Le premier ouvrage consacré au ballon rond qui m’est tombé assez rapidement des mains s’appelait Les Dictées du foot de Frédéric Jaillant. 40 histoires préfacées par Michel Platini retraçaient les grands moments de l’équipe de France, de Saint-Etienne ou du subjonctif passé, installant durablement l’idée que l’orthographe était une torture et le foot français un éternel martyr. Une sorte d’entité bourrée de panache qui se heurtait régulièrement à l’intransigeance allemande – les poteaux carrés en finale de Coupe des clubs champions ou les genoux d’Harald Schumacher un soir à Séville.
Penser que la pilule de la dictée allait mieux passer parce que je pouvais écrire « Dominique Rocheteau déborde son vis-à-vis avant de centrer » plutôt que « On entendît une ritournelle de violon et les sons d’un cor » n’était pas une si mauvaise idée, bien aidée par ma mère – cette sainte – qui se démenait pour ne pas écorcher les noms de Gordon Banks ou Just Fontaine, mais le bouquin ancrait assez fortement en moi l’idée que foot et littérature se mélangeaient comme huile et vinaigre. Deux auteurs ayant le bon goût de s’intéresser au Calcio, l’Américain Joe McGinniss avec Le miracle de Castel di Sangro et l’Anglais Tim Parks avec Une saison de Vérone allaient me prouver le contraire.
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Sur le même modèle, Basile de Bure a décidé de suivre pendant tout une saison la promotion des U15 (moins de 15 ans) du Red Star FC et de le raconter dans un livre, Deux pieds sur terre (Flammarion). Pour l’auteur, l’idée était de montrer « les années de travail et de galère qui se cachent derrière chaque footballeur » dont on ne retient un peu trop souvent que le côté « enfants gâtés ». Aujourd’hui bien accroché au podium de National, le club de Saint-Ouen, qui a vu dans son histoire récente débuter quelques joueurs professionnels comme Charles Itandje ou Steve Marlet, tente de développer depuis plusieurs années son volet formation.
Comme de nombreux petits garçons, Basile, qui a fréquenté les équipes du PUC (Paris Université Club) entre 10 et 12 ans, voulait devenir footballeur pro. « Je n’étais clairement pas assez fort donc j’ai fait assez vite le deuil de mon rêve. Mais me plonger dans cette enquête, c’était un peu le vivre par procuration ». Quel que soit le club, la catégorie des U15 est une année charnière dans la vie du jeune sportif en herbe. « À 14 ans, tu es dans une section élite, il y a déjà eu une forme d’auto-élimination qui s’est mise en place », estime Basile. Surtout au sein des U15 du Red Star FC où Jhon, Sean et Nadir, cornaqués par le coach Foued, savent qu’ils auront, à la fin de la saison, l’opportunité d’intégrer les prestigieux centres de formation des clubs professionnels. Pour atteindre ce Graal, il suffit de taper dans l’œil les jours de match d’un des nombreux recruteurs vissés à la rambarde comme des moules à leur rocher.
L’omniprésence de ces adultes a d’abord surpris Basile, qui les compare à des ombres posées dans les tribunes, scrutant en permanence les faits et gestes des garçons à la manière des vautours dans un Disney. Ils font partie du décor de la plupart des clubs d’Île-de-France, deuxième vivier de talents au monde après la pépinière Rio-Sao Paulo selon les observateurs et véritable « supermarché à ciel ouvert ». Dans cette galaxie de personnages, tous motivés par l’envie de dénicher la future pépite, comme une meute de chiens truffiers, on trouve aussi des agents plus ou moins officiels. « Ils n’ont pas de diplômes mais sillonnent les terrains jusqu’au U8, décrit Basile. Ils croisent les recruteurs des grands centres et tentent de gratter un billet contre un conseil. Leur connaissance du foot amateur est dingue. Ils sont capables de te citer la compo de Neuilly-Plaisance est quel joueur surveiller. »
Mais le cœur du livre, ce sont ces adolescents qui se charrient, snapent, bouffent des grecs et écoutent Ninho. Une bande de potes qui semble ne tenir qu’au fil d’un hors-jeu, d’un tacle un peu limite ou d’une sortie aérienne réussie. Des gamins qui se répètent qu’il faut garder la tête sur les épaules et résister à la pression, autant de mantras familiers qu’on retrouve des années plus tard dans les interviews d’après-match. « Certains craquent à cause de cette charge mentale. J’ai croisé des garçons qui, à 14 ans, avaient déjà joué dans 6 ou 7 clubs différents – parce qu’ils cherchent le meilleur ou que leurs parents se sont engueulés avec l’entraîneur. Ce n’est pas la meilleure solution pour grandir et trouver un équilibre ».
