Kiosk Radio Bruxellles
Culture

Kiosk Radio : habiter le parc Royal

On a filé un appareil photo jetable à l’équipe de Kiosk Radio, îlot de résistance pour les mélomanes, ovni pour les eurocrates et phare dans la nuit pour les âmes égarées.
CL
Brussels, BE

À l’heure où le secteur culturel est à nouveau soumis à un black out, on se rappelle avec nostalgie, et les yeux un peu humides quand même, les Brüxsel Jardin, Piknik Elektronik et autres Open Air. De façon plus spécifique, au parc Royal de Bruxelles, ces dernières années auront entendu résonner les Feeërieën de l’AB, les Fifty Sessions ou, pour les gens qui ont quelques années de plus au compteur, les mythiques soirées Gazon. Jim Becker et Mickaël Bursztejn, deux des co-fondateurs de Kiosk Radio, ont bien connu ces dernières : « Les Gazon, c’étaient des soirées d’une autre époque. Un bar de fortune, deux baffles, aucune règle, aucune force de l’ordre et beaucoup de monde. C’était assez sauvage. »

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Aujourd’hui, c'est surtout leur Kiosk qui attire les mélomanes. On a donné un appareil photo jetable à Jim et Mickey pour qu’ils immortalisent leur quotidien. Ils nous ont aussi parlé de la place centrale qu’occupe leur îlot au milieu du parc et de ses âmes parfois égarées.

Portes ouvertes

À l’époque, les Gazon – arrêtées en 2006 – avaient su profiter d’une sorte de laisser-passer, pas si surprenant d’après Jim quand on connait un peu la ville : « C’est un parc près du centre mais quand même à l’écart des habitations. Il n’y a pas de nuisances et donc pas de plaintes. Je crois que la ville a dû fermer les yeux volontairement parfois pour que les choses se passent ici et pas ailleurs. C’est un peu la particularité de Bruxelles : il y a toujours une espèce de limite imaginaire qu’il faut respecter. Tant que tu ne la dépasses pas, on te laisse tranquille. » 

Mettre le pied dans la porte sans jamais la laisser se refermer, ça a aussi été la stratégie de Kiosk à une certaine époque. Quatre ans après sa création, « le sauna », comme on l’appelle, est ouvert tous les jours, du lundi au dimanche, de midi à 20 heures – ce qui fait un point commun avec le jardin public qui les accueille, puisque le parc Royal est l’un des rares de la ville à ne jamais fermer. Le temps d’une journée (et d’une nuit) plusieurs vies – dont des destins marginalisés – se succèdent sur ce sol blanc immaculé. 

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Casting royal

Depuis le centre du parc, Mickey et Jim voient les saisons et les vies défiler, aux premières loges pour observer la variété des profils : « D’abord il y a les travailleurs⋅es qui le traversent pour se rendre au boulot, et puis il y a ceux qui cruisent (un « cruising spot » est un lieu de rencontres gay, ndlr.), qui finissent leur soirée et qu’on retrouve parfois sur la terrasse le matin. Un peu plus tard, t’as les amoureux·ses qui n’ont nulle part où aller qui se rejoignent sur les bancs publics, et puis les touristes qui viennent voir le Palais, les diplomates, les joggers, les familles, le travail du sexe et le concierge du Cercle Royal Gaulois qui est le seul habitant officiel du parc. »

Le seul officiel, parce qu’il y en a d’autres. De plus en plus, avec les confinements successifs et la précarité grandissante d’un système malade qu’on ne parvient pas à soigner, certaines personnes arrachent quelques heures à la nuit dans les fossés, les buissons et le kiosque en métal. « Pour la plupart, on ne les voit jamais plus d’un an, explique Mickey, c’est un peu chaque fois une nouvelle saison. » 

Pas mal de têtes connues circulent aussi autour du Kiosk. Il y a par exemple la dame au parapluie « qui nous demande nos téléphones pour appeler sa fille » ; le Corbeau, « un type de Casablanca qui peste sur tout – genre le hip-hop, il ne supporte pas » ; le mec qui fixe le palais depuis trois ans : il écrit, il dessine, il vient parfois prendre une bière et il repart regarder le palais. » ; le mec qui disait tout deux fois mais qui s’est fait un jour embarquer ; Detroit, avec sa casquette fichée du « D » du nom de la ville que tous les fans de techno reconnaissent ; ou encore le Lituanien, « un type en galère de bagnole qui devait retourner en Lituanie. Il était avec nous dans le bar du Kiosk presque tous les jours. On a fini par trouver une interprète lituanienne pour le comprendre. Il nous ramenait des cadeaux : un vieux bouquin, des chocolats, un CD. À un moment, on a vraiment voulu l’aider. Jim lui a proposé de prendre une douche chez lui puis on lui a trouvé un garagiste. Il a fini par repartir et il nous a recontactés après pour nous remercier. »

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Si les surnoms sont légion, c’est parce que les prénoms laissent rapidement place aux histoires pour ces personnes qui se sont trop frottées aux parois de la vie. Isolées, marginalisées, les égaré⋅es du parc trouvent chez Kiosk une machine à café, une chaufferette, des toilettes propres, quelques bribes de conversation et donc un peu de chaleur humaine et de dignité. Jim de Kiosk appelle ça « l’errance organisée », un espèce de microcosme construit autour d’une radio communautaire dans un parc public, en extérieur, gratuit, sans porte et, de fait, ouvert à tou·tes. Avec ses guirlandes lumineuses – sans cesse à réparer –, le Kiosk acquiert des allures de Stam Café : on y retrouve son comptoir, son serveur et quelques potes, on s’y assoit sur une bûche juste pour sentir le pouls du parc et observer le temps qui file sur la bande-son de quelques labels indés. 

