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FRANCE

Euthanasie : Sur son lit, Vincent Lambert attend toujours une véritable décision

La Cour européenne des droits de l’homme vient de décider que la France a le droit de laisser mourir Vincent Lambert, un tétraplégique complètement immobile depuis 2008. Mais ça ne veut pas dire que les médecins vont pouvoir le laisser mourir pour...
Image via Flickr / Roco Julie

La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a rendu, ce mercredi, son arrêt dans l'affaire Vincent Lambert, devenu un cas symbolique du débat autour de la fin de vie. Des médecins et proches souhaitent arrêter d'alimenter et d'hydrater cet homme de 38 ans, tétraplégique et immobile depuis près de 7 ans. D'autres membres de sa famille veulent le maintenir en vie. Le Conseil d'État — la plus haute juridiction administrative française — avait approuvé cette décision de ne plus l'alimenter. Ce mercredi, à 11 heures, la CEDH a donc confirmé la décision du Conseil d'État et affirmé qu'il n'y a pas de violation de la Convention européenne des droits de l'homme. La CEDH autorise donc la France à laisser mourir Vincent Lambert, sans l'ordonner pour autant. Ce dernier n'est vraisemblablement pas près de mourir, car un nouveau chapitre de la bataille judiciaire s'annonce entre ceux qui veulent le laisser partir et ceux qui veulent le maintenir en vie. Reste que la décision rendue par l'Europe aura une incidence sur la question de la fin de vie.

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Comité de soutien aux parents de Vincent — Delphine Gotchaux (@delphgotchaux)June 5, 2015

C'est la première fois que la CEDH, l'organe judiciaire du Conseil de l'Europe chargé de veiller sur les droits de l'homme, se prononce sur la fin de vie. Dans un communiqué qui accompagne son arrêt, elle indique que la majorité des juges estiment que la loi française en matière de fin de vie est conforme aux droits de l'homme et que le « processus décisionnel » qui a mené à l'arrêt de l'alimentation de Vincent Lambert a été « mené d'une façon méticuleuse. »

Cette décision de la CEDH peut avoir des conséquences dans les 47 États du Conseil de l'Europe, car elle crée une jurisprudence dont devront tenir compte ces pays dès qu'ils feront des lois ou prendront des décisions de justice concernant la fin de vie. « Dès qu'un État souhaitera modifier sa législation sur ce sujet, il devra examiner les principes solennellement posés dans cet arrêt, » estime le juriste Nicolas Hervieu dans le journal Le Monde.

La décision de la CEDH n'arrête pas pour autant la bataille judiciaire que se livrent, depuis deux ans, ceux qui veulent laisser mourir Vincent Lambert (sa femme Rachel, un frère, une s?"ur, trois demi-frères, une demi-s?"ur et un neveu) et ceux qui veulent le maintenir en vie (ses parents, une s?"ur et un demi-frère). Avant la publication de la décision, la mère avait déclaré sur la radio France Info qu'elle continuerait à se battre sur le plan juridique pour garder son fils en vie. Sa femme a aussi déclaré qu'elle se battrait pour le laisser mourir.

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— Philippe Lemoine (@PhLemoine)June 5, 2015

Maintenant que cette décision est rendue, l'équipe médicale qui gère le cas de Vincent Lambert doit à nouveau se réunir si elle veut décider d'un arrêt d'alimentation. Les parents du patient pourraient de nouveau saisir un tribunal français si une telle décision était prise par l'équipe médicale.

À lire : « Je ne veux pas m'exiler pour mourir »

Le 29 septembre 2008, Vincent Lambert est victime d'un accident de voiture alors qu'il se rend au travail. Depuis ce jour, cet infirmier en psychiatrie est plongé dans un état dit de « conscience minimale plus ». Atteint par des lésions cérébrales irréversibles, il est tétraplégique et n'a aucun espoir de guérison, selon des médecins mandatés par le Conseil d'État. Vincent Lambert ne peut bouger que les yeux, ne peut pas communiquer et ne peut vivre qu'en étant alimenté artificiellement. Il peut sentir la douleur mais personne ne sait s'il comprend ce qu'on lui dit ou s'il pense.

