Supra Bailly Ixelles
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Société

Que la vie en vaut la peine, quand le Supra Bailly fait mousser nos coeurs

Bonne nouvelle : il existe encore des bars qui ne se foutent pas de vous et qui, au cœur d’un quartier plutôt cher, continuent de vous servir des pils à un prix décent.
Romain Vennekens
Brussels, BE

Bienvenue dans « LAST CALL », une série dans laquelle on passe du temps avec les gens qui travaillent dans des bars afin de profiter de leurs leçons de vie – de comment surmonter un cœur brisé à ce qu'il ne faut absolument pas commander pour éviter de se couvrir de ridicule.

Le Supra, c’est un lieu qui fait acte de résistance dans un quartier qui ne cesse d’évoluer. Entre les bars branchés et de nouveaux concept stores, en plein quartier du Châtelain à Ixelles, le Supra Bailly réussit à conserver une authenticité et une convivialité qui l’ont rendu incontournable dans le monde de la picole bruxelloise. On y vient pour son ambiance décontractée, sa décoration inchangée depuis des décennies et sa bière plus qu’abordable. Qu’on y passe pour un café ou qu’on y termine sa soirée dans un souvenir brouillé, il existe aussi cette certitude de n’y être jamais seul.

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On a voulu en savoir plus sur l’histoire de ce bar, les raisons de son succès et le secret derrière leur 25 à 1,70 euros, dans un quartier boboïsé où les gens sont condamnés à raquer pour consommer. On s’est donc posés avec Ioannis, le gérant du lieu, et Yuri, serveur depuis plus de dix ans. 

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VICE : Salut les gars. Pour vous, c’est quoi le Supra ?
Ioannis : C’est un endroit unique, familial. Un vieux bar qui a beaucoup d’histoires à raconter. On dit qu’il est habité par un fantôme qui te donne l’envie  de continuer à venir ici. Tout le monde se mélange, on vient prendre le café ou se mettre une bonne taule. Comme à la maison. Tu finis toujours par rencontrer des gens, il suffit juste de s’asseoir au bar.

Yuri : C’est sûr que quand tu viens ici, tu te sens un peu chez toi. Il y a ce côté où tu rencontres du monde, tu discutes. Le fait d’être ouvert tard aussi, ça permet de découvrir différentes clientèles. T’as les gens qui travaillent la journée et rentrent vers minuit, et puis arrivent ceux qui sont un peu plus déjantés. La nuit, il faut venir pour comprendre. Depuis que je suis ici, j’en ai vu des choses. 

Comment vous expliquez le succès du bar ?
Ioannis : Il y a une simplicité et une mixité sociale importante. Mais je crois que tout ça est lié au prix de notre bière. Pendant quinze ans, on a gardé la Jupiler à 1,5 euros. C’est devenu notre produit d’appel.

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Yuri : Une bière à ce prix-là, dans le quartier, c’était introuvable, et même dans Bruxelles, c’était très rare. À un moment, on a dû la monter à 1,7 euros parce qu’on n’avait plus le choix. Mais c’est sûr que ce n’est pas là-dessus qu’on fait notre marge. Par contre, c’est devenu notre marque de fabrique.

Ioannis : Les prix bas, c’est quelque chose qu’on veut garder, on joue plutôt sur la quantité. Et puis par rapport à la capacité du bar, si on voulait monter les prix, il faudrait proposer un service différent. Mais y’a pas beaucoup de place derrière le comptoir alors il faut venir commander. Nous, on sort juste pour débarrasser. Ça joue aussi sur le prix. 

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À part quelques centimes sur le prix, on sent que ça fait un bon moment que rien n’a changé.
Ioannis : Oui, l’établissement a été créé en 1936 par la brasserie Chevalier (Chevalier marin, NDLR) qui produisait la bière Supra, une bière qui n’existe plus aujourd’hui. Plus tard, quand cette brasserie s’est arrêtée et qu’un nouveau gérant est arrivé, dans les années 1970, il a décidé de l’appeler « Supra Bailli » en référence à l’histoire du lieu et au nom de la rue. En 1998, c’est mon père qui a repris l’établissement et aujourd’hui, c’est moi qui en suis le responsable. 

Comme tu le vois, ici, beaucoup de choses sont d’origines : les plafonds, les carrelages, le bar, les tableaux... On a trouvé des photos des années 1960 où on voit les patrons de l’époque poser et rien n’a changé, ou presque. On veut garder cet esprit vieillot, avec cette lumière tamisée. On cherche pas à embellir quoi que ce soit. On a bien dû refaire quelques trucs, comme les banquettes, mais même là, on a travaillé avec un artisan pour garder le même cuir et les petits picots d’époque. Et puis le tableau qui est au-dessus de la porte de la cuisine, on raconte que c’est un portrait d’un des premiers patrons. Je sais pas si c’est vrai, mais ça fait partie de l’histoire du lieu.

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Le tableau en question.

Y’a pas mal de traces de soirées aussi…
Yuri : Si tu regardes le plafond, sa couleur jaune, c’est pas de la peinture, mais de la nicotine. Pendant des années, on pouvait fumer dans les bars et ça a donné cette couleur. C’est pour ça qu’on peut pas vraiment le nettoyer, parce que ça laisserait des traces.