Même si le décor est moins rutilant, les pages rappellent parfois le documentaire culte À la Clairefontaine qui suivait le parcours d’Hatem Ben Arfa et de Geoffrey Jourdren à l’institut national du football de Clairefontaine, centre technique qui accueille la crème des footeux de chaque génération – un des Audoniens, Al Amin, y est d’ailleurs pensionnaire la semaine, jouant le week-end sous les couleurs du Red Star FC (il a depuis signé à l’Olympique Lyonnais). Derrière le parcours de chaque gamin se dessine aussi en filigrane le portrait d’une famille. Là un père, celui d’Emin, accompagne son fils à tous les matchs, les vivant aussi intensément que s’il était sur le terrain.
« Les parents sont surtout présents que chez les U10 ou les U11, précise Basile. Certains bassinent l’entraîneur pour que leur gosse joue plus que les autres parce que c’est souvent à cet âge-là que l’on te fixe à un poste. Crois-moi, je n’ai pas vu beaucoup de parents encourager leur progéniture à jouer gardien ou défenseur. Au Red Star, ils sont envoyés en tribune. Ils n’ont pas le droit d’être au bord du terrain. C’est une manière de protéger les enfants. T’imagines le gosse qui reçoit une consigne de son coach et une autre totalement différente de son daron ? » Certains sont d’ailleurs plus lucides que d’autres. « J’ai entendu des pères tenir des discours plus sains : ‘Je sais que mon fils est bon mais ce n’est pas grave s’il ne devient pas une star. S’il joue dans un petit club de Ligue 2, qu’il gagne 2 000 balles par mois et qu’il arrive à en vivre, c’est déjà très bien.’ »
Après tous les sacrifices consentis, comment gère-t-on la déception d’une carrière professionnelle qui ne décolle pas ? La génération 2004 de Bauer le sait, faire du football son métier, même après avoir traversé toutes les catégories de jeune avec mention du jury, n’est jamais garanti. Personne n’est à l’abri de la blessure qui y mettra un terme. « On essaie toujours de persévérer assure Basile. Certains ont un plan B si jamais ils ne trouvent pas chaussure à leur pied ; retourner au pays, au Maroc ou en Algérie, comme dans Aux pieds de la gloire, ce documentaire d’Arte qui suit un jeune du centre de formation du Havre. »
En octobre dernier, Jeremy Wisten, 18 ans, ancien pensionnaire de l’Academy Manchester City, se donnait la mort, quelques mois après avoir appris qu’il n’était pas conservé par le centre de formation du club anglais. « J’ai vu que certains joueurs avaient relayé l’info sur les réseaux sociaux, raconte Basile. Ils se sont probablement sentis concernés parce que c’est quelque chose qui rejoint leur quotidien fait d’incertitude et parfois d’échec. Quand tu rentres dans un centre de formation, tu sais que le plus dur commence. Les garçons ont tous vu des grands frères entrer dans un centre puis en revenir. Ils savent que c’est possible de ne pas y arriver. »
Un des protagonistes du livre, Ilyes, est sorti de ce chemin balisé pour embrasser un autre destin. L’arrière gauche, décrit comme un des joueurs les plus talentueux et courtisés de la bande, a disparu des radars juste avant que l’enquête ne commence. « Nadir lui avait fait promettre de reprendre l’entraînement l’été dernier mais il n’est jamais revenu, soupire Basile. Au club, c’était l’unanimité autour de son talent. Tout le monde s’attendait à ce qu’il soit le premier à signer un contrat professionnel. Mais il aurait été happé par le quartier, une cité d’Epinay-sur-Seine. Aujourd’hui, personne au club ne sait ce qu’il est devenu. »
Dans l’idéal, Basile aimerait que les jeunes aient plus de temps pour s’épanouir. Il suggère de repousser l’entrée en centre de formation d’un an, histoire de gagner du temps. Plus important encore, il faudrait, selon lui, dédramatiser le score final des matchs dans les catégories de jeunes. « Dennis Bergkamp a dit que la pression du résultat ne devrait concerner que l’équipe première. Que les gosses ne devraient avoir qu’une obsession : apprendre à jouer. »
Cet article est publié dans le cadre du partenariat entre VICE et le Red Star et a été rédigé par la rédaction en toute indépendance.
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