Une championne de muay thaï lance sa ligne de hijabs sportifs

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Une championne de muay thaï lance sa ligne de hijabs sportifs

Ruqsana Begum, l'actuelle championne du Royaume-Uni de boxe thaï, espère ainsi encourager toute une génération de jeunes femmes à s'investir dans le sport.

Toutes les photos sont de Bahareh Hosseini

Ruqsana Begum est la seule femme musulmane championne de Grande-Bretagne tous sports confondus. Elle en est bien évidemment très fière, mais ce constat l'a surtout poussé à vouloir changer ça. Et pour ce faire, elle a lancé sa propre ligne de hijabs sportifs, dans l'espoir qu'ils permettent à plus de femmes musulmanes de se lancer dans des carrières de haut niveau : « Je veux pousser toute une génération à s'investir dans le sport sans gêne et sans retenue », explique-t-elle quand on l'interroge sur son projet.

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Ruqsana a découvert la boxe à l'âge de 17 ans dans son lycée de l'East End londonien. Elle ne s'en est plus jamais détournée depuis. Mais en tant que fille d'immigrés venus du Bengladesh, elle était très inquiète de la réaction de sa famille à l'idée qu'elle puisse s'entraîner dans une salle de boxe mixte. Pendant les cinq premières années de sa carrière, elle a donc boxé en catimini, comme elle l'évoque avec pudeur : « Ma famille savait que j'étais investie dans un projet, ils pensaient que c'était un atelier en lien avec l'école, sans que je leur en dise plus. Je savais que si je leur disais que je pratiquais un art martial dans une salle où viennent une majorité d'hommes, ils m'auraient empêché de continuer. J'ai donc gardé le secret. J'aurais été prêt à sacrifier n'importe quelle autre activité pour poursuivre le muay thaï. »

Elle finit tout de même par aborder le sujet avec sa famille au terme de son diplôme d'architecture qu'elle obtient à l'université de Westminster. « J'étais vraiment déchirée entre ma volonté farouche d'exprimer ma passion pour ce sport et mon attachement aux valeurs familiales, que je voulais continuer à respecter », reprend Ruqsana, pour qui cette période a révélé « toute la difficulté qu'une jeune fille peut éprouver à s'affirmer. »

Difficile de s'imaginer qu'une athlète de haut niveau puisse pratiquer son sport en cachette. C'est pourtant ce qu'a vécu Ruqsana, avec un certain succès à en juger son palmarès : en 2009, elle a d'abord été sélectionnée dans l'équipe de Grande-Bretagne, avant de remporter le titre national en 2010. Un an plus tard, elle a remporté la médaille d'or des championnats d'Europe amateurs de muay thaï, avant de décrocher le bronze aux Mondiaux.

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Maintenant qu'elle a garni son armoire à trophées, elle s'investit pour les femmes musulmanes dans le sport : « Je veux aider les jeunes filles qui font face aux mêmes obstacles que moi », assure-t-elle. En avril dernier, elle a donc lancé sa ligne de hijabs baptisée "Sports hijabs by Ruqsana". Les foulards sont confectionnés dans une matière qui permet de respirer plus facilement. Je l'ai donc rencontrée pour discuter de son parcours, de son ambition d'aider la nouvelle génération, et de la difficulté de pratiquer un sport vêtue d'un hijab traditionnel.

VICE: Est-ce que tu portais le hijab pendant ta scolarité ?
Ruqsana Begum : Non, mais je viens d'une famille à la culture islamique très stricte. Je n'avais pas le droit de porter des jeans ou des leggings, mon père m'aurait fait une scène pour cela. A l'époque, les parents étaient plus rigides, maintenant je pense qu'ils sont plus coulants qu'il y a dix ou quinze ans.

Tu as boxé en secret pendant cinq ans. Qu'est-ce qui t'a tant plu dans le sport et dans la boxe thaï en particulier ?
Je pense que j'ai pris ça comme un défi et aussi comme un moyen d'expulser mon stress. J'aime le sport parce qu'il me donne cet esprit de compétition. Je ne suis pas d'un naturel très conflictuel, mais monter sur un ring m'a aidée à m'affirmer et à être moi-même.

Tu suivais en même temps un cursus en architecture. Comment t'y es-tu pris pour dire à ta famille que tu voulais devenir boxeuse pro ?
Je n'ai pas vraiment réfléchi à tout ça. J'ai progressé petit à petit, jusqu'à être sélectionnée en équipe nationale. A l'époque, on était en pleine crise économique, ma famille ne m'a donc pas tant encouragée que ça à me lancer dans l'architecture. Ils savaient à quel point le marché de l'emploi était sinistré. En 2010, après mes premières grandes victoires, je pense qu'ils se sont secrètement dit : « Bon, elle se débrouille plutôt bien, laissons-la faire son truc ».

