Food

Une nouvelle approche de la cuisine québécoise

Montréal est plus connu pour sa poutine et ses plats copieux que pour la finesse de sa gastronomie. Mais avec l’arrivée de jeunes chefs talentueux qui pratiquent une nouvelle cuisine, plus raffinée, la tendance est sur le point d’être renversée.

Entre-temps, des grands chefs un peu pionniers comme Martin Picard, Fred Morin et Dave McMillan avaient réussi à faire de Montréal la destination préférée des bons vivants à la recherche d’ambiances « trappeurs en manteau de fourrures » et de ripailles à base de cochons entiers, de foie gras, et d’hectolitres de pinard biodynamique en provenance de France.

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Mais, aussi séduisant que cela puisse paraître, la « haute gastronomie québécoise », ce n’est plus seulement ça. En parallèle de cet océan de viande a émergé une approche plus minimaliste et délicate de la cuisine traditionnelle et roborative québécoise. Et le chef Marc-Alexandre Mercier de l’Hôtel Herman, dans le quartier de Mile End à Montréal, est probablement l’un de ses plus dignes représentants.

« Je suis comme un malabar bi-goût : J’ai un côté viande et un côté légumes, aime à se définir Marc-Alexandre Mercier. J’adore travailler avec des légumes, mais je ne veux vraiment pas que nous soyons un restaurant végétarien non plus, ce n’est pas mon truc. J’aime les légumes autant que la viande. »

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Marc-Alexandre Mercier. Toutes les photos sont de Farah Khan.

« Petit à petit, les gens changent de mentalité vis-à-vis des légumes, ajoute-t-il, félicitant au passage l’équipe du Vin Papillon (un restaurant de Montréal) pour avoir anticipé la renaissance de l’intérêt pour les légumes. Ils le savaient, ils l’ont vu arriver. Ils ont changé de formule en inversant les proportions dans l’assiette. Les légumes sont devenus le plat principal et la viande l’accompagnement. J’aime beaucoup leur cuisine. »

Mais Marc-Alexandre Mercier est allé beaucoup plus loin que le simple clivage viande-légumes : ses menus sont une ode à la simplicité. C’est un réflexe qu’il nous dit avoir pris en partie en cuisinant des ingrédients saisonniers sur la côte ouest du Canada, mais aussi en travaillant dans des restaurants plus traditionnels.

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« Quand nous avons ouvert nous voulions servir uniquement des petites assiettes. Les restaurants de Montréal sont connus pour leurs portions très copieuses. J’ai travaillé dans ce genre de restaurants avant et j’en ai eu marre du gâchis. Il y a définitivement une approche écologique dans ma cuisine parce que j’aime utiliser un produit autant que possible, et souvent dans la même assiette. »

Un exemple parfait de l’esprit de Marc-Alexandre Mercier est son « Canard en quatre façons ». Le plat se compose d’une cuisse, d’un magret et d’un boudin blanc fait avec les restes, le tout posé sur du seigle cuit dans le bouillon de canard. « Il n’y a aucun gâchis sur ce plat » aime-t-il à préciser fièrement.

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Le Canard en quatre façons.

Il utilise la même approche pour anoblir le panais : « Nous faisons un plat à base de panais et de brioche. Le panais est cuisiné en spaghettis et en purée, et le reste est utilisé pour faire un bouillon et y cuire lesdits spaghettis. Puis, on ajoute du panais cru et avec la peau on fait des chips. On présente donc quatre manières de travailler un même produit dans l’assiette. »

Quand on fait remarquer à Marc-Alexandre Mercier que sa cuisine à l’hôtel Herman pourrait s’inscrire dans cette récente tendance gastronomique qui se concentre sur le produit, le chef ne botte pas en touche mais avoue ne pas être non plus obnubilé par les modes actuelles. « Nous avons bien essayé de faire du « food foraging » (cette tendance culinaire américaine qui consiste à cuisiner uniquement avec des plantes locales et sauvages, NDLA). On l’a fait une fois peut-être. Parce que ça fait cool de dire ‘J’ai trouvé ça dans une forêt’ – mais je n’ai pas vraiment le temps pour ce genre de choses. Parfois je pique des feuilles de capucine dans des pots de fleurs, mais ce n’est pas non plus quelque chose à faire trop souvent. »

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Carottes grillées, crues et déshudratées.

Ceux qui voient une influence nordique dans la cuisine de Marc-Alexandre Mercier ne se trompent pas, même s’il ne l’a vraiment expérimenté que pendant 6 semaines sur les 15 années passées en cuisine. « J’ai fait un stage au Noma à Copenhague. Je devais y passer 3 mois mais je suis parti au bout de 6 semaines. Ce n’était pas pour moi, j’avais déjà ma propre vision, j’imagine. Tous les mecs là-bas ont une éthique de travail qui est ultra-rigoureuse et tout est parfait… Mais je ne ressentais pas vraiment ma cuisine. Je ne regrette pas de l’avoir fait, mais je ne regrette pas non plus d’être parti. »

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HH-owners-big-bar Dominic Goyet, Ariane Lacombe, et Marc-Alexandre Mercier

Marc-Alexandre Mercier assume aussi ses influences plus traditionnelles, même si elles ne se retrouvent pas forcément de manière évidente dans sa cuisine : « J’aime faire des trucs comme le boudin blanc, ou le boudin rouge à la sauce Mornay ou hollandaise – toutes ces sauces assez classiques m’intéressent beaucoup. Apprendre ces classiques français et leur technique a eu définitivement une grande influence sur moi. »

Marc-Alexandre Mercier a ouvert l’hôtel Herman avec ses associés Dominic Goyet et Ariane Lacombe il y a quatre ans et curieusement, le restaurant est rapidement devenu la destination favorite des cuisiniers pendant leur jour de congé. Et l’endroit s’est petit à petit transformé en un lieu d’after de la profession, comme une annexe de la série « Chef’s Night Out ».

Les lundis sont des bons soirs ici, explique-t-il. On reçoit pas mal d’employés d’autres restaurants car beaucoup d’entre eux sont fermés le lundi. Au début je trouvais ça très stressant de cuisiner pour d’autres chefs, mais petit à petit, quand vous voyez que les gens reviennent, vous réalisez que ce que vous faites est plutôt pas mal. La majorité d’entre eux ne sont pas vraiment critiques d’ailleurs et j’ai compris avec le temps qu’ils sont surtout là pour passer du bon temps. »