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Music sounds better together

Café de quartier, radio communautaire, kiosque dans un parc public, c’est l’ambiguïté du lieu qui lui a notamment permis de perdurer pendant le confinement. Antoine de Pacifique Records parle de « poumon », Catherine du label Lexidisques venait ici pour « s’aérer ». Kiosk Radio devient l’une des rares bulles d’air au sein d’une scène musicale belge à l’asphyxie. Catherine est apparue au Kiosk l’été post premier confinement, à l’occasion des soirées Chaudière et Transpédégouines. Elle y est revenue ensuite, par instinct de survie : « Quand l’hiver est arrivé et qu’on a reconfiné, je crevais d’angoisse et de solitude. La seule chose à laquelle je pouvais penser c’était venir ici, parce que c’est à côté de chez moi, qu’on pouvait y entendre de la musique et croiser des gens. Malgré la police qui rôdait, il y avait une socialisation plus douce, plus naturelle, le truc des rencontres par hasard et du chit-chat. C’était un luxe de pouvoir parler de rien. » 

« Quand l’hiver est arrivé et qu’on a reconfiné, je crevais d’angoisse et de solitude. La seule chose à laquelle je pouvais penser c’était venir ici. »

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« On parlait beaucoup de l’avant pour préparer l’après, explique Antoine, j’ai l’impression que ça a estompé une forme de snobisme qui est parfois présente dans nos milieux. » Et Catherine de compléter : « On reste beaucoup chacun⋅e dans nos petites bulles : celle du Bunker, de l’Atelier Claus… On développe des conversations avec des gens qui ont les mêmes intérêts que nous. Ici, il y a eu une forme de porosité et un vrai resserrage de boulons au sein de la scène en général. »

Entre deux frissons, la terrasse du Kiosk a donc vu naître des amitiés – celle entre Catherine et Antoine notamment – comme des projets : c’est le cas de Chou Chou, le dernier 45T sorti par Lexidisques, né d’une conversation par -1000 degrés. 

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Mixité sociale : entre fantasme et réalité

Mais toutes les langues ne se délient pas de la même façon, et pour cause, tou⋅tes ne parlent pas le même langage, sur la terrasse du Kiosk comme ailleurs. J’aurais aimé vous raconter une belle histoire de mondes qui fusionnent et de barrières sociales qui tombent au son de la musique mais ce n’est pas la réalité, comme le souligne Catherine : « On ne peut pas vraiment parler de mixité sociale parce qu’on est des présences spécifiques et parfois intimidantes au sein de l’espace avec nos grosses vestes et nos six packs. Tu ne commences pas à taper la discute avec la mendiante, le foufou du parc ou les gens de passage. Mais disons qu’il y avait ici quelque chose de tranquille, chaleureux et une forme de soin mutuel. » 

« Le Kiosk a acquis une sorte d’indépendance en lui-même. C’est un peu comme un enfant qui grandit qui n’est plus ton fils ou ta fille mais une personne à part entière. »

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Si la thématique touche aussi Antoine, c’est parce qu’à côté de sa carrière musicale, il travaille au sein de l’Ateliers Indigo où il accompagne une vingtaine d’artistes en situation de handicap. Depuis quelques mois, l’Ateliers Indigo a une résidence musicale chez Kiosk Radio, une heure durant laquelle iels viennent passer les disques de leur choix, parfois accompagné·es et écouté·es par l’Autre Lieu, un endroit d’accueil et d’expériences centré autour de la question des troubles psychiques.

Musicien⋅nes, habitant⋅es du parc, groupes marginalisés ou non, tou·tes s’approprient le Kiosk, y laissent leur empreinte et, finalement, l’habitent, d’une façon ou d’une autre. C’est sans doute ce que Jim exprime lorsqu’il dit : « Le Kiosk a acquis une sorte d’indépendance en lui-même, malgré nous. Comme s’il avait une vie à lui. C’est un peu comme un enfant qui grandit qui n’est plus ton fils ou ta fille mais une personne à part entière. »

Music For Hikers de PAL est la première sortie du label Kiosk Recs. C’est également une lettre d’amour au Parc Royal. 

Jim et Mickey tiennent à remercier Catherine, Antoine, Ateliers Indigo, l’Autre Lieu, Lefto, Nicolas, Thomas, Louise, Jazzdee, Victor, Bia, Yanice, Pierik, Niall, les autres et les suivant·es pour faire de Kiosk un projet hybride, pointu et humain.

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Mickey

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Jim

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