Life

Il est temps d’arrêter avec les « notes vocales »

Alors que des générations entières ont livré bataille contre les messages vocaux de leurs parents, voilà qu’ils reviennent nous hanter.
Paul Douard
Paris, FR
messages vocaux téléphone réseaux sociaux
Image tirée du téléphone de l'auteur

Vivre est déjà assez fatigant comme ça. Passer l’intégralité de mes trajets maison boulot à démêler mes écouteurs, recevoir à chaque passage piéton les insultes inaudibles de chauffeurs de taxi en liberté conditionnelle et subir sur Twitter l’indignation quotidienne d’une génération qui veut changer les choses en créant des podcasts fait de moi un apôtre de l’euthanasie. Mais depuis ma récente accession à la catégorie de ceux qui se baladent (les vieux, N.D.L.R.), la mort ne m’a jamais semblé aussi proche. Afin que mon existence ne se résume pas à une déclaration de revenus, j’ai entrepris comme mission de concevoir une forme d’espoir en la vie – par exemple, me résoudre à plier mes draps. Cette renaissance fut anéantie dès réception d’une « note vocale » – ou « texto vocal » – et me plongea dans une spirale de haine de mon prochain.

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Les notes vocales sont l’évolution des messages vocaux que vos parents vous laissent tous les dimanches soir depuis que vous leur avez extorqué un téléphone : « Coucou ma chérie, tu dois être occupée alors je te rappellerai plus tard ! » Ceux-là mêmes auxquels vous ne souhaitez jamais répondre, et ce pour deux raisons. La première est que c’est dimanche et vous ne voulez pas être emmerdé, la seconde est que ce sont vos parents et vous ne voulez pas être emmerdé. C’est dans l’espoir de connaître un jour cette paix que des générations entières ont livré bataille contre les messages vocaux de leurs géniteurs – et contre tous les messages vocaux en général. Mais voilà qu’aujourd’hui, certains jugent bon d’étaler par messages vocaux leur vie faite de triathlons et d’after party. On peut les voir errer et marmonner dans les rues, smartphone collé sur leur visage bouffi par la drogue et le manque de sommeil, leurs yeux cherchant une occupation, avant d’être renversé par un conducteur de trottinette électrique.

À l’approche d’une nouvelle décennie, il n’y a toujours rien de mieux qu’un texto. Déjà parce qu’il est déshumanisé. Si vous souhaitez prendre contact avec moi, je ne suis pas contraint d’entendre votre voix crisper mon corps, ni de sentir le souffle fétide de votre respiration traverser le combiné pour venir empester mon existence tel un podcast natif porno. Me contenter d’un message écrit me permet de prétendre que vous n’existez pas et ainsi conserver mon espace vital. C’est un sentiment fort agréable. Une note vocale est une intrusion qui me pousse à considérablement réduire mon cercle social. De cette déshumanisation découle un autre bienfait : le texto est compréhensible. « La langue française est ma patrie » disait Albert Camus, lequel n’a jamais dû écouter une note vocale entre deux aisselles de la ligne 9 du métro parisien. Affrontant cette situation de manière hebdomadaire, je suis systématiquement pris de spasmes, comme face à l’ordonnance de mon généraliste que seul un astrophysicien peut déchiffrer. Le flux de parole inaudible s’échappant de votre bouche, censé former des phrases qui bien souvent pourraient être résumées par un « Ok, ça me va », me donne envie de pulvériser mon téléphone à l’aide d’un revolver.

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Si je ne comprends rien à l’écoute de chaque note vocale que je reçois, c’est parce que ce procédé primitif permet de parler librement à tous ceux qui sont lassés de devoir réfléchir à la syntaxe d’un message ou ne trouvant plus aucun acronyme pour écourter les mots. Ils laissent leur esprit s’exprimer, ne prennent pas la peine de se réécouter et nous laissent nous démerder avec ça. Les concepts de hiérarchie des informations et d’utilité leur sont inexistants. Pour ces libres parleurs, tout ce qui traverse leur lobe frontal mérite d’être partagé de façon brute, et bien sûr écouté. Surtout, les adeptes des notes vocales ont pris leurs mauvaises habitudes d’illettrés avec eux, soit d’appuyer frénétiquement sur « Envoyer » tous les trois mots, créant des discussions ressemblant à ceci :

« Ouais donc comme je te disais
J’ai vu Kevin hier
Et du coup
Il m’a expliqué
que
C’était ok pour demain »

Ils font de même avec les notes vocales, les empilant ainsi dans nos téléphones sous forme d’épisodes, avant de pourquoi pas en faire un podcast. À chaque fois, il faut écouter le message vocal, puis le suivant, avant de comprendre que le seul geste cohérent dans cette histoire aurait été de bloquer ce contact. Voilà pourquoi cela donne des histoires n’ayant aucun sens, ne comportant aucune information capitale et possédant l’intensité d’un film réalisé par Guillaume Canet. De fait, vous nous faites perdre notre temps à vous écouter parler. Comme au travail, certaines questions ne nécessitent pas une réunion exceptionnelle mais davantage un simple mail.

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Maintenant, je vois déjà certains d’entre vous râler, prêt à rédiger un commentaire incendiaire, qui je pense devrait ressembler à « oui mais tu veux juste aller toujours plus vite, nous, on aime bien se parler pour de vrai ». Si vous vouliez vous parler, vous vous appelleriez comme vos ancêtres le font tous les dimanches. La technologie permet de s’appeler et même de se voir en gros plan avec une tête de cadre sup en surpoids qui ne voit jamais la lumière. En fait, la note vocale est encore une fois un outil pour faire le plus de choses en même temps sans trop réfléchir. Écrire un message ou construire une discussion avec un début, un milieu et une fin demande un peu de concentration. C’est déjà trop pour ceux qui écrivent des articles Medium tout en courant sur un tapis roulant lui-même connecté à un data center WeWork. Une note vocale laisse libre les membres, les yeux et sans doute une bonne partie du cerveau.

Les SMS et les messageries instantanées devaient rapprocher les gens tout en nous libérant de toutes pressions liées aux interactions sociales, nous permettre de garder le contrôle de nos vies en se laissant la possibilité de discuter en silence, ou de ne pas discuter du tout. Malheureusement, alors que l’humanité semblait enfin avoir trouvé son équilibre dans la solitude du message, les messageries instantanées ont évolué tel un virus pour créer une contrefaçon du lien social que nous avions mis tant de temps à détruire. Dommage.

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