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Comment une famille de réfugiés syriens a importé sa science du cacao au Texas

« On est venu ici pour être en sécurité et construire une nouvelle vie. Or, la seule chose que l’on sait faire, c’est du chocolat. »
Chocolat Syrie Texas
Toutes les photos sont de l'auteur

En juillet dernier, une caravane de Porsche, de Ferrari et de Lamborghini s’était retrouvée autour d’un petit centre commercial, dans les environs de Houston, Texas. Alors que le soleil commençait à se coucher, les rutilants engins avaient été rejoints sur le parking par une cohorte de danseurs qui s'étaient alors lancés dans des chorégraphies de combats à l’épée pour le plus grand plaisir de la foule qui les observait.

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Plus de 300 personnes étaient venues de tout l'État, ainsi que d’autres villes plus éloignées, de New York, de Californie, ou même d'Oklahoma. Elles étaient réunies pour une seule et unique raison : le chocolat. Si tous ces tambours et trompettes peuvent paraître un poil excessifs pour un confiseur, sachez qu’après de longues années de lutte, c’était la moindre des choses pour célébrer la réouverture de ChocolatZeina.

L’histoire de l'entreprise commence à Damas, en Syrie. C’est là que Bashar Slik décide d'installer son atelier dans lequel il prépare les chocolats qui vont bientôt faire sa réputation. Mais en 2014, les États-Unis bombardent Raqqa. Le régime de Bashar al-Assad oblige tous les hommes de plus de 18 à rejoindre l’armée. Quiconque essaye d’échapper à cette « conscription » se retrouve soit enrôlé de force, soit dans les prisons du régime.

« On est venu ici pour être en sécurité, construire une nouvelle vie. Et la seule chose que l’on sait faire, c’est du chocolat. »

Craignant d’avoir à choisir entre ces deux options, Bashar Slik abandonne l’atelier dans lequel il a travaillé pendant plusieurs décennies et embarque pour un aller simple vers les États-Unis avec son fils Mohammed et sa femme Raida, espérant y trouver asile.

« Beaucoup de mes amis ont été enrôlés. Je suis le seul garçon de la famille, donc mes parents ont voulu fuir », se souvient Mohammed, aujourd’hui âgé de 25 ans. La famille Slik s’est installée à Houston, où vivaient déjà quelques amis et d’autres membres de leur famille. « On est venu ici pour être en sécurité, construire une nouvelle vie. Et la seule chose que l’on sait faire, c’est du chocolat. »

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Depuis que la guerre civile a éclaté en Syrie, en 2011, le bilan humain est dramatique. En plus des très nombreuses victimes civiles, les médias ont aussi relayé la détresse de plus de 4,8 millions de réfugiés qui ont dû quitter leur foyer pour essayer de se mettre en lieu sûr.

Famille Réfugiés Syrien Chocolat

Les descriptions de violences épouvantables éclipsent tout ce qui a pu précéder. On oublie facilement qu’un jour pas si lointain, Damas était une ville d’une beauté spectaculaire, parcourue par des rues qui avaient connu plus de 2 500 ans d’histoire, parsemée de souks où l’on trouvait des pétales de rose au parfum enivrant, des noix noires, des abricots, des kakis, des figues et des pommes de la taille du poing d’un bébé.

Ali, les falafels et l'exil

Parmi toutes les merveilles qui ont été perdues ou obscurcies par ce conflit, on peut souligner notamment une longue et délicieuse tradition de confiserie. En 2005, le New York Times écrivait : « Même dans une région célèbre pour ses douceurs sucrées, les confiseurs de Damas n’ont pas leur pareil, et arriver quelque part sans une petite boîte de bonbons traditionnels serait un crime contre l’hospitalité. »

Les bonbons syriens, jadis si appréciés à travers le monde, constituaient plus de 60 millions de dollars d’exportation en 2010. Pendant le mois qui suit le Ramadan, une famille syrienne consomme en moyenne près de 6 kg de friandises aussi sucrées que du knafeh ou de délicieux bitlawa.

L’histoire qui lie la famille Slik au business du chocolat remonte à 1892, lorsque Naseeb Slik commence à travailler des pièces de cacao dur.

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Ces dernières années, plusieurs des maîtres confiseurs les plus reconnus du pays ont été contraints de poursuivre leur travail en exil, aux quatre coins du monde. Assam Hadhad a fondé Peace for Chocolate en Nouvelle-Écosse, au Canada, et le défunt chocolatier Bassam Ghraoui a délocalisé l’entreprise qui porte son nom à Budapest, en Hongrie. La famille Slik espérait pouvoir prolonger leur tradition au Texas.