Début 2013, alors que Vincent Lambert est toujours cloué dans un lit du service de soins palliatifs du CHU de Reims, l'équipe médicale pense détecter chez lui des comportements d'opposition pendant les soins. L'équipe, dirigée par le docteur Eric Kariger, suspecte un refus de vivre chez le patient et engage une réflexion collégiale, conformément à la loi. Elle décide d'arrêter la nutrition artificielle de Vincent Lambert. Seule l'épouse du patient, Rachel, est informée et donne son accord pour l'arrêt des traitements.

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Le 10 avril 2013, l'alimentation artificielle de Vincent Lambert est coupée. 17 jours plus tard, ses parents apprennent la nouvelle et, alors que leur fils est encore en vie, ils saisissent le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne. Le 11 mai 2013, le tribunal ordonne le rétablissement de l'alimentation de Vincent Lambert, car ses parents n'ont pas été suffisamment informés de la procédure. Depuis, les recours et appels de décision de justice ont rythmé l'opposition entre les différentes parties qui s'affrontent autour du cas de Vincent.

La scène se répète en janvier 2014 : l'équipe médicale décide collégialement d'arrêter l'alimentation artificielle et le même tribunal revient sur cette décision, estimant que le docteur Kariger « a apprécié de manière erronée la volonté de Vincent Lambert en estimant qu'il souhaiterait opposer un refus à tout traitement le maintenant en vie ».

Dans la foulée, le CHU et Rachel saisissent le Conseil d'État pour casser la décision du tribunal. Le 24 juin 2014, le Conseil d'État donne raison à l'équipe médicale : aux yeux de la justice française, l'arrêt de l'alimentation de Vincent Lambert est légal.

Les parents de Vincent Lambert, ainsi qu'une de ses s?"urs et un demi-frère, décident alors de saisir la CEDH, leur dernier recours juridique. La CEDH, qui siège à Strasbourg, n'est pas un organe de l'Union européenne mais du Conseil de l'Europe, composé des 47 pays qui ont signé en 1950 la Convention européenne des droits de l'homme. La CEDH a pour rôle de faire respecter cette Convention. Tout citoyen des 47 pays peut saisir la CEDH, mais ses décisions ne peuvent pas contraindre un pays à changer sa législation. Elles ne peuvent que constater un manquement aux droits institués par la Convention.

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Les parents, la s?"ur et le demi-frère de Vincent Lambert ont saisi la CEDH pour qu'elle se prononce sur la décision de Conseil d'État d'autoriser l'arrêt de l'alimentation du patient. Selon eux, le Conseil d'État est allé à l'encontre de l'article 2 de la Convention européenne des droits de l'homme, relatif au « droit à la vie ». En attendant de rendre décision, la CEDH avait ordonné l'alimentation artificielle de Vincent Lambert.

En France, les questions d'euthanasie et d'arrêt de traitement sont encadrées par loi dite « Leonetti ». Cette loi interdit « l'obstination déraisonnable » du corps médical à l'égard d'un patient et la « prolongation artificielle de [sa] vie ». Même si le patient ne peut exprimer sa volonté, le médecin peut choisir de cesser son traitement et de lui administrer des soins palliatifs — qui soulagent les symptômes du patient — mais à trois conditions : la décision doit être collégiale, une « personne de confiance » du patient (membre de la famille ou, à défaut, d'autres proches) doit être consultée puis informée de la décision. La volonté du patient doit être respectée, notamment si celui-ci a donné des « directives anticipées », c'est-à-dire sa volonté d'être maintenu ou non en vie au cas où il serait incapable de l'exprimer le moment venu.

Comme le rappelle un rapport parlementaire, le ministère de la Santé estime à 1 500 le nombre de personnes en France qui sont en état de « conscience minimale plus », donc dans des cas semblables à celui de Vincent Lambert.

À lire : Fin de vie : la « sédation profonde » est-elle une euthanasie déguisée ?

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Image via Flickr / Roco Julie