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Culture

Le polar qui raconte un Belleville sous les radars

Dans « Belleville city », en librairie ce 17 avril, Yannis Tsikalakis offre au lecteur une plongée dans ce quartier populaire du 20e arrondissement. Un récit acide sur fond de gentrification express.
Yannis Tsikalakis Belleville Polar
©Claude Gassian / Flammarion

C’est Belleville, sans filtre Instagram. Dans son premier roman, Belleville City, Yannis Tsikalakis raconte le quartier par ses petites rues et ses écosystèmes alternatifs. Ancien journaliste, passé par des associations en Afrique de l’Ouest, il a grandi à Athènes dans une famille gréco-française. La barbe grisonnante et la peau mate, on le retrouve au Lou Pascalou, un bar-QG des habitants de Ménilmontant. Passé par le master de création littéraire de Paris 8, l’auteur a 38 ans et une vie calme de jeune papa. Il signe pourtant un premier roman haletant, entre deals, crime et fresque acide autour de la gentrification du quartier.

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Le roman suit Issa, un éboueur d’origine sénégalaise qui ramasse les déchets et nettoie les lendemains de soirées d’Oberkampf. Il fait la rencontre de Manuela, une danseuse cubaine mariée au patron d’un sex-shop endetté. Ils se donnent rendez-vous à la Fête de la musique, mais elle ne vient pas. Du jour au lendemain, elle disparaît. Issa démarre alors une enquête clandestine. Du café kabyle Le Soleil à la pelouse de la Villette, il croise dealers, artistes fauchés et migrants. « L’intrigue, c’est en quelque sorte un prétexte. C’est le quartier le vrai personnage », explique Yannis Tsikalakis.

VICE : Pourquoi avez-vous choisi de planter votre roman dans le 20ème arrondissement ?
Yannis Tsikalakis : J’y ai habité 10 ans. Pour moi, c’est le coin le plus intéressant de Paris. On est au carrefour entre bobos et cités, entre immigrés et descendants d’immigrés. On a les cités de Belleville, de Ménilmontant, de la Banane [Père Lachaise, NDLR]. Et puis on a aussi ce truc qui monte, après les bars d’Oberkampf, avec une population plus bourgeoise. J’ai voulu parler de ces dualités, de ces rencontres, entre les cités d’une part, et Belleville de l’autre. C’est un quartier qui permet de raconter les rapports sociaux et culturels entre les gens à Paris. Dans le roman, par exemple, il y a le mariage mixte d’Issa et sa compagne française, le mariage gris de Manuela et Jean-Jacques… J’avais envie de parler des rapports Nord-Sud, et des ambiguïtés matérielles qui peuvent exister.

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« Je suis sensible aux personnages invisibles, qui vivent dans les marges. Je voulais faire un roman noir. Le côté illégal, le dilemme moral, la prise de risque, c’est aussi des choses qui sont romanesques »

Les rues, les bars, les gens… Vous racontez Belleville avec beaucoup de précision. Est-ce que vous y avez beaucoup traîné ?
En fait, j’avais cette idée de roman depuis longtemps. C’était un peu une lubie. Alors quand j’y habitais, je me baladais, j’écrivais le roman dans ma tête. A ce moment-là, j’étais au chômage, je passais beaucoup de temps avec Denis, le kiosquier de Ménilmontant. Il a gardé son nom dans le roman. Grâce à lui, j’ai pu interviewer des éboueurs, comme mon personnage. J’ai aussi regardé l’histoire des rues. J’ai essayé d’être précis et de me documenter.

Le roman parle d’un crime, de la corruption de la police… Vous êtes-vous inspiré des histoires du quartier ?
Denis savait tout ce qui se passait dans le quartier. J’ai entendu pas mal de choses. Au départ, j’hésitais un peu à les raconter, parce que je trouvais que la réalité était plus forte que la fiction. C’est encore plus rocambolesque dans la vraie vie. Mais à certains moments, j’écrivais et je me disais « Non mais là, on dirait Pulp Fiction ». J’ai dû atténuer certaines choses pour que ça paraisse crédible. Par exemple, un immeuble apparaît dans le roman et j’ai inventé des choses qui s’y passent, mais j’en ai surtout enlevées par rapport à celui qui m’inspirait. Dans la réalité, il y avait des fausses domiciliations d’entreprise avec des prostituées chinoises, des machines à coudre dans le sous-sol, des captations de bien de vieux qui meurent… et même un serial killer qui y avait vécu. Il ne fallait pas qu’on reconnaisse certaines personnes, j’ai changé certains traits de caractère. J’ai fait un patchwork, avec des faits réels et du récit imaginaire.

