Cet article a été réalisé en partenariat avec IBIS et a été créé indépendamment de la rédaction de VICE.
Originaire du Nord de la France et appartenant à la catégorie d’individus les plus insignifiants de la société (ceux qu’on appelle les classes moyennes), j’ai eu pour habitude de partir tous les étés pour trois semaines dans le Sud en famille. Le voyage, ça allait toujours avec au moins dix longues heures de voitures, l’odeur du goudron chauffé pendant des bouchons interminables et des arrêts le long d’aires d’autoroutes dont les chiottes pouvaient toutes prétendre au titre de toilettes les plus infectes de France.
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Puis, j’ai grandi et j’ai fini par m’installer à Paris au moment où ma quête d’indépendance se faisait intense. En choisissant une branche professionnelle ingrate qui m’empêchait de faire des économies, j’ai vite compris que le voyage appartenait à une période révolue de ma vie. À défaut d’être un fantasme inaccessible, le voyage s’est plus ou moins réduit à un aller-retour chez mes parents en fin de mois avec un sac rempli de linge sale.
Ainsi, j’ai commencé à ressentir l’envie de voyager lorsque j’ai été « privé » de le faire. En observant les gens qui y prenaient part joyeusement – tout en les médisant avec mes compagnons d’infortune –, en rencontrant des voyageurs, en lisant des articles franchement mauvais – mais c’était tout ce que j’avais pour rêver – et en replongeant dans ses souvenirs, on peut aisément se construire une vision parisiano-centrée et idéalisée du voyage.
Récemment, je suis tombé sur Nous et les Autres (Le Seuil, 1989) , un bouquin de Tzvetan Todorov dans lequel il dresse le portrait de dix types de voyageurs qui nous aident à comprendre le voyage. Pour vous donner une idée, il y voit, entre autres, l’assimilateur (celui qui part pour conquérir), l’exilé (qui migre, mais fuit l’assimilation) ou le désabusé (qui refuse tout type de voyage). Je me suis demandé lequel je serais , si jamais j’avais l’occasion de voyager.
J’ai voulu apporter ma pierre à l’édifice, en reprenant la typologie Todorov et en la modernisant au possible. Disclaimer préventif : cet article ne prétend pas toucher à la vérité mais simplement proposer une typologie pseudoscientifique, complètement subjective et pleine de mauvaise foi, des gens que vous aurez l’occasion de croiser en voyage.
LE TOURISTE
Puisqu’il faut bien commencer quelque part, commençons par le pire de tous. Le touriste n’appartient à aucune classe sociale, n’a pas d’âge, de genre, ni d’opinion d’ailleurs. Il n’est reconnaissable qu’à l’appareil photo numérique bas de gamme qu’il porte autour du cou, de son pantacourt ou bermuda Oxbow et son couvre-chef beige (très souvent un bob ou une casquette à la visière pliée). Présentez-lui n’importe quel monument dont il ignore l’histoire – et dont, avouons-le, il n’a pas grand-chose à foutre – vous suffira à déclencher une rafale de flashs à rendre aveugle. Une simple visite au Champ de Mars (essayez de le traverser à 16 h en été tout en étant pressé), à Buckingham Palace, à Pise , et vous conviendrez qu’il est un voyageur exaspérant. Le touriste vit pour capturer le plus de moments possible, sans trop faire attention au présent, alors n’hésitez pas à lui montrer ouvertement votre dédain s’il s’approche, l’air pataud, en vous montrant son appareil pour que vous le preniez en photo, lui et sa femme, devant le Vatican. Ce qui est triste, c’est que le touriste part en voyage en sachant déjà ce qu’il va ramener : des photos, des photos et encore des photos. Sa satisfaction, il la trouve dans le fait qu’il pourra montrer à ses amis, en rentrant chez lui, les 3 678 photos où il se tient, maladroitement, un sourire niais aux lèvres devant… Devant quoi déjà ?
