Un match de motoball
Sport

On a assisté à un match de moto-ball à Troyes

Dans l’Aube, un petit club, le SUMA, suscite la ferveur des locaux. Aussi parce que son identité se construit en opposition de celle du club de foot voisin. On est allé lui rendre visite pour son premier match de la saison à la maison.

Depuis Gaston-Arboin, le Stade de l’Aube paraît si grand et si moderne. Pourtant ce n’est qu’un antre de 20 000 places, construit en 1924, du club de foot de la ville de Troyes : l’ESTAC. À l’ombre de celui-ci « l’Arboin » comme disent les anciens, une seule tribune, décrépite, le reste n’est que main courante. Au cœur de l’arène, un terrain de moto-ball. Sorte de football joué assis sur une moto, en cinq contre cinq, où seuls les gardiens de but bien que casqués en sont dispensés. Ce samedi, le SUMA (Sporting Union Motocycliste de l’Aube, N.D.L.R.) reçoit le Moto-Ball Club Camaret pour la deuxième journée du championnat de France. Plus de 1 500 personnes sont attendues. Avant cette affiche, les dirigeants du SUMA nous expliquent pourquoi le moto-ball redevient populaire dans la région.

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La salle des trophées du club aubois déborde de ferraille. « Et encore, on a été obligé d’en enlever la moitié », ricane Yvan George patron de PME et coprésident du SUMA. L’homme de 47 ans a été emmené au stade par son père et connaît les recoins de l’histoire du club qui fête ses 80 ans cette année. « Le SUMA a été créé en 1939 par une bande de potes, et c’est devenu l’activité favorite des mécanos, des agriculteurs, et des ouvriers d’ici. » Le club a remporté seize titres de champions de France, mais le dernier date de 1999. Face au foot, au rugby, ou au handball le moto-ball s’enraye et perd des adeptes au début des années 2000. Yvan George et Michel Dufau sont arrivés à la tête du club il y a trois ans pour « changer ça ». Pour ce faire, ils sont allés chercher Roman Detsina en Russie, là où le moto-ball est quelque chose de sérieux. « Depuis qu’on l’a, on est passé de jouer la relégation à jouer le titre, c’est quelque chose sur sa bécane, c’est aussi pour lui que les gens viennent », assure George.

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À Troyes, devenu le premier motoballeur salarié de France - il touche un SMIC mensuel - le Russe de 25 ans vit sa meilleure vie. « En Russie c’est du boulot, on s’entraîne deux fois par jour tous les jours. En France, avec deux entraînements par semaine, c’est plus tranquille. Et les supporters m’aiment bien, quand je vais au Aldi on me demande des autographes, des selfies. » Pour Michel Dufau, 72 ans, coprésident du SUMA et chef d’entreprise de la région, les gens viennent ici aussi parce qu’ils se « reconnaissent de moins en moins dans l’ESTAC ». « Le football est de plus en plus aseptisé, à l’Arboin c’est ambiance Kermesse du Nord, bière merguez, et spectacle. Et dans la tribune le chômeur ou l’ouvrier est assis à côté du chef d’entreprise et peuvent trinquer ensemble. Ce qui est devenu impossible là-bas », peste-t-il en pointant du doigt le Stade de l’Aube. Où l’affluence en Ligue 2 des Troyens a chuté ces dernières années – passant de 10 029 spectateurs en moyenne en 2013-2014 à 6 699 cette saison (exercice en cours). Entre-temps, quelques-uns sont passés du grand au petit stade. Et les entreprises locales suivent. « Une centaine nous soutient désormais », conclut Dufau.

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« Je voulais savoir si tu venais, je pensais que tu étais mort ! » La boutade doit être hebdomadaire, elle fait rire toute la tribune d’honneur de l’Arboin. Elle est bien sentie. Dans les travées, des cheveux gris, des doigts écourtés à l’usine, et quelques peaux rosies par les bonnes liqueurs. La plupart connaissent le moto-ball depuis plus d’un demi-siècle. Comme Geneviève et Jean, couple de septuagénaires. « Y’a pas de sport avec plus d’actions ! », clament-ils en choeur. Sur le terrain goudronné, les motos commencent à vrombir, le match commence. La partie est accrochée. Les joueurs glissent d’un but à l’autre avec leurs motos et cette sphère d’au moins trois fois la taille d’une balle de foot standard. La foule gueule à chaque fois que l’arbitre ne siffle pas en faveur du SUMA, à raison ou non. C’est ce qui plaît à Sébastien Mayeur, 27 ans, capitaine du club, qui a signé sa seizième licence cette année. « C’est convivial, si tu compares, le foot, c’est devenu du théâtre, tu viens, tu regardes, tu pars ! Au moto-ball les supporters sont aussi des acteurs », expliquait le commercial avant d’entrer sur le pré. Son coéquipier Julien Lenoir opine, magasinier dans l’entreprise familiale, « [s]on moto-ball » est guidé par la passion. « On joue tous gratuitement à part Roman (Detsina), et ça nous intéresserait pas d’être payés, c’est un plaisir ce jeu, on veut gagner des titres et rendre fiers nos gens, c’est surtout ça. »

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Derrière le but du SUMA, le long de la main courante un vieil homme est venu avec sa poule pour admirer le spectacle. Il ne pipe mot. « C’est notre mascotte ! rit Gérard un retraité, avant de s’étendre sur son amour du jeu. Moi je viens depuis tout petit. C’est l’activité autour, les petits gars sur le terrain ils sont de chez nous, c’est ce côté unique que j’aime dans ce sport. » À ses côtés Victor, retraité aussi, a failli ne pas venir. « Moi je suis gilet jaune, je devais aller à Strasbourg pour la manif, mais ce n’est pas grave j’irai le 1er mai, des matchs de moto-ball y’en pas tant que ça. » En effet, quatorze journées de championnat, et sept occasions seulement de soutenir les leurs à la maison. Sur le terrain, Mayeur, s’est écroulé après avoir reçu le ballon en pleine tête. Il est remplacé, et dans la foulée le SUMA marque. Embrassade générale. Les gaz sont lâchés.

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Adorer le SUMA pour beaucoup c’est aussi dire « non » à un monde qui n’est plus le leur. Et que l’ESTAC, avec zéro Aubois dans son effectif pro actuel, représente bien. Au vu de leurs popularités respectives, on suggère que d’ici quelques années les deux clubs pourraient échanger leurs stades. Michel Dufau corrige : « Jamais ! Le moto-ball reste un petit sport rural, et c’est ce qui fait sa force, on va juste moderniser la tribune, on essaie des choses, mais à très petites doses. » Sous son impulsion le club s’est doté d’équipes juniors, et va recruter dans les campagnes avoisinantes, à coup d’exhibitions et de coups de gaz signés Detsina. 280 euros la licence derrière casques et motos sont fournies. « C’est le sport de tous ! », martèle Dufau. Des féminines ? « On verra… », dit-il. Et il rappelle qu’il en a vu de toutes les couleurs, du vert surtout, que les écolos lui ont fait la guerre pour freiner cette « activité qui gaspille. » « C’est moins facile de quantifier le bonheur des gens », répond-il en souriant. À l’Arboin, l’entrée est à huit euros. Un bonheur simple donc. Sur le terrain, les gamins qui tapaient le ballon font place aux motos pour l’ultime quart-temps du match. Égalisation de Camaret à six minutes du terme. On entend plus que la bruine, ce, jusqu’à la dernière seconde, où l’Arboin explose. Le SUMA marque. 2-1. Sur les visages quittant le vieux stade : des sourires. Bonheur de qualité.

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