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Belleville en mode Aïd

Plusieurs personnages du roman dealent pour les cités du quartier. Est-ce que vous aviez envie de raconter cet univers ?
Il pourrait y avoir des bouquins entiers sur les histoires de la Banane. On parle toujours des règlements de comptes à Marseille, mais ici, si on va voir dans les petites pages du Parisien, il y en a aussi. Malgré tout, j’avais pas envie de faire un bouquin sur les cités de Belleville. C’est quelque chose qui est présent en background, parce que c’est le quartier. On pourrait penser que c’est un peu stéréotypé, que je parle de dealeurs plutôt que des petits gars qui vont à la fac. Mais j’essayais de me mettre dans leur peau, de les présenter de façon nuancée. Je suis sensible aux personnages invisibles, qui vivent dans les marges. Je voulais faire un roman noir. Le côté illégal, le dilemme moral, la prise de risque, c’est aussi des choses qui sont romanesques. Il y a plus de tension, naturellement.

Vous décrivez un Paris très sombre, à la Zarca… Est-ce votre perception de la ville ?
Paris est une ville dure. Les gens entre eux sont durs. Au bout de 20 ans, j’ai appris ses codes, mais c’est une ville qui reste froide. Plus on se rapproche du centre de Paris, plus on est dans ce qu’on appelait avant la Cour. Mais moi ce qui m’intéresse, bien sûr, c’est son histoire populaire. Dans le roman, je fais référence au morceau Paris de Rohff. Il décrit très bien la noirceur de la ville. Je voulais d'ailleurs citer quelques phases. Hélas, je n’ai pas pu pour des questions de droit, mais les paroles sont très fortes : « Le mal être en développement / la gamberge sortie d’un pot d’échappement. On pisse sur les monuments / y a plus d’histoire en bas de nos bâtiments. »

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« Il restait encore des boutiques et des commerces un peu à l’ancienne, un peu moins léchés et un peu plus crades. Maintenant, c’est beaucoup plus calibré pour une certaine population »

Au fil du roman, on a le sentiment que cette dureté bouleverse le destin de vos personnages. Etait-ce ce que vous vouliez raconter ?
Oui. Je voulais parler de la difficulté des gens à se faire leur place à Paris, quand ils viennent de l’extérieur. Il y a toute une réflexion sur le déracinement, sur les bagages qu’on trimballe de là où on est parti, qu’on garde là où on est arrivé. Le personnage principal, Issa, est une sorte de rasta musulman. Il a beaucoup de valeurs, mais en fin de compte, il se remet en cause dans le roman. C’est l’idée que Paris, la grande ville, est une Babylone, un lieu de perdition.

Dans le roman, Doom’s, une pointure de la Cité Piat tient un sushi bar et un fast-food. Les petits commerces sont-ils des moyens courants pour blanchir l’argent à Belleville ?
Je ne voulais pas écrire un roman sensationnaliste, mais il y a beaucoup de sous-couches, dans ce que j’ai écrit. Vous remarquerez qu’il y a certains restos dans le quartier, qui sont propres, avec de très belles vitrines. C’est le cas de certains sushis. Il n'y a jamais personne et c’est cher. Il y a ce côté là, dans le quartier. Ça me fait penser à un copain qui était rentré à Marseille dans un bar. Y avait que des types un peu louches, mais bon, il voulait quand même boire une bière. Il en commande une, et le gars lui dit « Ici, c’est pas un bar ». Il est ressorti, en se disant qu’il faudrait qu’il cherche ailleurs.

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En toile de fond, vous parlez aussi d’un quartier super gentrifié. Les petits bars locaux disparaissent, les bobos retapent des apparts… Etes-vous nostalgique du Belleville populaire ?
En l’espace de 20 ans, on voit la différence. Il restait encore des boutiques et des commerces un peu à l’ancienne, un peu moins léchés et un peu plus crades. Maintenant, c’est beaucoup plus calibré pour une certaine population. Mais les anciens vont me dire « Mais toi quand t'es arrivé, ce n'était déjà plus un quartier populaire », en 98 ou 2000. Un peu avant que je parte, le bar rock La Féline a fermé. C’est un lieu qui me semblait déjà un peu authentique, mais déjà à l'époque, ça avait remplacé l’Eurobar, un bar kabyle qui passait du reggae où j’allais souvent. A Ménilmontant, le kiosque de Denis n’est plus là. Il a demandé à changer d’emplacement, parce qu’on ne le voyait plus. Ça lui a été refusé. Mais en même temps, le quartier reste populaire, il y a encore de l’habitation sociale.

Et vous, pourquoi êtes-vous parti ?
Comme beaucoup de gens du quartier, je suis parti pour avoir quelque de chose de plus grand. Je vis à Saint-Denis, c’est un peu le Belleville d’il y a 30 ans, avec des petits troquets et des restos pour routiers.

Belleville City, en librairie ce mercredi 17 avril aux éditions Autrement.

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