Si dans ce nouveau pays, ils doivent encore travailler pour se faire un nom, l’histoire qui lie les Slik au business du chocolat remonte à 1892, lorsque Naseeb Slik a commencé à travailler des pièces de cacao dur. Son jeune frère Jawdat fondait la société Slik Chocolate en 1918, et depuis, l’affaire familiale n’a cessé de grandir.

Sous la direction des quatre fils de Jawdat, elle a même fini par avoir sept branches en Syrie et deux autres en Jordanie. Leur usine s’étalait sur deux étages, et elle était connue pour la qualité de ses produits, des truffes au chocolat noir fourrées à la pâte de pistache, des dattes Medjool trempées dans un bain de chocolat et fourrées aux amandes grillées.

Bashar n’avait que sept ans lorsqu’il a commencé à apprendre les rudiments du business aux côtés de son père. Il connaît par cœur un grand nombre des recettes de la famille et il en a ajouté quelques-unes de sa création au fil des années, comme cette adaptation du loukoum servi avec du fromage blanc et du sucre en poudre.

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Mohammed passe plusieurs minutes à réaliser, en mélangeant trois chocolats noir, au lait et blanc à l’aide d’un cure-dent, un dessin qu'il me tend.

Mohammed, qui gérait tout seul l’un des magasins dès l’âge de 15 ans, se souvient avoir rencontré des clients venant de loin spécialement pour goûter cette merveille, bien trop fragile pour être expédiée. Aujourd’hui, l’histoire de Slik Chocolate se poursuit encore en Syrie, mais les affaires sont dures au pays.

« Les frères de mon père sont toujours là-bas, mais leurs enfants ont quitté la ville. Il ne reste que les anciens », explique Mohammed. « Ils ne peuvent pas abandonner leur maison. Certains n’ont même pas de visa pour partir à l’étranger. » Dernièrement, les choses se sont légèrement améliorées. Les frères de Bashar ont pu rouvrir l’usine et se sont mis à produire des confiseries dont beaucoup sont vendues aux États-Unis.

La boutique ChocolatZeina de Houston voit passer de nombreux clients, et rares sont ceux qui repartent sans avoir goûté un peu de tout. Je me suis moi-même retrouvée, sans m’en rendre compte, avec un bout de chocolat noir parsemé d’éclats de grains de café entre les mains.

Mohammed insiste pour que je goûte aussi une crêpe faite à partir d’une pâte que Raida prépare quotidiennement. Il distribue du chocolat liquide, noir, au lait et blanc, qui sort des trois fontaines que l’on trouve à l’entrée du magasin, et passe plusieurs minutes à réaliser, en mélangeant les trois chocolats à l’aide d’un cure-dent, un dessin qu'il me tend.

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Chocolate Crepe

« Avec lui, tout doit être parfait », souligne Mary, une Texane blonde qui arbore des lunettes à monture rose et un sourire chaleureux. Elle et Mohammed se sont mariés récemment, et elle est fière de pouvoir apporter son aide à l’affaire familiale. Elle consacre une partie de son temps libre à apprendre l’arabe, et le couple espère pouvoir partir en vacances au Liban dans quelque temps. Ils aimeraient beaucoup se rendre en Syrie, mais la situation est encore trop instable.

Un parfum de cacao, d’abricot sucré et de noix caramélisées flotte dans le magasin, parfois recouvert par celui des loukoums, qui rappelle les bons souvenirs, comme les mauvais, d’un pays si lointain.

Aujourd’hui, la communauté immigrée de Houston reste une source de soutien pour la famille. Les prix ont beaucoup augmenté sous l’actuelle municipalité, mais pendant des années, un coût de la vie abordable et un marché de l’emploi très dynamique ont fait de cette ville l’une des premières destinations pour les réfugiés aux États-Unis.

On y trouve donc une diaspora syrienne conséquente, et la population est également très accueillante. Plus d’une dizaine de clients réguliers, dont beaucoup d’étudiants arabes, passent tous les jours au magasin pour savourer un latte et profiter du wifi. « Ils viennent chez nous comme on va au Starbucks », raconte Mohammed. Et on comprend pourquoi il est si facile de passer tout un après-midi dans cet environnement aux couleurs café et turquoise.

La nièce et le neveu de Mohammed viennent régulièrement après l’école pour aider, et l’ambiance s’emplit d’un joyeux mélange de sonorités anglo-arabes. Un parfum de cacao, d’abricot sucré et de noix caramélisées flotte dans le magasin, parfois momentanément recouvert par celui des loukoums, qui rappelle les bons souvenirs, comme les mauvais, d’un pays si lointain.


Cet article a été préalablement publié sur MUNCHIES US

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