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Cynthia. 2018. Toutes les photos sont de Alexis Ruiseco-Lombera
Société

L'étonnante diversité de la communauté queer de Cuba

Lexis Ruiseco-Lombera s’est donné pour mission de ne pas laisser sa communauté sombrer dans l’oubli grâce à une série de portraits.

Né à Cuba et actuellement basé à Brooklyn, Alexis Ruiseco-Lombera a dédié son œuvre à la communauté LGBTQ de son île natale. Son travail, qui mêle performance, photographie et écriture, illustre ses expériences en tant qu’artiste non-binaire. Cinquante ans après les émeutes de Stonewall, il garde en tête l’héritage de Marsha P. Johnson et Sylvia Riviera, un héritage qu’il juge trop longtemps oublié. Il s’est donné pour mission de ne pas laisser sa propre communauté tomber dans l’oubli en créant des archives de l’histoire et la culture cubaines, à l’instar de cette série, Añoranza : Portraits of Trans and Queer Cuba.

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Ces photos, issues d’une collaboration avec Rafael Suri-Gonzalez, chercheur, activiste et ami de Ruiseco-Lombera, décédé récemment, ont été prises dans les provinces cubaines de Villa Clara et Mayabeque. Nous avons discuté avec Ruiseco-Lombera au sujet de cette série et des raisons qui le poussent à documenter l'histoire de sa communauté.

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Freddy et Carlos. 2018.

VICE : Qu'est-ce qui vous a motivés, Rafael et vous, à commencer cette série ?
Alexis Ruiseco-Lombera : Je voudrais tout d'abord prendre un moment pour rendre hommage à mon ami et collègue Rafael Suri-Gonzalez, décédé plus tôt cette année. Nous avons beaucoup collaboré au cours de ces trois dernières années. Notre motivation est venue d'un désir profond de documenter et d'archiver l'image de notre communauté trans et queer, en particulier en dehors de la capitale. À Cuba, la communauté a connu une rapide transformation au cours des douze dernières années, de même que la politique. L'histoire évolue à un rythme rapide et il est impératif d’immortaliser cette évolution.

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Thalia. 2018.

Quel rôle a joué le traitement historique réservé à la communauté LGBTQIA+ de Cuba dans votre décision de créer cette série ?
L'histoire de l'homophobie et de la transphobie officielles et populaires sous la Révolution rend difficile et souvent dangereuse l'appellation publique du genre et de l'identité sexuelle, et ce, jusqu’à aujourd’hui. 14ymedio a récemment rapporté que la Seguridad del Estado [l’organisme de sécurité publique, ndlr] a arrêté près de 300 militants, citoyens et alliés marchant indépendamment de l'État, lors des XIIe Jornadas Contra la Homofobia y Transfobia in La Habana [les 12e journées annuelles contre l'homophobie et la transphobie à La Havane, ndlr]. Au moins sept activistes ont subi des violences policières. Parmi eux se trouvaient Iliana Hernández, Oscar Casanella, Ariel Ruiz Urquiola and Boris González Arenas. Ils ont tous été libérés dans les 24 heures. Ce type de confrontations reflète le manque de sensibilisation publique à la transphobie et à l'homophobie institutionnalisées. Mon travail vise à répondre à la marginalisation actuelle des communautés trans et queer.

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Alaska De Conde. 2017.

Qu’est-ce que cela signifie, pour un Cubain trans et queer qui vit sur l’île aujourd’hui, de prendre la parole pour dire « Je suis là » ? Pourquoi est-ce nécessaire ?
Cuba est en train de restructurer inéluctablement les frontières pour nous effacer, pour nous faire taire, pour surveiller nos comportements et, à terme, nous persécuter. Se montrer ouvert d’esprit, c’est une invitation tacite à la douleur, à la lutte et à l'adversité. C’est pour cela que les Cubains trans et queer doivent prendre suffisamment d’espace pour ne pas disparaître en silence. Au cours de ce rassemblement sans précédent pour célébrer les XII Jornadas, 300 militants, citoyens et alliés ont défilé et donné de la voix. Ils ont chanté « CUBA DIVERSA ! CUBA DIVERSA ! », ce qui était leur façon de dire « Je suis là ».

Pouvez-vous nous parler de votre processus ? Comment avez-vous choisi vos sujets ; les connaissiez-vous avant ?
Les rencontres ont été facilitées par Rafael à Placetas et par ma tante Aida, qui est ouvertement lesbienne, dans ma ville natale de Güines. J’ai passé du temps dans ces deux endroits avec ma famille et j’y ai rencontré des personnes queer et trans. Parfois, nous allions dîner ou prendre un café. J’aime instaurer une confiance et une intimité avant de prendre quelqu’un en photo. Je demande à chaque personne comment elle veut être photographiée, afin qu’elle ait la liberté de se présenter de la manière qu'elle le souhaite.

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La China. 2017.

En quoi le fait que vous viviez à Brooklyn, plutôt qu'à Cuba, influe-t-il sur votre approche de cette série ?
Je dois faire attention à ne pas confondre la politique trans et queer qui prospère ici [à New York] avec celle qui se développe sur l'île. J'aborde les archives avec une réelle réceptivité et je suis attentif aux histoires et aux paysages locaux. Je me vois comme le gardien de cette œuvre – je n’en revendique pas la paternité ou la propriété. En tant que Cubain qui s'est séparé de sa patrie, mon objectif double : il n'existe pas ici ou là. Je me dis que les choses auraient été différentes si je n’étais pas parti en 1995, et que je vivrais sans doute toujours dans la campagne cubaine aujourd’hui.

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Osmin. 2018.

Vous espérez que cette série servira, en partie, à archiver l'histoire des homosexuels et à accroître leur visibilité à Cuba. Avez-vous trouvé d'autres personnes qui s'efforcent d'élever la communauté de la même manière ?
En naviguant à travers Miami, New York et Cuba, je n'ai rencontré que quelques producteurs culturels trans et queer cubains, et la plupart d'entre eux n'abordent pas le récit qui se développe à Cuba. J'espère que ma production transculturelle continuera de se recouper avec les efforts des activistes qui risquent leur sécurité pour faire leur travail.

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Malu. 2018.

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