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FRANCE

On peut désormais éclairer un village avec du fromage

Neuf coopératives de producteurs laitiers ont décidé de s’allier pour construire une usine unique en France : elle produit de l’électricité à partir de la fabrication d’un fameux fromage savoyard. Un exemple du développement du biogaz dans le pays.
Image via Wikimedia Commons / Florian Pépellin

Depuis quelques mois, non loin d'Albertville, une grande sphère blanche s'est imposée au milieu des montagnes savoyardes. À l'intérieur de cette enceinte fermée, appelée « digesteur », des micro-organismes sont en plein travail. À partir d'un liquide, le « petit-lait » résultant de la fabrication du fromage Beaufort, ces micro-organismes génèrent du biogaz qui va pouvoir être utilisé pour produire de l'électricité.

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« On est capables d'alimenter une ville de 1 500 habitants », déclare fièrement Yvon Bochet, éleveur de vaches en Savoie (sud-est de la France) et président de l'Union des producteurs de Beaufort. Il nous explique que désormais l'entreprise produit autant d'électricité qu'elle en consomme.

Produire de l'électricité grâce à la fabrication du fromage typique de cette région, voilà le projet mené à bien par Yvon Bochet après plus de cinq ans de travail. Inaugurée début octobre, la bien nommée usine « Savoie lactée » d'Albertville fonctionne en conditions normales d'exploitation depuis environ un mois.

Le processus utilisé est appelé « méthanisation », et s'apparente à une fermentation. Des micro-organismes nommés archées découpent en minuscules morceaux la matière organique qu'on leur fournit — ici, le petit-lait du Beaufort, un résidu liquide issu de la confection du fromage. Ces micro-organismes, qui se développent dans un milieu sans oxygène, dégagent alors du biogaz, un gaz composé de méthane et de gaz carbonique (CO2). Ce gaz est ensuite épuré et envoyé sur de gros moteurs. Ces moteurs vont eux-mêmes entraîner une génératrice qui va produire de l'électricité ensuite revendue à EDF.

La méthanisation peut en réalité être faite à partir de toute matière organique, mis à part le bois — avec, certes, plus ou moins d'efficacité. Le petit-lait, au préalable vidé de ses graisses et de ses protéines, n'a besoin que de quatre jours en moyenne pour être « digéré », mais le processus peut mettre jusqu'à 40 jours pour des matières moins homogènes.

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« La méthanisation est un procédé qui existe depuis la nuit des temps », nous explique Marc Schlienger, délégué général du Club Biogaz, qui regroupe les professionnels de la filière au sein de l'ATEE (Association technique énergie environnement).

« À New Delhi en Inde, des gens plantent des tubes sur les décharges pour en récupérer le gaz », poursuit Schlienger. « En Chine, ou en Afrique, où le développement bactériologique est plus rapide grâce à la chaleur, les agriculteurs font des trous dans lesquels ils mettent leurs déchets, et récupèrent ensuite le gaz pour leur cuisine. »

Le biogaz produit en France, s'il est épuré, peut également être injecté directement dans le réseau de gaz, au lieu d'être utilisé pour produire de l'électricité. Cette solution avait aussi été envisagée par l'usine savoyarde, mais finalement écartée car jugée moins rentable.

100 000 litres de petit-lait par jour

À l'origine du projet de l'usine Savoie lactée, se trouve surtout la volonté des éleveurs de valoriser au maximum leur produit de base : le lait. Pour un kilo de Beaufort on obtient neuf kilos de petit-lait — ou lactosérum de son nom scientifique.

« Jusqu'à présent, on vendait le petit-lait à un grand groupe qui en assurait le traitement près de Verdun, mais les transports coûtaient plus cher que la valeur du produit », explique l'éleveur Yvon Bochet. C'est pour éviter ces pertes que le projet d'usine nait dans la tête des producteurs de Beaufort. Ils s'adressent alors à l'entreprise française Valbio, spécialisée dans la conception de projets de valorisation de ce qu'on appelle les « sous-produits » — c'est-à-dire les restes.

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Aujourd'hui, environ 100 000 litres de petit-lait en provenance de neuf coopératives différentes sont traités par jour dans l'usine. La matière grasse du petit-lait en est d'abord prélevée — à partir de laquelle l'usine fabrique du beurre — puis les protéines, à partir desquelles est fabriquée une poudre qui peut notamment être utilisée dans les boissons énergétiques. Reste un liquide vert, principalement de l'eau sucrée. C'est ce liquide qui est ensuite injecté en flux constant dans la cuve où se trouvent les micro-organismes.

