Une interview de l’illustrateur des couvertures de « Chair de Poule »

Comme vous le savez sans doute déjà, la collection Chair de poule est une série de livres horrifiques publiés dans les années 1990, lesquels ont connu un franc succès dans le monde entier. Ces livres, qui mettent en scène des pré-adolescents de banlieue américaine en proie à des événements mystérieux, continuent de s’attirer des nouveaux lecteurs aujourd’hui. En les relisant une fois adulte, j’ai constaté que tous les personnages avaient des noms aussi communs que Lucy, Lizzy, Billy ou Andy, et que l’auteur – R.L Stine – s’obstinait inlassablement à décrire les vêtements de ses protagonistes. Pour être honnête, j’ai du mal à savoir ce qui a rendu la série Chair de poule aussi populaire – exception faite des magnifiques illustrations qui ornaient les couvertures de chaque livre.

Toutes ces illustrations ont été réalisé par l’illustrateur Tim Jacobus, originaire du New Jersey. En 1991, la maison d’édition Scholastic l’a embauché pour illustrer la série, et Jacobus a passé la décennie suivante à illustrer près de 100 livres. Je lui ai posé quelques questions afin d’en savoir plus sur son boulot.

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‘Dangereuses photos,’ 1992

VICE : Comment êtes-vous devenu illustrateur ?
Tim Jacobus : Quand j’étais au lycée, j’adorais les pochettes d’album dessinées par Roger Dean. Il a fait des covers surréalistes pour Yes, et je rêvais de peindre comme lui. Heureusement, l’un de mes tuteurs était un ancien Marine, et il inspirait confiance à mon père. Quand il lui a dit que j’avais un certain talent pour le dessin, mon père a accepté que je me lance dans l’illustration de bouquins.

Pourquoi les livres en particulier ?
Je me suis dit que je ne pouvais que m’améliorer en bossant sur des séries. Des années 1980 au début des années 1990, de nombreuses maisons d’édition sortaient des séries. Les deux premiers livres sur lesquels j’ai bossé s’appelaient Fugitive in Transit et Brains Incorporated – c’était pour un éditeur de science-fiction, Daw. À l’époque, je ne gagnais pas trop d’argent, puis au fil des années, j’ai commencé à pouvoir m’acheter mes propres sous-vêtements. Quelques années plus tard, j’ai commencé à avoir du boulot régulièrement, et j’ai enfin arrêté de me dire que chaque commande serait la dernière.


‘Prisonniers du miroir,’ 1992

Comment avez-vous entendu parler de la série Chair de Poule ?
J’avais entendu dire que Scholastic souhaitait publier quatre livres horrifiques écrits par un type appelé R.L. Stine. Mais personne ne pensait qu’ils auraient du succès. J’ai fait une proposition de couverture pour La Maison des morts et elle a été retenue – j’avais utilisé énormément de couleurs, et l’éditeur s’était dit que ça plairait aux jeunes lecteurs. J’en ai fait quelques autres, et un jour, des amis sont venus me rendre visite avec leurs enfants. Les gosses étaient en primaire, et ils m’ont demandé ce que je faisais en ce moment. Quand j’ai répondu que je travaillais sur la série Chair de Poule, mes potes étaient tout excités : « Sérieux ? On en achète tout le temps ! » Et peu après, j’ai commencé à me rendre compte du succès des bouquins, je les voyais vraiment partout.

Quel était votre avis sur les livres ?
Ce n’est pas du niveau de Thoreau, mais il faut dire qu’ils sont pas mal. Et ça a poussé de nombreux enfants à ouvrir un bouquin.

‘L’Attaque des œufs de Mars,’ 1995

Comment avez-vous réalisé ces illustrations ?
J’ai utilisé un mélange de peinture et d’aérographe, ce qui leur donne ce rendu parfaitement lisse. J’ai commencé à faire des illustrations un peu tordues avec le livre L’Attaque des œufs de Mars.C’était une scène qui devait se dérouler dans une cuisine. Je savais que ça allait être dur de rendre ça un peu excitant, du coup j’ai déformé les placards et le carrelage – et c’est devenu un truc récurrent.

Vous pouvez me parler un peu de votre processus créatif ?
Tous les matins, je me levais à 5h du matin. Il me fallait entre 30 et 40 heures pour faire une illustration. Aujourd’hui encore, j’aime bien travailler très tôt, avec de la musique en fond. J’écoute toujours Yes, et j’adore le rock progressif. Le mois prochain, je vais rencontrer Steven Wilson, le chanteur de Porcupine Tree.

Cool ! Vous êtes devenu riche en illustrant les Chair de poule ?
Pas vraiment. Mon salaire était correct, mais il ne dépendait absolument pas des ventes. Que les livres se vendent par dizaines ou par millions, je conservais la même paie. Je ne vis malheureusement pas dans un château.

Et qu’en est-t-il de R. L. Stine ?
Je suis allé chez lui, et c’est vraiment un bel endroit. Il est en plein Manhattan.

‘Le Loup-garou des marécages,’ 1993

Vous êtes devenu célèbre, au moins ?
Personne ne me reconnaîtrait dans la rue, mais ça me fait drôle de savoir que je peux parler de L’Attaque des œufs de Mars– avec vous ou n’importe qui dans le monde – sans qu’on me demande de quoi il s’agit. C’est hallucinant.

Qu’est-ce qui explique cet engouement ?
C’est une question de timing. Je ne veux pas déprécier le travail de R.L. Stine, mais disons qu’il était au bon endroit, au bon moment. On nous a fait travailler ensemble et quelque chose d’incroyable s’est passé. Mais je ne peux pas vous dire exactement pourquoi, nous n’avions pas de formule spécifique. Si nous devions collaborer ensemble à nouveau, je ne suis pas sûr que cela marche aussi bien. Il faut du talent et un certain dévouement pour réussir, mais derrière chaque grand succès se cache un peu de magie.

‘Whale’ – Une illustration réalisée par Jacobus en dehors de son travail sur Chair de poule

Qu’avez-vous ressenti lorsque la série s’est terminée ?
J’étais triste. Je ne peux pas dire que j’étais en dépression non plus, mais j’ai ressenti une immense tristesse. Je savais que ce moment finirait par arriver, mais je ne pensais pas que ce serait aussi brutal. On travaillait sur la deuxième série (Goosebumps 2000) et j’étais en train de peaufiner une couverture. À ce moment-là, j’ai reçu un coup de fil qui me disait de ne pas la rendre. C’était le début des années 2000, et Chair de Poule appartenait désormais au passé.


‘The Lost Seven Cities of Gold’

Suite à cette expérience, avez-vous des conseils à donner aux jeunes illustrateurs ?
Pour un job créatif tel que celui-ci, il faut vraiment ne pas être susceptible. Si vous trouvez votre travail difficile, ça ne risque pas de changer. On essuie des refus en permanence, et il faut apprendre à réagir de manière constructive. Pour être honnête, si mon propre fils me disait qu’il voulait être illustrateur, je lui dirais de ne pas se lancer. C’est un style de vie aussi irrégulier que difficile. Je ne suis pas particulièrement nostalgique de cette époque. J’ai 56 ans maintenant, et j’ai hâte de voir ce que l’avenir me réserve.


Interview : Julian Morgans. Suivez-le sur Twitter.