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Sont-ils déjà venus assister à un de tes combats ?
Non, mais surtout parce que la plupart de mes combats se tiennent à l'étranger. Quand j'ai combattu à Doncaster après ma sélection en équipe nationale, je ne m'attendais pas à gagner, donc je n'ai pas trop encouragé mes proches à venir. Je me suis bornée à leur dire « supportez moi, soyez derrière moi. » Je n'ai jamais eu besoin d'être encouragée. Le simple fait qu'ils ferment les yeux sur ma passion était largement suffisant.

N'est-ce pas compliqué de concilier sa carrière avec les contraintes liées à l'Islam avec lesquelles les autres sportifs non-musulmans n'ont pas à composer ? Est-ce que tu jeûnes pendant le Ramadan?
Oui, je jeûne pendant le Ramadan tout en continuant à m'entraîner. Mais on m'a diagnostiqué une encéphalomyélite myalgique (le syndrome de la fatigue chronique, ndlr) et là, c'est devenu beaucoup plus difficile de jeûner et de m'entraîner en même temps. Donc je ne jeûne que si je me sens en pleine forme maintenant.

Dans les médias, les femmes musulmanes sont sans cesse décrites comme soumises. C'est important pour toi de tordre le coup à cette idée reçue ?
Quand je me suis lancé dans le muay thaï, j'ai d'abord eu peur que ma pratique du sport aille à l'encontre de mes croyances. Puis j'ai vite réalisé que ce n'était pas du tout le cas. Le sport est très encouragé dans ma religion. De plus, je pense que ma famille m'a laissée faire ce que je voulais quand elle a réalisé que je n'avais pas changé, que j'étais restée fidèle à nos principes. Cette expérience m'a permis de m'extirper de la pression familiale, de l'exigence de réussite universitaire et de toutes les inquiétudes que crée la vie en général. Tout ça a forgé ma personnalité.

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En tant que femme adulte et accomplie qui forme désormais les plus jeunes, j'imagine que tu as assez de recul pour mesurer dans quelle mesure les choses ont changé, à quel point les jeunes femmes ont plus la mainmise sur leur vie et leurs décisions ?
Evidemment, c'est incontestable. Je pense aussi que la boxe forge leurs caractères, qu'elle leur permet de surmonter leur timidité. Elles me sont si reconnaissantes d'avoir ouvert un créneau d'entraînement où elles peuvent se retrouver, se sentir en confiance, et surtout en accord avec leurs croyances car leurs maris n'ont pas à s'inquiéter d'où elles s'entraînent ni d'avec qui elles s'entraînent. C'est vraiment agréable de les voir venir au sport sans retenue, sans ce dilemme qui m'a si longtemps torturée. Quand j'ai commencé, il y avait très peu d'entraîneurs femmes. J'en cherchais une désespérément à l'époque, mais il n'y en avait pas, c'est aussi l'une des raisons qui m'a poussée à vouloir donner ce cours.

Tu as gagné ton premier titre en 2010. Comment en es-tu venue à faire des compétitions, et surtout à les gagner ?
Je n'avais pas beaucoup de combats au compteur et donc peu d'expérience. Mais j'avais beaucoup de potentiel, mon coach s'en était rendu compte. Il savait que j'avais ce fighting spirit indispensable dans les sports de combat. Il m'a donc propulsé très vite avec les meilleures. Normalement, tu combats d'abord en régional, puis au niveau anglais, britannique, et enfin et seulement au niveau européen ou mondial. Il m'a direct envoyé avec la sélection britannique parce qu'il me jugeait trop forte pour les autres filles. Il m'a juste dit : « Tu sais quoi, je vais te foutre dans la mouise jusqu'au cou. Si tu t'en sors, tu seras la star de la soirée. »

Pourquoi as-tu voulu créer cette ligne de hijabs sportifs ?
Parce que je connais les difficultés que rencontrent les jeunes filles et surtout le ressenti de leurs familles quand elles quittent la maison pour aller à la salle de sport. J'ai pensé que je pouvais aider à dissiper les tensions et par la même occasion donner l'opportunité à des jeunes filles talentueuses de s'épanouir. Si quelqu'un avait fait ça pour moi, mes parents auraient été beaucoup plus rassurés. Aux JO, j'ai vu plusieurs athlètes qui portaient des hijabs qu'elles s'étaient confectionnés elles-mêmes pour le combat. Ca m'a inspiré. Je me suis dit immédiatement : « Si ça existe pour les athlètes, pourquoi ne pas le faire pour les gens "normaux" et les jeunes filles encore à l'école ? » Je pense que c'est important qu'elles puissent porter un hijab adapté, confortable, qui leur permette de bien respirer.

En quoi est-ce que tes hijabs sont pratiques ?
Ils sont faits en Lycra, ils permettent donc de bien respirer, de bien se mouvoir, ils s'adaptent bien aux contours de la tête sans avoir besoin d'épingles qui sont dangereuses quand on pratique un sport de combat. Mais surtout, ils donnent confiance aux jeunes filles qui les portent, elles se sentent moins jugées sur leur apparence. Je veux les encourager, les inspirer, et leur ôter toute inhibition.