À la sortie de cette grande sphère blanche, donc : du biogaz utilisé pour produire de l'électricité, une benne de boue par mois, réutilisée pour fertiliser les champs, et de l'eau claire pratiquement pure, rejetée dans la rivière d'à côté. Aucun rejet n'est dangereux pour l'environnement, 100 pour cent du lait a été utilisé.

L'usine, unique en son genre, a coûté 13 millions d'euros et devrait être rentabilisée dans environ sept ans. Sur les dix emplois créés par l'usine, deux ne sont dédiés qu'au suivi du processus de méthanisation.

Méthanisation à la ferme

« En France, entre 400 et 500 unités de méthanisation existent actuellement », nous explique Marc Cheverry, chef du service de mobilisation et valorisation des déchets à l'ADEME (Agence de l'environnement et de la maîtrise d'énergie). « 200 à 300 nouveaux projets, dont nous avons aidé le financement depuis 2012, devraient voir le jour dans les mois à venir. »

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Un peu moins d'une centaine d'installations concernent, comme le cas de l'usine savoyarde, les industries agroalimentaires : producteurs de soupes instantanées, confituriers… Les restes issus de la fabrication de ces produits sont ainsi mis à profit.

Mais ce qu'on appelle la « méthanisation à la ferme » est, depuis environ cinq ans, aussi en développement. Le lisier des élevages (excréments des animaux) stocké pendant toute une partie de l'année par les agriculteurs avant d'être épandu dans les champs, rejette naturellement beaucoup de gaz à effet de serre, dont du méthane. La méthanisation permet de capter ce gaz pour le transformer en énergie et, autre avantage non négligeable, d'en réduire considérablement les odeurs.

Enfin, cette technique est aussi utilisée par une petite centaine de stations d'épuration des eaux usées (STEP) qui traitent leurs boues de cette manière, et par une dizaine d'installations de traitement d'ordures ménagères de collectivités locales.

Une filière en phase d'apprentissage

Fin novembre 2015, une étude commandée par les acteurs de la filière du biogaz et réalisée sur 54 sites — principalement agricoles — ayant recours à la méthanisation, établissait que plus de la moitié d'entre eux dégageaient une rentabilité inférieure à celle prévue.

24 sites ont rencontré des pannes et dysfonctionnements dans le procédé de méthanisation. La plupart étaient le fait d'un matériel inadapté à la matière organique injectée dans le digesteur.

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« En France nos processus sont moins standardisés qu'en Allemagne, où on sème du maïs uniquement pour produire du biogaz », explique Schlienger. « Ici, on s'interdit de dévier les cultures alimentaires, on procède simplement à la valorisation des "restes". De ce fait, tout dépend de ce que fait l'agriculteur et donc les coûts d'études sont plus élevés. »

En mars dernier, le premier comité national du biogaz a été réuni pour la première fois par la ministre de l'Environnement Ségolène Royal, à la demande des acteurs de la filière, qui ressentaient le besoin d'échanger sur leurs expériences et les problèmes rencontrés.

Des simplifications réglementaires ont depuis été mises en oeuvre, avec notamment une procédure d'autorisation unique qui comprendra à la fois les demandes de permis de construire, de raccordement ou encore de suivi. Les tarifs de rachat de l'électricité issue du biogaz devraient également être revus à la hausse, et ce pour une durée qui devrait être allongée à 20 ans.

L'objectif de 1500 nouveaux projets entre 2014 et 2017 a été fixé par le gouvernement.

En Savoie, Yvon Bochet doute que ce type de procédé puisse se développer massivement dans un avenir immédiat, à cause des capacités d'investissements et de la complexité de la mise en oeuvre.

Il en est conscient, le succès ou l'échec de l'usine des producteurs de Beaufort servira d'exemple : « Beaucoup de monde nous regarde, notamment les grands groupes laitiers », affirme Bochet. « On est un peu le poil à gratter de la filière, donc certains espèrent qu'on va se casser la figure. » Pour le moment, tout se passe comme prévu - les résultats obtenus ont même dépassé les prévisions.

Suivez Lucie Aubourg sur Twitter : @LucieAbrg

Image via Wikimedia Commons / Florian Pépellin