exemple pour moi. Il y avait des jours meilleurs que d’autres, et on n’y gagnait pas à tous les coups.
Pendant longtemps, quand mon fils me regardait, il ne voyait que le succès. Et je lui disais, Kyle, tout ce que tu vois, ce sont les bagues de champion NBA. Tu ne vois que le fait que j’ai décidé de devenir acteur. Je ne suis pas devenu acteur ou joueur NBA comme ça, ça m’a pris 20 ans. Les choses prennent du temps. Ce que je sais aujourd’hui, c’est que je me lève tous les jours et je vais faire ce qui me passionne. Je n’ai pas l’impression de bosser. Je donne le meilleur de moi-même pendant une journée et j’essaie de devenir meilleur, tout le temps.
Quand on parade dans les rues pour fêter notre titre NBA, on dirait que ça vient d’arriver. Mais ça a pris neuf ans. J’ai échoué pendant neuf ans avant ça.