LE BAROUDEUR
Ce type de voyageur est sûrement l’exact opposé du touriste. Ça ne signifie en aucun cas qu’il n’en est pas moins infernal. En général, c’est un jeune adulte, les yeux pleins d’étoiles et de rêves, ayant du mal à trouver un intérêt à la monotonie de son existence médiocre et sa place dans la société. Très généralement, le déclic est produit par une œuvre littéraire ou cinématographique culte : La Plage, Into The Wild, Sur la Route… La claque est d’autant plus forte qu’elle empêchera le baroudeur en herbe de prendre le recul nécessaire avant de s’acheter un billet pour le Nevada, la Thaïlande ou le Pérou. C’est décidé, il va partir « vivre la grande aventure ». L’expérience, en soi, peut avoir deux conséquences : dans le premier et dans 95 % des cas, le baroudeur reviendra vivre en société, ses échecs l’ayant fait grandir, il aura compris que vivre de manière libertine et libertaire entraîne des conséquences qu’il faut assumer, et trouvera, cyniquement, un job de col blanc bien payé qui le fera devenir un rouage de tout ce qu’il dénonçait avant son voyage : le capitalisme. Deuxième cas : le baroudeur s’adaptera tellement bien à son statut qu’il tentera de vivre une vie d’aventures trépidantes et d’expériences exaltantes, le poussant à repousser constamment ses limites. À partir de là, son intérêt pour la drogue et l’ésotérisme ne pourra le conduire que vers trois chemins : le baroudeur finira soit (1) accroc dans une fumerie d’opium de la Chine rurale, (2) chamane sur les bords du Gange ou (3) condamné à mort en Indonésie . Alors, gamin, réfléchis bien avant d’ouvrir ce Kerouac.
« Papa. Maman. Je vous écris cette lettre pour vous annoncer que je pars sur les chemins de Katmandou. Ne pleurez pas. Je vous aime. Au revoir. »
L’IDÉALISTE
À l’entendre parler, ce grand fan de Che Guevara féru de films de Ken Loach se définissant volontiers comme « défenseur des peuples opprimés » a une connaissance du monde qui transcende toutes les frontières. Todorov l’avait appelé l’allégoriste, puis défini comme « celui qui parle d’un peuple pour défendre un problème lié au sien et à sa culture ». Grosso modo, l’idéaliste parle des autres pour parler de lui-même. On l’entend souvent dire des choses comme : « Ouais, je mange souvent au kebab. C’est un peu ma manière à moi de montrer que je soutiens la Palestine », « Non mais tu te rends compte, c’est inadmissible cette loi de fichage généralisé que le gouvernement essaye de faire passer ! Si j’avais su que voter Hollande c’était pire que Poutine… », ou encore « Vivre sous l’état d’urgence, c’est un peu comme essayer de monter un groupe de rock en Iran ». Vous connaissez tous un idéaliste dans votre entourage, mais ne l’avez pas forcément identifié en tant que tel, alors, si vous doutez, voici quelques indices pour le reconnaître : il est blanc, porte des sarouels, est étudiant en Arts du Spectacle dans une fac de province, et son seul séjour à l’étranger se réduit à un voyage de quatrième à Fribourg.
« Alors, comme ça vous mangez avec les mains ? Eww… Crade ! ».
L’ASSIMILATEUR
L’assimilateur, c’est l’extrémiste du voyage par excellence. Identitaire, il a du mal à concevoir le monde autrement que peuplé par ses semblables ; ethno-centré, il ne peut pas s’imaginer une autre vision de monde que la sienne ; conservateur, il ne supporte pas qu’on vienne modifier la moindre de ses habitudes. C’est celui qui, en se déplaçant, amène avec lui son mode de vie dans un but d’assimilation. Contrairement à l’idéaliste, qui rêve d’ailleurs tout en étant chez lui, l’assimilateur rêve de chez lui tout en étant ailleurs. Missionnaire du nouveau monde il y a 500 ans ; colon en Afrique il y en a 100 ; aujourd’hui, on le reconnaît grâce à sa complaisance, qui s’exprime surtout sur le seul thème ou le politiquement incorrect est encore possible : la gastronomie. Le Français qui se plaint qu’on ne lui serve pas de pain dans un restau à l’étranger ? C’est lui. L’Américain qui s’offusque que les employés du fast-food local ne parlent pas anglais ? C’est bien lui. L’italien, qui, horrifié, découvre que ses spaghetti ala carbonara contiennent de la crème fraîche ? C’est encore lui. Putain, grandissez les gars !
LE PROFITEUR
S’il existe un type de voyageur auquel on ne peut rien reprocher, c’est bien au profiteur. Todorov l’imaginait comme quelqu’un qui ne traite avec les gens que s’il peut en tirer quelque chose. Il ne perd pas son temps comme tous les autres et sait exactement ce pour quoi il est là. En cela, on peut aussi bien l’associer au riche commerçant qui passe son temps dans des vols classe affaires et des hôtels cinq-étoiles, aux frais de son entreprise (ou pire, du contribuable), à l’étudiant qui part faire la saison en Grèce ou au mec de banlieue qui part flamber en Thaïlande ou à Amsterdam. C’est le seul qui voyage avec un but précis : pour graisser la patte à de riches investisseurs asiatiques, choper des vacancières ou « se mettre bien ». Le pragmatisme par excellence. Le voyage utile.
« À la votre, bande de nazes. »
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