Ioannis : Ouais, si tu regardes derrière les cadres, tu verras que c’est blanc. C’est aussi pour ça que tu peux voir cette projection de bière sur le plafond, on n’a pas pu la laver. Elle date de la demi-finale de la Coupe du monde, quand la Belgique jouait contre la France. Les matchs de foot ici, c’est de la folie. C’est tellement plein, que les gens nous font passer un billet qui passe de main en main jusqu’au bar parce que personne ne sait bouger. C’est une ambiance incroyable.

Et ce fameux poster de New-York au-dessus du bar ?
Ioannis  : Quand on a repris l’établissement en 1998, il y avait des anciens tableaux, mais celui au-dessus du bar était irrécupérable. C’est mon père qui avait ce poster de New-York et qui s’est dit qu’il allait le mettre là. Avec les années, il est devenu emblématique. Mais pour tout te dire, on a décidé que d’ici quelques mois, on allait mettre une ardoise à la place, avec la carte. Je crois qu’on peut dire qu’il a fait son temps. 

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Les taches de bière au plafond.

Le quartier du Châtelain a vachement changé ces dernières années. C’est même un lieu plutôt huppé à Bruxelles. Ça vous a impacté  ?
Ioannis : Ça nous a donné un avantage. Comme on est resté pas cher, on attire encore plus de gens. On a nos habitué·es, une clientèle fidèle qui vient ici depuis des années, et beaucoup de jeunes, notamment des étudiant·es.

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Comment vous gérez la partie plus intense de la nuit ?
Yuri : À l’époque où j’ai commencé, on n’avait pas de sécurité. C’était à nous de faire la police et c'était pas évident. Je fais 1 mètre 65, 60 kilos ; face à quelqu’un qui fait deux mètres, je peux te dire que je sortais pas de derrière le bar quand il y avait un souci, sinon je risquais de ramasser. Maintenant, on a un portier et ç’a réglé pas mal de problèmes, ça nous a sécurisé, nous et les client·es.

Comment vous en êtes arrivés à bosser ici ?
Ioannis : Quand mon père a pris le lieu, j’avais 8 ans. Je me rappelle des soirées, notamment d’un nouvel an ici où mon père pouvait encore mettre un DJ et des platines à l’intérieur. Il n’y avait pas autant de restrictions que maintenant, on pouvait faire des soirées sans que ce soit trop galère. Ça m’avait marqué. Ensuite, c’est mon frère qui a repris, mais j’étais ado et j’étais pas trop ici. C’est quand j’ai eu 18 ans que je suis revenu, c’était mon job étudiant. Puis j’ai essayé d’autres trucs. Là, ça fait dix ans que je travaille ici et depuis deux ans, j’ai repris la gérance. 

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Et toi Yuri ?
Yuri : De base, je suis venu ici pour un remplacement. Et ça fait dix ans que je suis là. Je suis bien, je pourrais encore rester dix ans de plus. J’ai ma clientèle, mes potes, je me sens proche des client·es. J’ai pas envie de recommencer ailleurs. Le côté social me plait énormément. Ça m’a permis de rencontrer pas mal de gens, dont ma copine avec qui je suis depuis quatre ans.

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Ouais, vous êtes ancrés ici quoi.
Ioannis :
J’ai essayé pas mal de boulots avant de revenir au Supra et j’ai jamais trouvé ça ailleurs. Ce que j’adore particulièrement ici, par rapport à d’autres lieux, c’est le retour qu’on a des gens. C’est agréable de voir à quel point ils nous aiment et nous respectent. Et vice versa. Pour te raconter une anecdote, une nuit, je devais déboucher les chiottes. Je répare l’urinoir, j’y vais avec les mains. Mais quand je dépose l’urinoir par terre, il explose. Tant pis, je mets un sac poubelle et je vais dormir. Quand je reviens le lendemain, t’avais deux clients qui avaient vu que l’urinoir était pété, qui sont allés en chercher un nouveau et ils l’ont remplacé.

Yuri : C’est vrai qu’il y a une forme de reconnaissance, on peut voir que les gens sont contents de venir ici. Ça me fait réaliser que ce que je fais a du sens et que je le fais pour les bonnes raisons. 

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Il vous a appris quoi ce boulot ?
Ioannis : Ne jamais faire confiance à un joueur de bingo ou à quelqu’un qui est bourré. Le « Je te paierai demain », ça marche pas. Et puis surtout : jamais juger trop vite quelqu’un. Derrière un caractère timide ou un peu étrange, il peut se cacher quelqu’un de génial.

Yuri : J’ai appris à parler avant de m’énerver. Je suis quelqu’un qui peut être impulsif et j’ai appris que quand on dit les choses calmement, elles passent mieux.

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Dernière question, on dit que vos spaghettis bolo sont parmi les meilleurs de Bruxelles. C’est quoi le secret ?
Ioannis : C’est Yuri qui fait la sauce, elle est bonne, généreuse et surtout pas chère !

Yuri : Oui, mais je me base sur la recette de ta grand-mère. Bon, je l’ai un petit peu arrangée, mais c’est cette recette de base qui est notre secret. Et puis, une bolo en dessous de 10 euros, c’est rare.

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